
LES RÉSULTATS TECHNIQUES ET ÉCONOMIQUES SONT BONS MAIS VALÉRIE ET OLIVIER VEULENT ANTICIPER DES ÉVOLUTIONS LIÉES À LA VOLATILITÉ DES PRIX ET À L'ENVIRONNEMENT.
NOUS DISCUTONS BEAUCOUP ENTRE NOUS ! », disent en coeur Valérie et Olivier Labour (38 et 37 ans), les deux associés de l'EARL du Hameau. Une manière de dire que toute décision envisagée chez eux, qu'il s'agisse de questions familiales ou relatives à l'exploitation, est soumise à la critique et au débat. « Et puis il faut que la solution retenue réponde aux aspirations de chacun ! », complète Valérie. Or, des décisions, ils se préparent à en prendre de nouvelles dans les années qui viennent, d'abord pour faire face à ce qu'ils perçoivent du marché futur, mais aussi du fait de contraintes liées au périmètre de captage d'eau sur lequel est implantée une partie de l'exploitation. Originaire des marais de Basse Loire, où son père était éleveur, Olivier a préparé un BTS ACSE tandis que Valérie, elle aussi fille d'agriculteur, a passé un BP restauration. « Mais d'emblée, quand nous nous sommes mariés, nous voulions travailler ensemble, que ce soit en agriculture ou en restauration », précise Valérie. C'est finalement l'agriculture qui a gagné : Olivier a repris, en 1999, la ferme de l'Audrenais avec, à l'époque, 52 ha et 203 000 l de quota. Valérie s'est alors dépêchée de préparer un BP REA de manière à s'associer avec lui en 2002, en apportant 80 000 l de lait.
DISTINGUER LES INVESTISSEMENTS RÉVERSIBLES
Le mode de cession de l'exploitation a facilité la transition : « Le cédant avait vraiment envie de transmettre à un jeune, le banquier nous incitait à limiter les risques… Alors, dans un premier temps, nous n'avons acheté que le stock, le cheptel et le matériel. Les bâtiments et une partie du foncier n'ont été repris que deux ans plus tard. » Les associés ont fait progresser l'exploitation avec cette même approche prudente et méthodique. « Certes, il a fallu mettre aux normes et construire une nouvelle stabulation (des travaux réalisés de 2004 à 2007), mais nous avons essayé de limiter les investissements. »
Pour l'instant, par exemple, ils ont conservé l'ancienne salle de traite (une 2 x 5 postes en simple équipement), à 80 m du nouveau bâtiment. « Mais ce n'est pas un problème et l'aire d'attente suffit pour 45 vaches. » De même pour les matériels : « Pour résumer, en dehors de deux tracteurs de 90 ch, de la pailleuse et de la charrue, il n'y a pas de matériel sur l'exploitation. Tout est en Cuma. » Principalement avec la Cuma locale pour les outils attelés. Ce recours au matériel en commun permet de compenser certaines contraintes comme la dispersion du parcellaire en vingt îlots. « Au début, avec ma petite tonne à lisier de 8 000 l, je faisais jusqu'à 210 trajets par an ! Avec celle de la Cuma (14 000 l), j'ai économisé pas mal de tours de tracteurs ! » Depuis dix ans, Valérie et Olivier ont ainsi, petit à petit, optimisé leurs moyens de production, drainé 11 ha, aménagé des chemins, acheté un peu de quota quand la réserve départementale le permettait, etc. Mais, chaque décision a été mûrement réfléchie : « Nous distinguons bien, en particulier, les investissements réversibles – par exemple, la mise en place de l'atelier boeufs – de ceux qui ne le seraient pas. »
1 275 KG DE CONCENTRÉS POUR 9 700 KG DE LAIT/VL
Olivier tient d'ailleurs soigneusement à jour son tableau d'annuités : « Je me suis fait un programme d'investissements qui en tient compte. Chaque fois que l'on met un nouveau projet sur la table, on a intérêt à s‘installer au bureau pour faire des calculs », insiste encore Olivier. Il a souvent près de lui un cahier sur lequel il note les idées qui lui viennent et fait des simulations. « C'est dans les gènes, dit-il. Je vois encore mon père réalisant des calculs et des simulations avant tout investissement. » Même au quotidien, le temps passé au bureau peut être payant : « Ce matin, j'ai passé deux heures au téléphone pour trouver l'offre la meilleure en qualité/prix pour des pneus de tracteurs : j'ai gagné 300 €… C'est du temps bien payé et ça va se retrouver sur notre prix de revient. » Leur satisfaction c'est, bien sûr, d'obtenir de bons résultats, et notamment techniques. « Nous sommes, par exemple, satisfaits de ne pas avoir été pénalisés depuis trois ans en matière de qualité du lait. » L'explication : « Un tas de petites attentions », résume Valérie, qui se charge de la traite, des veaux et des génisses. Avant d'ajouter en plaisantant : « Le robot de traite marche bien ! » De même du côté de l'alimentation, le coeur du métier d'Olivier. En hiver, les vaches reçoivent une ration constituée de deux tiers d'en silage de maïs (récolté à raison de 12,5 t/MS/ha en moyenne) et d'un tiers d'herbe : « Je nourris en ration complète, une fois le matin, une fois le soir. Et entre les deux, j'apporte à la brouette, au cornadis, le complément individualisé en une à deux fois, selon les animaux. Fractionner ainsi l'alimentation n'est pas une perte de temps. » Et c'est efficace : avec 1 275 kg de concentré par vache pour une production moyenne de 9 700 kg de lait, l'élevage se place plutôt bien par rapport à la moyenne.
LA CONTRAINTE DE LA DISPERSION DES PARCELLES
« D'ailleurs, mes goûts personnels m'incitent plus à optimiser l'alimentation qu'à m'intéresser à la génétique, par exemple. Je connais mes vaches, l'inséminateur connaît ses taureaux, et nous nous complétons bien. » Au printemps, avec des sorties parfois dès la mi-février, le pâturage prend le relais, avec une contrainte cependant : du fait des assolements et de la dispersion des parcelles, seuls 10 ha peuvent être pâturés chaque année. Et l'herbe se fait souvent rare dès la mi-juin. Sur ces sols en partie sableux, en partie hydromorphes, Olivier a implanté selon les cas du RGA + trèfle blanc ou des fétuques. Mais il veille de près à la productivité de ses prairies d'un rendement moyen de 8 t/ha/an. « Elles ne reçoivent pas d'engrais minéral, mais uniquement des lisiers et des fumiers. Et après deux tours de pâturage, je fauche systématiquement les refus. » Olivier résumer ainsi la philosophie de conduite de l'exploitation : « Nous nous dirions extensifs, ou plutôt économes, en herbe et intensifs en lait ! »
GARDER UN COUP D'AVANCE
Pourtant ce système, aujourd'hui à l'équilibre, Valérie et Olivier savent qu'ils devront le faire évoluer pour l'adapter au contexte économique et environnemental. « Leur force, c'est d'avoir une vision de l'avenir qui les amène à réfléchir, afin de garder un coup d'avance », explique Jean- Claude Huchon, animateur du réseau lait en Loire-Atlantique. Ce qu'Olivier exprime autrement : « Je suis persuadé que demain, et alors que nous serons moins d'éleveurs, on va nous demander de continuer à produire du lait et sans doute un peu plus qu'aujourd'hui. La question n'est pas de grossir pour grossir, d'autant que nous nous sentons plutôt bien dans notre modèle d'exploitation familiale. Mais on ne peut pas non plus se permettre de décrocher par rapport aux évolutions que vont connaître d'autres fermes. ».
Certes, mais alors comment faire ? « Il faut d'abord être conscient que nous n'aurons jamais la maîtrise de certains facteurs ; il faut donc s'en préserver autant que possible. » Parmi les premiers, il y a bien sûr le prix du lait : « Le coup de tonnerre que nous avons connu en 2009 n'est pas le dernier. Il y en aura encore. » De même pour le prix des concentrés (soja ou colza) : « Les fluctuations de cours se font de manière erratique et incontrôlable par nous, agriculteurs. » Un autre élément, politique celui-là, lui semble aussi acté : « On ne connaît pas encore le contenu de la Pac d'après 2013. Mais on peut, sans trop se tromper, penser qu'elle ne privilégiera pas les systèmes les plus intensifs et favorisera plutôt les plus respectueux de l'environnement. ». À partir de là, les associés ont réfléchi aux évolutions possibles de leur système afin de le rendre plus résistant à ces facteurs extérieurs. Et ce avec un raisonnement qu'ils disent « en boucle », c'est-à-dire en allant à chaque fois au fond des choses : « Pour cela, commente Jean-Claude Huchon, il est important de connaître son prix de revient actuel, ce qui est le cas sur cette exploitation. Ensuite de chiffrer le coût des nouveaux choix techniques et d'évaluer leur impact sur le revenu, dans toutes ses composantes. » Olivier insiste : « Je ne veux pas me trouver un jour dans la situation de me dire : j'ai fait tel ou tel investissement, mais maintenant comment le valoriser ou le rembourser ? C'est avant d'investir qu'il faut avoir la réponse. ».
Pour bâtir des scénarios d'évolution, ils ont dû prendre en compte des données plus locales, à commencer par la situation de l'élevage, à proximité de la nappe phréatique de Campbon (voir encadré). Ce qui limite l'utilisation de certains intrants et parallèlement le potentiel de rendement.
UNE NOUVELLE COHÉRENCE À TROUVER
Le morcellement de l'exploitation, ajouté à la difficulté de trouver de nouvelles surfaces sur ce secteur, interdit aussi certaines options comme le développement du pâturage. L'idée d'évoluer vers le bio, évoquée durant un temps, a été écartée : « Le bio n'est pas pour nous, tout au moins à ce jour. » Valérie et Olivier ne se voient pas s'engager vers une forme de désintensification qui les conduirait à augmenter le nombre de vaches. « Certes, nous avons prévu que la stabulation puisse un jour être agrandie si besoin, mais nous ne nous voyons pas diminuer la moyenne d'étable… Et puis, qui dit plus de vaches dit plus de veaux, avec une nursery à agrandir et du lait à produire pour les élever, sans être sûrs que l'investissement serait rentable. » À l'inverse, augmenter le niveau de production avec l'effectif actuel ou à peu près serait possible « mais avec les incertitudes sur le prix des concentrés, est-ce que ce serait jouable dans la durée ? » Pour Valérie et Olivier – mais c'est vrai sur toute ferme – le challenge est bien là : trouver une cohérence d'évolution au milieu de multiples facteurs, sur lesquels ils peuvent ou non agir, selon les cas. « Finalement, l'éleveur laitier c'est un peu comme un DJ : il a des dizaines de manettes devant lui et il doit actionner les bonnes ! » Au terme de plusieurs mois de réflexion, ils résument ainsi : « Bien sûr, à terme, nous aimerions disposer de quelques hectares de plus. Mais si demain, nous devons produire plus de lait, ce ne pourra être que par les fourrages, et notamment par l'herbe. Mais ce devra être une herbe d'excellente qualité et en quantité suffisante pour sécuriser le système. Nous n'avons donc pas d'autre choix que de rester intensif, mais avec un souci d'éco-performance qui soit autant économique que technique ou écologique. ». La décision n'est pas encore prise, mais il est probable que cela conduira l'EARL à s'engager dans la voie du séchage en grange, qui permettrait de conjuguer sécurité alimentaire et qualité du fourrage.
Habitué à découper et classer des articles de presse sur cette technique (et quelques autres), Olivier s'y intéresse et se renseigne. Sans précipitation, car il n'est pas sous la pression de résultats qui seraient à redresser. Cela lui donnera peut-être la possibilité de « croiser » cette hypothèse avec celle d'intégrer la production d'énergies renouvelables sur l'exploitation. Bien sûr, ce n'est pas pour tout de suite. « Mais je range ça dans un coin de ma tête. Et si nos projets nous permettent de renforcer notre lien social avec les autres acteurs du territoire, ce serait un plus. »
GWENAËL DEMONT
Avec la réflexion stratégique sur l'avenir de l'exploitation, l'alimentation est vraiment au coeur du métier d'Olivier, qui maîtrise au mieux le coût de concentré.
Deux tracteurs de 90 ch, un vieux valet de ferme, une charrue et une désileuse, voilà à peu près tout le matériel de l'exploitation. Tout le reste est en Cuma.
Bâti en 2007, et volontairement à distance du hameau, le bâtiment pourrait être agrandi et recevoir une chasse d'eau. Sa bonne ventilation et les planchers de logettes en bois contribuent à l'état sanitaire : ici pas de pénalités depuis trois ans.
« Le temps passé au bureau à faire des calculs et des simulations n'est jamais perdu », estime Olivier.
Près de vingt îlots de culture, en grande partie dans un périmètre de captage, voilà qui résume les principales contraintes de l'exploitation.
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