Méthanisation : 41 exploitations épandent leurs effluents collectivement

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Partenariat. En Haute-Savoie, au-dessus d’Évian, la mise en service d’une grosse unité de méthanisation modifie les pratiques d’épandage et de fertilisation du Gaec de la Dent d’Oche et de ses collègues.

Le Gaec de la Dent d’Oche, à Vinzier en Haute-Savoie, a mis en vente sa tonne à lisier. Il n’est pas le seul. Depuis mi-février, quanrante et une exploitations du pays de Gavot épandent collectivement le digestat liquide et le compost issus de leurs effluents. Les fumiers, lisiers et purins sont préalablement transformés dans un méthaniseur construit à proximité, dans le cadre d’un partenariat développé avec la Société anonyme des eaux minérales d’Évian (groupe Danone) et la communauté du pays d’Évian (seize communes). Alors que la collecte est réalisée par la SAS Terragr’Eau, le groupement d’industriels qui gère l’unité de méthanisation, l’épandage est du ressort des agriculteurs. « Compte tenu de l’importance de la fertilisation pour nos prairies et des enjeux sanitaires dans nos filières fromagères AOP-IGP au lait cru (abondance, reblochon, tomme et emmental de Savoie), nous tenions à maîtriser cette partie-là », dit Jean-Louis Baratay, associé avec son frère, Fabrice, sur 60 ha de prairies permanentes et producteur de lait reblochon et AOP abondance.

« Dans nos systèmes,la base de l’alimentation est l’herbe,renchérit Philippe Gillet, éleveur à Saint-Paul-en-Chablais. Celle-ci est valorisée en foin ou en pâture. Une bonne fertilisation est essentielle pour atteindre le maximum d’autonomie alimentaire requis par nos cahiers des charges. Outre les économies d’achat d’engrais minéral, la méthanisation de nos effluents évite de construire des fosses de stockage liées à l’hivernage des bêtes six mois par an. Un investissement coûteux, improductif et compliqué. Ici, les sièges d’exploitations sont dans les villages, et le paysage est mité. On est tout de suite chez le voisin. »

Organisées au sein d’une Sica et d’une Cuma, les 41 exploitations ont acheté deux tonnes à digestat de 15 m3 équipées d’un pendillard, recruté un chauffeur de tracteur en CDI et un gestionnaire de planning d’épandage. Tiré par un tracteur de 260 ch, le pendillard est spécifiquement adapté aux pentes. Il doit réaliser 60 % de l’épandage. Les 40 % restants seront assurés par des ETA locales. Une formule qui assure suffisamment de flexibilité pour faire face, le cas échéant, aux années pluvieuses et difficiles.

Modifier ses habitudes et ses pratiques

Ce printemps, le démarrage de la première campagne s’est déroulé dans un contexte météorologique particulièrement favorable : avec un hiver sec, les sols se sont ressuyés rapidement et les agriculteurs ont pu tester, dans de bonnes conditions, leur nouvelle organisation. La moitié de l’épandage (globalement 9 000 t sur 1 200 ha, des prairies essentiellement) a été réalisée avant le 15 mai. L’étagement de la végétation sur 800 m d’altitude facilite l’organisation des chantiers. Compte tenu des parcellaires très morcelés, celle-ci se fait par grand secteur quand cela est possible pour limiter les allers-retours sur les îlots. Épandre collectivement nécessite de modifier ses habitudes et ses pratiques. « Il faut prendre l’habitude de contacter le gestionnaire de planning pour lui annoncer la fauche à venir de tel îlot ou les sorties de pâture. De telle manière qu’il puisse faire l’épandage dans les deux ou trois jours suivants », souligne Jean-Louis Baratay.

Il faut également accepter quelques incertitudes liées à la mise en service du nouveau système. « Alors que nous connaissions bien la valeur de notre lisier et son effet sur nos prairies, nous devons apprendre à travailler avec un nouveau produit et adapter la fumure en fonction de la réactivité et de la valeur fertilisante de ce dernier, observe l’éleveur de Vinzier. Après une coupe d’herbe, l’azote ammoniacal libérable tout de suite a un effet starter. »

Une fertilisation mieux maîtrisée

Pour mieux appréhender le digestat et optimiser ses conditions d’utilisation (faut-il, par exemple, fractionner ou non les apports au printemps ?), un protocole d’essai sur deux parcelles­ a été mis en place avec l’aide de la chambre d’agriculture. Un groupe de six agriculteurs a été constitué. Sur les premières cuves épandues ce printemps, la valeur du digestat s’est établie à 2,4 unités d’azote, en dessous des objectifs de 3,5 unités. Une situation liée à l’incorporation d’eau dans le méthaniseur pour la mise en service de l’installation. Depuis, les valeurs sont passées à 3 unités d’azote, dont 50 % d’azote ammoniacal. Elles devraient atteindre les 3,5 unités sur la cinquième cuve. Comme ses collègues, Jean-Louis Baratay a perçu rapidement les avantages de la méthanisation et de l’épandage collectif. « Avec un produit qui ne sent pratiquement plus et qui est enfoui immédiatement, il est possible d’épandre le digestat liquide et le compost plus près des maisons (15 m au lieu de 50 m), et donc de mieux fertiliser les parcelles. En particulier l’été, période propice où la végétation absorbe le lisier. Avec un digestat déposé au sol, l’herbe ne sera plus brûlée. Le trèfle se développera mieux qu’avec le lisier. Les graines de rumex et d’ortie sont détruites dans le méthaniseur. » Un point important quand on mélange les effluents de plusieurs exploitations.

Un coût de 2 €/tonne rendu racine

Grâce aux aides financières de l’Association pour la protection de l’impluvium de l’eau minérale d’Evian (Apieme) et de la Société des eaux d’Évian (7 €/t), le coût de l’épandage pour les agriculteurs a été fixé à 2 €/t rendu racine. « À ce prix-là, il ne faut pas se priver de déléguer l’épandage, estime Jean-Louis Baratay. D’autant plus que ce tarif comprend la réalisation d’un plan de fumure annuel et la tenue du cahier d’épandage réglementaire. Le Gaec faisait déjà ses enregistrements avec son logiciel “Mes parcelles”. Ce sera autant de temps économisé, en plus du gain lié au chantier lui-même. »

Il y a deux ans, 180 voyages ont été nécessaires pour épandre le lisier de la ferme. Cette année-là, l’exploitation avait fait appel à une ETA pour enfouir près des maisons, ce qui avait généré des coûts supplémentaires. « Réparti sur cinq communes, notre parcellaire s’étend sur un rayon de cinq kilomètres dans un environnement périurbain­. Épandre au milieu des maisons ou entre les randonneurs, c’est compliqué », observe celui qui ne sortait plus la tonne le samedi.

Dans ce contexte, la délégation de l’épandage est un soulagement et un gage de sérénité. « Fini les allées et venues, les risques de tracasseries administratives et les fosses pleines à vider en catastrophe en hiver. Les effluents sont désormais collectés en temps voulu. Il suffit de passer un coup de téléphone. »

Anne Bréhier

© Sica Terragr’eau - Terragr’Eau. Le groupe en visite à l’unité de méthanisation. Depuis mi-février, en Haute-Savoie, les effluents de 41 exploitations (9 000 t sur 1 200 ha) sont transformés dans le méthanisateur de Vinzier et épandus collectivement. Sica Terragr’eau

© Anne Bréhier - Tonne à digestat. La tonne à digestat de la Cuma est équipée d’un système de pendillards à patins, homologué « enfouisseur à prairie » pour limiter les pertes d’azote par volatilisation. Un système GPS embarqué sur le pendillard permet d’éviter les recoupements.Anne Bréhier

© anne brehier - Jean-Louis Baratay. Comme ses collègues, le Gaec de la Dent d’Oche s’est engagé à apporter tous ses effluents au méthaniseur, à mettre 100 % de son parcellaire à la disposition de la Sica et de la Cuma d’épandage et à respecter les pratiques de fertilisation raisonnée.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
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