Depuis fin juin, les connaissances théoriques sur cette maladie à éradication obligatoire se confrontent cruellement au terrain.
Tout a commencé avec une vache fiévreuse aux poils hérissés dans un troupeau laitier à Entrelacs, en Savoie. Deux jours plus tard, le 25 juin, elles sont trois à présenter un « abattement général avec baisse d’appétit » et, surtout, des nodules sur tout le corps, caractéristiques de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). La suspicion est officiellement déclarée. Deux vaches sur trois présentent en plus des œdèmes sur les membres et/ou une chute de production, et l’une souffre de conjonctivite. Deux jours plus tard, elles sont quinze malades. Ce premier foyer de DNC en France est confirmé le 29 juin. Le lendemain, le troupeau, qui compte 50 % d’animaux cliniquement malades, est dépeuplé.
Sans risque pour la santé humaine, la maladie est néanmoins assez grave pour être classée en catégorie A : son éradication est obligatoire. Les mesures instaurées dans quatre départements (Savoie, Haute-Savoie, Ain et Isère) ont ralenti sa diffusion en attendant le vaccin.
Un virus venu de loin
La DNC n’affecte que les bovinés : bovins, buffles et zébus. Décrite pour la première fois en Zambie en 1929, elle est endémique dans de nombreux pays africains. Présente en Turquie depuis 2013, elle a gagné l’Europe en 2015 (premier épisode de cinq mois en Grèce), puis en 2016 (Grèce, Arménie, Macédoine, Bulgarie, Serbie, Kosovo, Albanie, Monténégro). Avant sa réapparition en Italie (Sardaigne puis Lombardie) en juin dernier, le dernier foyer européen datait de 2018.
N’ayant jamais rencontré ce virus, les bovins français sont dépourvus d’anticorps. « C’est ce qui rend la situation grave : un virus extrêmement contagieux arrive sur un cheptel "naïf", alertait Laura Cauquil, vétérinaire-conseil au GDS des Savoies, lors d’une réunion d’information. Et, comme la plupart des données sur la DNC proviennent de zones endémiques, on ne peut pas tout extrapoler. Même les observations sur le cheptel naïf des Balkans sont à prendre avec précaution au vu des différences de géographie et de typologie d’élevages. »
Des nodules, mais pas seulement
Les observations de terrain des vétérinaires des Savoies concordent avec la littérature scientifique. Les premiers signes cliniques sont peu caractéristiques : fièvre pouvant atteindre 41 °C, abattement, perte d’appétit, jusqu’à 20 % de baisse de production laitière, grossissement des ganglions lymphatiques, hypersalivation, larmoiements. Les doutes sont levés quand les nodules apparaissent, souvent de 24 à 36 heures après le début de la fièvre. Fermes, indolores, d’un diamètre de 0,5 à 5 cm, ils sont souvent localisés sur la tête, le cou, les mamelles et les membres, mais peuvent couvrir tout le corps y compris les muqueuses buccales et nasales. Ils peuvent s’infecter et dégénérer en abcès, ulcères, mammites…
Des œdèmes peuvent gêner la locomotion, les vaches peuvent avorter durant le pic de fièvre et une infertilité temporaire ou persistante est rapportée chez les femelles, comme chez les taureaux. La guérison prend plusieurs semaines ou mois et peut laisser des cicatrices et séquelles.
Dans les formes graves, l’Organisation mondiale de la santé animale (Omsa) indique que des nodules peuvent se loger sous la peau et sur les muqueuses internes et des lésions peuvent apparaître dans le tube digestif, la trachée et les poumons. Les difficultés digestives et respiratoires peuvent entraîner la mort. En outre, la maladie prend aussi des formes bénignes ou asymptomatiques, difficiles à détecter.
Une propagation « en tâche d’huile » via des vecteurs
« Les observations du terrain confirment la théorie : une fois installée, la maladie se propage lentement autour du foyer infectieux, constate Stéphanie Philizot, présidente du SNGTV. C’est logique pour une maladie vectorielle qui, en France, est principalement transmise par des tabanidés (famille des taons) et stomoxes (mouches piqueuses). Ils se déplacent peu ou pas tant qu’ils ont de quoi se nourrir. De plus, le virus ne se multiplie pas dans l’insecte et survit moins de 24 heures sur ses pièces buccales. Les sauts de plusieurs kilomètres faits par la maladie sont liés à des déplacements d’animaux. L’absence de mouvement est donc capitale : on ne bouge pas ses bovins, ni d’un kilomètre ni de dix ! » En effet, un animal en pleine forme peut déjà être infecté : la durée d’incubation connue est de quatre à vingt-huit jours. Le GDS des Savoies présuppose qu’elle pourrait parfois dépasser un mois.
Pour gagner du temps, la déclaration précoce des suspicions est cruciale. « On a une vraie marge de manœuvre pour augmenter l’efficacité de la lutte », insiste Stéphanie Philizot, alors que les témoignages d’animaux déclarés trop tard ou découverts par hasard lors d’une visite se multiplient.
Même si la transmission est essentiellement vectorielle, « plusieurs articles scientifiques décrivent un risque de transmission par contact direct, notamment de la mère au veau, reprend Stéphanie Philizot. Sans que le mécanisme ait été démontré, il pourrait aussi y avoir transmission par contact sur les points de nourrissage. Par prudence, on désinfecte tout après élimination d’un foyer. » Une transmission directe par la semence de taureaux infectés a par ailleurs été montrée.
Un virus résistant
Sensible à la lumière, le virus survit longtemps dans un environnement sombre comme la stabulation. Il résiste trente-cinq jours dans les croûtes succédant aux nodules et vraisemblablement plusieurs mois dans les effluents (d’où les interdictions d’épandage). Il préfère le froid que la chaleur : l’Omsa évoque une destruction en deux heures à 55 °C et en trente minutes à 65 °C. Il est aussi sensible à certains détergents.
Des réservoirs vivants de virus existent dans la faune sauvage en Afrique, et vraisemblablement en Asie. En Europe, la question se pose. Toutefois, les autres espèces domestiques ne sont pas sensibles au virus. Avoir des chevaux comme voisin de pâture serait même bénéfique, expliquait le GDS des Savoies lors d’une réunion d’information. « Ce sont des culs-de-sac épidémiaux : quand un taon contaminé pique un cheval, il se décharge du virus. Celui-ci meurt dans le cheval et le taon n’est plus contagieux. » Le risque qu’un insecte propage l’infection en se déplaçant avec un équin exige un concours de circonstances jugé « très théorique et peu probable » par les enseignants des écoles vétérinaires.
Morbidité, mortalité : des chiffres en pagaille
Concernant la morbidité (proportion d’animaux malades dans une population) et la mortalité, plusieurs chiffres circulent. « D’après la compilation de données issues de différents pays, on observe en zone endémique une morbidité de 5 à 45 % avec une flambée tous les trois à cinq ans, et une mortalité inférieure à 10 %, indique Stéphanie Philizot. En zone indemne, il y a peu de données en dehors des Balkans. La morbidité est estimée à 90 %. La mortalité est normalement inférieure à 10 %, mais peut atteindre 40 %. »
La race joue aussi : une étude éthiopienne, citée par l’Omsa, rapporte des taux de morbidité et de mortalité plus élevés pour les races laitières européennes (prim’holstein et croisée) que les zébus locaux. Un rapport de 2017 pour la FAO suggère aussi que les hautes productrices seraient plus sévèrement affectées. « Chez nous, on estime que la maladie causerait en moyenne de 10 à 20 % de pertes (animaux morts ou sans valeur économique) dans les élevages touchés, reprend Stéphanie Philizot. Et, si on ne la maîtrise pas, elle s’installe durablement. »
Une maladie réglementée
Classée en catégorie A par l’Union européenne, la DNC est à éradication obligatoire. Le règlement UE 2020/687 impose un zonage réglementé de 20 km et 50 km autour des foyers, assorti de mesures de surveillance et de biosécurité, ainsi que le dépeuplement immédiat et sur place des foyers infectieux. Ces derniers ne concernent pas la totalité d’un cheptel mais l’« unité épidémiologique », c’est-à-dire les animaux en contact avec le cas confirmé (1).
Le déploiement d’une vaccination d’urgence n’enlève pas cette obligation. Quelques dérogations sont prévues : animaux en bâtiments fermés, détenus à des fins scientifiques, appartenant à une race menacée ou encore de valeur génétique exceptionnelle (sous conditions). Selon le ministère de l’Agriculture, « aucune situation ne correspond à la réalité des foyers en France ».
Une vaccination en urgence
Les vaccins vivants atténués sont réputés efficaces. Ils ont notamment permis d’éteindre l’épidémie des Balkans, conjugués aux mesures de biosécurité et d’abattage. L’Omsa parle de soixante ans d’utilisation et de millions d’animaux vaccinés, sans qu’aucun cas de recombinaison ou retour de virulence ne soit signalé. La Commission européenne a un accord avec un laboratoire en Afrique du Sud, lui garantissant l’accès à un stock d’urgence. 350 000 doses sont arrivées en France où la vaccination est obligatoire, gratuite, et limitée à la zone réglementée (qui comptait 310 000 bovins au 31 juillet). Douze jours après le début de la vaccination, débutée le 19 juillet, un tiers avait reçu l’injection. Les bovins de tous âges sont concernés. Les veaux naissant de vaches vaccinées (ou infectées) doivent attendre six mois.
L’immunité est complète vingt et un jours après l’injection et protège l’animal pendant au moins un an – vraisemblablement plus. Les effets secondaires sont rares : « 60 cas sur 420 000 utilisations lors d’épisodes passés », indique la DGAL. Ils concernent principalement une grosseur au point d’injection, une baisse temporaire de lait, ou de petits nodules disparaissant vite sans laisser de traces. En cas de suspicion sur une bête vaccinée, des analyses de laboratoire peuvent déterminer si les anticorps présents sont dus au virus sauvage ou au vaccin.
La zone ne retrouve son statut « indemne » que quatorze mois après la dernière injection. « Généralement, il faut au moins deux ans de vaccination pour éradiquer le virus », prévient Stéphanie Philizot.
(1) Souvent un lot d’animaux en pâture ou en bâtiment. Une exploitation peut compter plusieurs foyers.
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