Fils et amis d’agriculteurs, il m’arrive de feuilleter votre magazine. Connaissant ma formation de physicien, plusieurs amis éleveurs m’ont cependant interpellé à la suite de la parution du n°306 et de l’article « Nous avons dû protéger notre bâtiment des ondes de téléphonie mobile ».
Les faits qui y sont décrits par les éleveurs ne peuvent être remis en cause, tout comme leur impuissance face à l’absence de solution. L’intervenant, Jean-Yves Prost, recommandé par la société Pasquier Vgt’al, semble avoir utilisé des méthodes qui pourraient manquer d’explications ou qui ont été mal retranscrites. Il n’est pas impossible que lui ou votre journaliste ait aussi déformé certains termes dans un but de vulgarisation qui, malheureusement, semble avoir abouti à des erreurs. À moins que ce ne soit les méthodes utilisées sur le terrain qui sont discutables. Tout d’abord, il est affirmé que « le troupeau est soumis à de fortes ondes téléphoniques de type 4G, sans doute transmises par une faille géologique ». Si l’absence de danger des ondes téléphoniques, à plusieurs dizaines de mètres, peut éventuellement être remise en cause, il semble qu’il n’y ait pas de lien entre la propagation de ces ondes électromagnétiques et la présence d’une faille géologique. N’y a-t-il pas eu confusion avec les courants de fuite, ou courants parasites ? Comme l’explique le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) dans son rapport de 2019, un élevage peut être, pour de multiples raisons, un lieu amplificateur de ces courants. Pour analyser des poils, directement sur le site, comme l’indique notamment la légende d’une des photographies, Jean-Yves Prost utilise un « scanner quantique ». Mais cet objet, sous un tel nom, n’apparaît dans aucune étude. On le trouve bien en vente sur des sites de médecines alternatives, mais sans description de son fonctionnement. Ne s’agirait-il pas d’un magnétomètre ? Il permet de mesurer le composant magnétique d’une onde électromagnétique. Pour le composant électrique, il semble qu’il s’agisse d’un voltmètre associé à une antenne. Pour mesurer un courant de fuite, un voltmètre aurait été nécessaire. Une mode est d’associer l’inexplicable, le magique, au quantique. Comme ce domaine de physique est difficile à concevoir malgré ses champs d’application toujours plus nombreux, sa mauvaise utilisation pourrait laisser croire que ces analyses n’ont pas de réalités scientifiques. Dans le premier encadré, un organisme est décrit comme étant capable de « se repolariser » lorsqu’il est soumis à des « ondes agressives ».La polarisation est un phénomène optique qui ne concerne que les ondes électromagnétiques.Certains êtres vivants sont capables de distinguer une lumière polarisée, mais sans être polarisés à leur tour. Dans le 3e paragraphe, un aliment dit « magnétisé » est proposé aux éleveurs, du « soja traité au sélénium “informé” ». Il semble bien qu’il n’y ait nulle trace d’une recherche scientifique parlant d’une matière qui puisse être « informée » et avoir ainsi des propriétés magnétiques. Les seules descriptions de « fréquences neutralisantes » qui permettraient cela sont celles qu’on trouve auprès des revendeurs d’appareils de médecines alternatives. Le sélénium, sous sa forme minérale, est un oligoélément souvent associé à du magnésium contre la tétanie d’herbage. L’utilisation de ce complément pourrait être une des hypothèses expliquant la rapide remontée de la production de lait. Des « cartes magnétiques » sont disposées dans l’exploitation pour « neutraliser » les ondes de type 4G. Dans l’hypothèse où les piliers métalliques du bâtiment prendraient le rôle d’antenne, il semble que, là aussi, il n’y aitpas de lien entre les propriétés magnétiques d’une matière et une neutralisation d’ondes électromagnétiques de type 4G. Une cage de Faraday pourrait avoir de telles propriétés. Il existe aussi des matériaux capables d’absorber des ondes centimétriques (Radar-absorbing Materials, RAM), mais leur champ d’application ne correspond pas à ces cartes et cette propriété ne semble pas liée à des propriétés magnétiques. Il n’est pas impossible que la méprise puisse être due à une incompréhension : des croyances ont peut-être été comprises comme des faits scientifiques. Les croyances font partie du libre-arbitre de chacun et sont respectables tant qu’elles ne nuisent pas à la liberté d’autrui. Un problème peut se poser lorsqu’elles sont le sujet d’activité rémunérée. La période actuelle a développé l’obscurantisme dans toute la société. Avec les objectifs liés au développement durable, bien des responsabilités vont retomber sur nos agriculteurs dont la formation initiale n’a pas toujours prévu ces bouleversements. Ils sauront compter sur leur presse spécialisée pour s’informer au mieux et surmonter les difficultés à venir. »
RÉPONSE DE LA RÉDACTION
Votre courrier apporte un éclairage scientifique indispensable et nous vous en remercions. Dans cet article, le parti-pris de notre journaliste était de montrer le vécu d’un couple d’éleveurs qui, après avoir tout essayé, n’avait trouvé que ce recours, lequel, chez eux, semblait fonctionner. Mais nous sommes conscients de la non-démonstration scientifique de ces pratiques alternatives qu’il faut prendre avec prudence.
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