La concurrence semble se durcir entre Gènes Diffusion et Évolution. Que se passe-t-il ?
Yann Lecointre : À l’étroit sur sa zone historique, Gènes Diffusion a cherché à prendre des parts de marché à l’ouest en créant une SA. Cette conquête s’effectue essentiellement en débauchant des inséminateurs d’Évolution avec l’espoir que les éleveurs suivent. Il y a donc une surenchère pour les attirer. Dans un premier temps, nous avons observé. Mais nous ne pouvions pas rester sans réagir. Nous sommes donc partis à la recherche de parts de marché dans l’Eure et le Pas-de-Calais. Cette démarche est menée par la coopérative avec une offre unique pour tous les adhérents. Car nous défendons le mutualisme avec des prix de mise en place identiques partout, alors que les coûts sont différents. Il s’avère que notre offre est 10 à 30 % moins chère que celle de GD, en fonction des options choisies.
Pourquoi cette concurrence n’est-elle pas profitable pour les éleveurs, selon vous ?
Y.L. : J’ai longtemps travaillé dans le secteur privé où la concurrence pousse à des gains de productivité qui débouchent sur une baisse des prix. La situation de l’élevage est totalement différente. Il n’existe pas de gain de productivité sur la mise en place des doses. Si certains éleveurs profitent d’une génétique moins chère, la différence est payée par leurs collègues des zones moins concurrentielles. En race normande, la concurrence conduit à l’existence de deux schémas de sélection. On produit 80 taureaux qui font en moyenne 5 000 inséminations, alors que 40 suffiraient pour garder la même variabilité et le même progrès génétique. Les éleveurs paient les doses deux fois trop cher pour amortir ces surcoûts. En holstein, nous sommes à environ 50 000 doses par taureau en moyenne quand les USA sont à 160 000.
Cette situation semble vous alarmer. Pourquoi ?
Y.L. : Nous nous livrons à une guéguerre franco-française alors que la vraie concurrence est ailleurs, qu’il s’agisse de la génétique ou des services. Le coût du schéma en holstein est de 7 € par dose. En travaillant ensemble, on pourrait faire des économies, au bénéfice des prix ou de l’investissement. Car cette situation nous prive de moyens. Aujourd’hui, les Américains investissent dans les technologies et ils réduisent encore les intervalles de génération. Ils prennent de l’avance. Sur leurs 100 meilleurs taureaux holsteins, 20 dépassent 200 points d’Isu.
Si la génétique française décroche, les éleveurs achèteront ailleurs. Mais ils perdront la maîtrise des schémas. Et la même chose risque de se produire pour les services qui se livrent eux aussi à une rude concurrence. Nous réalisons des génotypages sur les femelles de nos adhérents. Seenergi vient de lancer GénoCellules, qui permet de repérer les vaches à cellules à partir du lait de tank. À condition de connaître le génotype des vaches. Du coup, Clasel investit dans une chaîne, Illumina, pour génotyper les vaches. Mais 80 % des élevages de Mayenne travaillent avec nous. Ces éleveurs savent-ils qu’ils paient deux fois le même outil ? Sont-ils d’accord pour le faire ? Ne pourrait-on pas travailler plus intelligemment ? Tous ces doublons sont payés par les éleveurs.
Quelle issue voyez-vous pour Évolution ?
Y.L. : Nous voulons sortir de cette situation pour que les éleveurs puissent continuer à bénéficier de la qualité de génétique qu’ils attendent à un prix raisonnable. Mais pour cela, il faut que les hommes, les élus, se parlent. On en est loin. Évolution ne cherche pas à avaler GD. Notre coopérative a suffisamment grandi. Mais nous pourrions travailler ensemble. Si nous n’y parvenons pas, Évolution cherchera des partenaires coopératifs ailleurs dans le monde. Car l’un des enjeux se trouve aussi au niveau de la gouvernance. Trois entreprises privées, Alta, ABS et Sexing Technologies travaillent dans la génétique aux États-Unis. Les deux premières sont cotées en Bourse et la troisième est assise sur un tas d’or. Elles sont capables de lever des fonds énormes pour investir. Et balayer les petites coopératives comme GD ou Évolution.
Propos recueillis par Pascale Le Cann
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