« En bio, limiter la facture grâce à des coproduits de petit déjeuner »

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Quatre-vingt treize pour cent des 90 ha bio de la SAU sont des prairies. Les sept pour cent restants sont du maïs, du blé et du méteil. Ce n'est pas suffisant pour assurer les besoins en énergie du troupeau. Marion et Emmanuel Letablier, et leur stagiaire Maxime Jourdan, sont obligés d'acheter des aliments. (© C.Hue)

Marion et Emmanuel Letablier achètent des aliments pour soutenir la production de leurs vaches. Ils se fournissent en coproduits d’huilerie, de biscuiterie et de meunerie dont ils estiment le coût plus faible de 150 € à 250 € la tonne par rapport à des matières premières classiques.

Dans l’extrême nord de la Manche, en dessous de la pointe de La Hague, Marion et Emmanuel Letablier sont en lait bio depuis avril 2022. « Nous étions bien avancés dans cette voie. C’était pour nous l’étape suivante. Malheureusement, notre conversion s’est achevée lorsque la crise bio a démarré. 

Notre simulation économique repose sur un prix du lait supérieur aux 555 € que nous avons perçus en 2024 », disent d’emblée les conjoints associés dans un Gaec. Le couple a choisi un système de production bio que l’on peut qualifier de semi-intensif. « Sur une SAU relativement limitée, c’est-à-dire 90 ha entièrement destinés au troupeau, nous maximisons l’herbe ingérée au pâturage et visons des vaches relativement productives, sans que leur alimentation, par l’achat de concentrés, soit trop onéreuse », résume Emmanuel Letablier.

Être productif pour assurer les engagements financiers

Les associés ont confirmé le choix de la traite robotisée fait en 2018. Ils ont acquis un second robot en 2021 pour optimiser le pâturage qui n’est quasiment pas interrompu dans l’année. « En système très pâturant, il est illusoire d’avoir un robot pour 60 à 65 vaches. Ce plafond descend à 50 laitières par stalle. Nos vaches parcourent en effet jusqu’à 1 000 mètres entre le bâtiment et le point le plus éloigné du circuit de 30 paddocks. Ne voulant renoncer ni au pâturage ni à la souplesse de travail qu’offre la traite robotisée, nous avons décidé d’investir dans un second robot, d’autant plus que 65 à 70 vaches sont en lactation au printemps et en été », poursuit Marion Letablier.

Céréales déclassées au miel de petit déjeuner. (© C.Hue)
Céréales de petit-déjeuner chocolatées déclassées. (© C.Hue)

Un robot repousse-fourrage, acheté également en 2018, complète cette automatisation du travail, qui a forcément un coût. L’ensemble des annuités du Gaec s’élève actuellement à 135 000 €. Le prix de base bio payé par sa coopérative, Maîtres laitiers du Cotentin, étant stable, l’objectif est d’augmenter les livraisons. C’est ce que le Gaec a réussi en 2024-2025. Il a vendu 54 000 litres en plus par rapport à 2023-2024 (514 000 l contre 460 000 l) par des livraisons mensuelles plus régulières et l’augmentation de la production par vache d’un litre livré par jour en moyenne, selon le suivi du nutritionniste indépendant Jean-Louis Hérin. Si l’on ajoute les veaux allaités par dix vaches nourrices dans l’année, la production par vache est évaluée à 6 200 l produits (dont 400 l aux veaux). Sans les 10 jersiaises et les 10 brunes, ce serait probablement plus. Elles ont été introduites il y a six ans pour soutenir les taux.

Pas assez de surface pour satisfaire les besoins en énergie

Les ressources fourragères et d’aliments à la ferme ne suffisent pas pour conduire le troupeau de 90 vaches à ce niveau d’étable. D’ailleurs, au moment du reportage, début avril, les deux associés attendaient avec impatience l’accélération de la pousse de l’herbe et la première fauche. Les stocks d’ensilage d’herbe et d’enrubannage étaient quasi à zéro. « C’est toujours tendu », confirme Jean-Louis Hérin. « Il faudrait au moins 5 ha de maïs de plus aux 10 ha actuels [NDLR : récoltés en maïs-épi en 2024] pour consolider les stocks et densifier en énergie la ration des laitières. L’élevage est dépendant des achats extérieurs d’aliments. » Les producteurs achètent des fourrages quand ils n’ont vraiment pas le choix. Leur petite région, le Cotentin, bénéficie d’une pluviométrie régulière toute l’année. « Ces conditions combinées aux sols argilo-limoneux profonds permettent un pâturage presque toute l’année », souligne Marion, en charge du suivi de la pousse d’herbe.

Les céréales de petit-déjeuner sont livrés en big bag de 500 kg, ce qui est aisé à stocker et à reprendre au chargeur téléscopique. Ils alimentent le Dac des deux robots. Les vaches les apprécient. Il faut régler leur débit, sinon elles les consomment par grosses goulées. (© C.Hue)

34 tonnes de céréales déclassées

Sur les conseils de Jean-Louis Hérin, ils achètent chaque année 60 à 65 tonnes de coproduits pour contenir le coût des concentrés. Les correcteurs azotés peuvent être de la graine de soja bio (ou soja okara issu de produits « lactés » végétaux), des tourteaux de lin expeller ou de colza gras. Ils contiennent 12 % à 15 % de matière grasse et 30-33 % de protéines. « Tout dépend de leur disponibilité sur le marché, nuance Emmanuel. En janvier, nous avons dû commander du tourteau de soja bio d’origine étrangère à 1 200 € la tonne, contre 790 € la tonne de tourteau de lin l’été dernier. Même s’il faut distribuer 0,25 kg de plus du second par vache, le coût du tourteau de soja est supérieur. » En 2024, ils ont acheté 18,2 t de tourteau de lin.

Les concentrés riches en énergie sont souvent des coproduits… de petits déjeuners. Il s’agit de flocons d’avoine, de mueslis, de céréales chocolatées, à la noisette, au miel, écartés de la commercialisation par les industriels pour défaut de fabrication. L’an passé, 34 tonnes ont ainsi été achetées dont 27,5 t de céréales. « Les vaches consomment actuellement au robot de 0,5 kg à 4 kg par jour de muesli, selon leur niveau de production. À l’auge, lorsque la part de pâturage dans la ration semi-complète tombe à 2-4 kg de MS par vache, le coproduit dont on dispose sur le moment est mélangé à la ration fourragère à hauteur de 2 kg. Dans ce cas, le big bag de 500 kg est déversé devant le front d’attaque. Protégé par une bâche l’hiver durant trois ou quatre jours, l’aliment ne se dégrade pas », poursuit Marion. Des farines boulangères peuvent être également livrées. Comme les céréales, elles sont consommées par les génisses et ce même lorsqu’elles sont distribuées au seau.

Entre 0,5 kg et 4 kg de coproduits sont distribués au robot de traite, selon le niveau de production de la laitière. Les vaches adorent. (© C.Hue)

Pour les conjoints associés, la règle, c’est l’adaptation au produit fourni et la réactivité. Quand la réserve de concentrés baisse, ils contactent Le Comptoir des aliments (Maine-et-Loire), qui leur fournit 70 % de leurs besoins. « Il faut donner rapidement notre réponse et être prêts à recevoir l’aliment dans la semaine. Il est rare que nous refusions le coproduit proposé. Cela nous est arrivé récemment pour du son de blé car il aurait été déversé sur une dalle de béton. » Les livraisons se font majoritairement en big bag ou en sac de 25 kg s’il s’agit de farine de boulangerie. Le négociant demande de vérifier systématiquement leur qualité.

Les 24 ha pâturés par les vaches sont organisés en 30 paddocks de 0,8 ha. La moitié est réservée au pâturage de jour, l'autre à celui de nuit. Elles y accèdent après leur traite du soir au robot. (© C.Hue)

« Si nous jugeons une partie non conforme, elle est retirée de la consommation et n’est pas facturée. » Le Gaec s’allie à deux élevages voisins pour permettre au Comptoir des aliments l’affrètement d’un camion semi-remorque jusqu’à l’extrême nord du département de la Manche. Cet éloignement oblige en effet Marion et Emmanuel à accepter le camion complet. « Il n’y a pas toujours de coproduits à disposition. Nous sécurisons nos achats en travaillant également avec des fabricants d’aliments qui ont pignon sur rue. »

Des correcteurs azotés à 15 % de matière grasse

L’hétérogénéité des produits oblige à recalibrer la distribution automatique au robot après chaque livraison. « Les vaches adorent les coproduits de petit déjeuner. Elles ont tendance à les consommer par grosses goulées, observe l’éleveur. Il faut réguler leur débit. Elles apprécient moins les aliments quand ils sont plus farineux. » Leur commande est accompagnée d’une fiche qui détaille les valeurs alimentaires des aliments. « La valeur énergétique des aliments floconnés est de l’ordre de 1,05 UFL/kg de matière sèche avec 35 % à 40 % de teneur en amidon tandis que celle des produits plus gras, notamment chocolatés, s’établit à 1,20 UFL, précise Jean-Louis Hérin.

En pleine pousse de l'herbe, chaque paddock est divisé en deux pour les obliger à maximiser leur consommation. La seconde partie est pâturée le lendemain. Le Gaec pratique la technique tournante dynamique. Marion Letablier gère le stock d'herbe sur pied à partir des mesures à l'herbomètre. (© C.Hue)

Il faut être pragmatique. Les prix des aliments bio du commerce sont tellement élevés qu’il faut trouver des solutions les moins chères possible pour densifier en énergie la ration. » Grâce aux coproduits de petit déjeuner achetés entre 300 € et 350 € la tonne en 2024, il évalue l’économie réalisée sur les concentrés énergétiques à 150 € la tonne si on les compare à une matière première bio telle que la farine de blé ou de maïs. Sur la partie azotée, à apport équivalent, le gain est de l’ordre de 220 €/t avec un tourteau de lin (790 €/t fin 2024) par rapport à un tourteau de soja bio (1 200 €/t début 2025, lire aussi l’encadré). « L’économie est en réalité plus élevée car, contrairement au tourteau de soja, les tourteaux de lin, de colza et le soja okara contiennent 12 % à 15 % de matière grasse. Tout ce qui concourt à densifier en énergie la ration est bon à prendre, insiste Jean-Louis Hérin. Les élevages bio en sont déficitaires. » Les éleveurs sollicitent ses conseils à chaque changement de coproduit et de transition fourragère.

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Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,35 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 7,15 €/kg net +0,04
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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