Est-il pertinent d’ajuster la complémentation individuelle en fonction des réponses propres de chaque vache ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre l’équipe de l’Institut de l’élevage qui a mené le projet Harpagon à la ferme expérimentale des Trinottières (Maine-et-Loire).
Un premier essai, en 2022, a consisté à « challenger » plusieurs fois les 70 vaches pendant six mois afin de les classer en trois catégories, selon leurs réponses à la diminution d’apport de concentré. Certaines compensent cette carence en consommant plus à l’auge, d’autres réduisent leur production laitière, d’autres encore puisent sur leurs réserves. Mais tout n’est pas simple, certaines vaches peuvent changer de profil d’un « challenge » à l’autre.
Ajuster selon le profil de la vache
Le second essai, pendant six mois en 2024, consistait à tester le concept d’alimentation de précision sur les 70 vaches. Un premier lot était en ration complète, un deuxième en ration semi-complète avec un concentré en fonction de la production laitière et le troisième, le « lot Harpagon », avec une ration de concentré individualisée, adaptée à la réponse de l’animal.
L’objectif était de déterminer l’éventuelle plus-value de l’ajustement de l’apport de concentré en fonction du profil des vaches, et non pas seulement en fonction de leur production laitière ou de leur stade de lactation. « Un animal qui diminue fortement en lait quand il baisse en concentré et qui n’est pas capable de compenser en mangeant plus à l’auge, je peux décider par exemple de maintenir sa ration de concentrés », explique Julien Jurquet, chef de projet alimentation vaches laitières et génisses à l’Institut de l’élevage (Idele).
Autre piste : si le prix du concentré est élevé et que l’éleveur veut diminuer les concentrés alors que les vaches sont en période de repro, il peut choisir de maintenir ce niveau uniquement pour les animaux qui puisent dans leurs réserves. L’intérêt final, c’est donc de faire des économies tout en valorisant les performances individuelles des vaches du troupeau.
Pas de différence entre les lots
Mais optimiser à l’échelle d’un individu permet-il d’obtenir de meilleurs résultats qu’optimiser à l’échelle d’un groupe ? « Quand on teste l’individualisation de l’allocation du concentré, on se rend compte que l’on a les mêmes performances zootechniques, la même quantité de lait produite que dans les deux lots témoins, alors que l’on a une surcharge de travail en individualisant », résume Lucile Oble, chargée du suivi zootechnique à la ferme expérimentale des Trinottières. Même ingestion de matière sèche, mêmes variations d’état corporel, et des résultats économiques similaires, avec une marge brute alimentaire de 21 700 € pour le lot Harpagon contre 21 600€ et 21 800€ pour les deux lots témoins.
À l’échelle individuelle, il y a bien quelques petites nuances, mais en réalité, malgré le cadre expérimental imposé, « ces résultats ont été soumis à de nombreux événements extérieurs que l’on ne maîtrise pas (maladie, météo, changement de silo, épisode de grippe intestinale…), et qui ont plus d'effets que le niveau de détail étudié », relativise Julien Jurquet.
Les résultats auraient donc pu être différents dans un autre contexte. « Si on veut être performant, ce n’est pas en individualisant que l’on va faire la différence », c’est plutôt en maîtrisant bien les fondamentaux, en connaissant parfaitement ses aliments, en étant capable de distribuer une ration dans de bonnes conditions, avoir une mélangeuse fiable, analyser la valeur de ses aliments, etc. » résume l’ingénieur de l’Idele.
Compliqué à déployer dans les fermes
« J’ai été bien contente de ces résultats parce que ce n’est pas de la tarte d’appliquer ce concept d’alimentation de précision d’Harpagon, dans une ferme classique ! se réjouit Lucile Oble. Il faut pouvoir challenger les vaches, avoir une auge peseuse, etc. » À la ferme expérimentale des Trinottières, ces essais ont pu être conduits parce qu’il y avait des techniciens sur place et des appareils de mesure.
Et même si les fermes lambda sont de plus en plus équipées d’automates, « le retour sur investissement d’un robot de traite avec Dac et compteur à lait est très long, la priorité des éleveurs souhaitant s’équiper ne sera donc pas de faire de l’alimentation de précision mais bien d’alléger les astreintes horaires et diminuer la pénibilité du travail, analyse Valentine Landais, chargée d’études à l’Idele. Alors si l’on devait mettre en œuvre le concept dans les fermes d’élevage, il faudrait « simplifier le protocole, qui reste très chronophage par rapport aux gains économiques espérés ».
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