
Le Gaec du Champ Aubry a abandonné le pâturage. Il mise sur des dérobées soigneusement choisies et une complémentation efficace pour faire du lait et de la marge. Sans modifier la quantité de concentrés, la production laitière a augmenté de 10 litres par vache.
D’emblée, Élodie et Anthony Tardivel, éleveurs laitiers à Hénon (Côtes-d’Armor), énoncent leurs priorités. « Nous cherchons à progresser, pas-à-pas, parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps, nous sommes méticuleux », explique Élodie. « Nous voulons valoriser tout ce que nous produisons, ajoute Anthony. Notre herbe, par exemple, doit être récoltée au bon stade, être stockée dans de bonnes conditions, pour qu’à la fin elle soit transformée en lait, sans perte. »
L'EXPLOITATION
- À Hénon (Côtes- d’Armor)
- Gaec à deux associés, 1 salarié à mi-temps, 1 apprentie, 1 aide familial
- 145 vaches holsteins
- 10 700 l de lait par vache à 43,1 de TB et 34,1 de TP
- 1,6 Ml lait produit
- 125 ha sur le site principal, dont 66 en maïs, 46 en blé et 13 en herbe ; 37 ha de dérobées après les céréales
- 55 ha sur un second site à 30 km : 15 en blé, 15 en prairies naturelles, 11,5 en maïs, 8 en orge, 6 en colza
Depuis l’installation d’un second robot de traite en 2021, les éleveurs ont abandonné le pâturage. Ils cherchent une ration efficace et stable sur l’année afin de maximiser la production de lait par les fourrages et limiter les achats d’aliments onéreux. Cela implique d’apporter des protéines, donc de l’ensilage d’herbe riche en MAT. Au début en salle de traite, les vaches produisaient en moyenne 25 kg de lait par jour, ce qui était insuffisant.
Les éleveurs ont d’abord introduit du maïs grain pour concentrer la ration, à raison de 1 kg/vache/jour. Très vite, le lait est monté de 1 kg/vache/jour et les taux sont passés de 31/38 à 32/40. Les éleveurs ont noté une amélioration de l’état corporel des animaux.
Bilan fourrager pour caler les productions sur les besoins
Ensuite, ils ont réalisé un bilan fourrager avec le technicien en nutrition et lait de leur coopérative Eureden, Bertrand Galodé. « L’idée était de revoir notre assolement pour semer ce dont nous avons vraiment besoin pour nourrir les laitières », note Anthony. Il s’avère que pour un régime comprenant 14 kg de MS de maïs et 3 kg de MS d’ensilage d’herbe toute l’année, la surface en prairie pérenne est insuffisante. Les éleveurs avaient l’habitude de semer des dérobées après les céréales pour augmenter leur production de fourrages. Ces dérobées – du RGI récolté en enrubannage – occupent 37 ha. À l’époque, les éleveurs recherchaient un volume important de fourrages et ne réalisaient pas d’analyse. Par ailleurs, avec l’abandon du pâturage, ils ont opté pour le stockage en silo, qui facilite la reprise au quotidien et coûte moins cher que l’enrubanné.


L’exploitation dispose de deux sites, l’un de 125 ha autour du siège et l’autre de 55 ha à 30 km. Pour des raisons pratiques, les éleveurs cherchent à produire un maximum de fourrages à proximité. L’autre sert surtout aux cultures de vente et à la production de foin. « Lorsqu’on y ensile de l’herbe, la qualité n’est pas suffisante pour les laitières. » Ces fourrages sont donc valorisés par les génisses.
Des mélanges riches en MAT en dérobées
Le bilan fourrager a conduit à faire évoluer la production des dérobées afin d’augmenter la valeur nutritionnelle des récoltes. Le RGI a été remplacé par un mélange (Prota plus) associant deux RGI (alternatif et non alternatif), deux trèfles incarnats (précoce et tardif) et du trèfle de Micheli. Les analyses montrent que l’ensilage récolté atteint les objectifs des éleveurs concernant la MAT, soit 16,5 %. Ils ont adopté ce mélange depuis plusieurs années et la régularité de la qualité leur procure une sécurité appréciable.
Toujours est-il qu’ils ont testé un autre mélange cette année, « pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Celui-ci associe deux types de seigle à la place du RGI, de la vesce d’hiver, de la vesce velue, du trèfle incarnat et du trèfle de Perse (Bar Secale). Son intérêt réside dans sa richesse en MAT. Ce fourrage entrera dans la ration au printemps prochain. S’il est trop tôt pour l’apprécier, les essais d’Eureden sur d’autres sites montrent des rendements moyens de 3,59 t de MS/ha pour une teneur en MAT de 22,87 % en 2024. Ils atteignent respectivement 2,6 t et 21,8 % en 2025.
Amortir des coûts de semences élevés
Les éleveurs sont bien conscients du coût que représentent ces cultures dérobées. En semences, l’investissement se monte à 110 €/ha pour le Prota plus, 130 € pour le Bar Secale, contre environ 70 € pour du RGI-trèfle. Rentabiliser ces dépenses implique de trouver le bon compromis entre le rendement et la valeur alimentaire. « On fauche durant la seconde quinzaine d’avril, en fonction du stade des plantes et de la météo. On récolte autour de 4 t de MS/ha avec des teneurs en MAT autour de 16 %. » Le maïs est semé ensuite, début mai. La charge de travail est donc importante au printemps du fait de l’étendue des surfaces en dérobées.
Ces cultures semées à la mi-septembre pourraient être exploitées une première fois à l’automne si les éleveurs ne manquaient pas de temps pour le faire. En outre, ils sèment des couverts végétaux après la récolte du maïs, sur les quelques hectares qui ne portent pas de céréales. Il s’agit d’un mélange avoine-seigle, qui est détruit au printemps pour servir d’engrais vert au maïs qui suit. Pour rentabiliser ces investissements dans les dérobées, les éleveurs veillent aussi aux conditions de récolte. « On travaille avec la Cuma pour l’ensilage d’herbe. On fait attention au réglage de la machine pour obtenir des brins de 2 cm. C’est essentiel car c’est ça qui fait le lait », explique Élodie. Et, pour sécuriser la conservation, ils utilisent un inoculant, incorporé à l’herbe au moment de la récolte. Ils ont comparé deux silos d’ensilage d’herbe, avec et sans conservateurs, et le résultat est clair : la température de l’ensilage monte moins et se stabilise plus vite en présence de l’inoculant. Compte tenu de ces résultats, les éleveurs ont testé puis adopté les inoculants sur le maïs. Début juillet, alors que la température atteignait 35 °C, le fourrage ne chauffait pas à l’auge et continuait d’être bien consommé par les vaches.
Les conservateurs sont rentables
Des diagnostics de silo ont été réalisés. Ils incluent des mesures de densité et aussi de températures du front d’attaque, grâce à une caméra thermique. Cela permet de confirmer qu’il n’y a pas d’échauffement. Bertrand Galodé a calculé que les conservateurs font passer le taux de pertes de 10 à 5 %. La meilleure qualité du fourrage permet de produire plus de lait. Au total, il évalue le gain à 500 €/ha pour l’ensilage de maïs et 100 €/ha pour l’ensilage d’herbe. Une fois la production de fourrages de qualité maîtrisée, les éleveurs ont affiné la ration avec Eureden. Ils travaillent avec un groupe d’éleveurs sur la marge sur coût alimentaire. Des levures vivantes ont ainsi été ajoutées à la ration il y a quelques années. Elles permettent d’améliorer l’efficacité alimentaire et les taux. Les bouses ont d’abord été passées au tamis (grilles de 2 et 5 mm) pour évaluer la dégradation des fibres. Au départ, on retrouvait 30 % de fibres. Après l’apport de levures, le taux est tombé à 18 %, soit 12,9 % avec le tamis à 2 mm et 5,6 % avec celui à 5 mm. De très bons résultats sachant que l’objectif est de se situer en dessous de 24 %. La production laitière est montée à 28 kg. Ensuite, les éleveurs ont ajouté de la lysine et de la méthionine à la ration. « Quand la production laitière augmente, certaines vaches peuvent se retrouver en déficit », justifie Bertrand Galodé. Les taux sont montés à 44 pour le TB et 34 pour le TP l’hiver dernier. Les éleveurs s’y retrouvent sur le prix du lait. Ils ont dès lors adopté cette pratique.
L’acquisition d’un robot d’alimentation en projet
Enfin, depuis juin 2025, ils enrichissent la ration des laitières en matière grasse. En effet, les vaches produisant beaucoup, autour de 50 kg de lait, se trouvaient parfois en acétonémie. Leur ration manquait d’énergie. Il semble que les taux, qui fluctuaient parfois en début de lactation, sont maintenant plus stables. Il faudra que cette tendance se confirme. Des mesures de glycémie seront effectuées. Cette logique d’avancer progressivement pour tout optimiser porte ses fruits. Les éleveurs sont satisfaits. Ils constatent que la complémentation au robot a peu augmenté depuis quatre ans. Mais la production par vache est passée à 38 kg/VL/j. C’est donc essentiellement grâce aux fourrages que la productivité laitière a progressé. Outre la ration, les éleveurs sont vigilants sur le confort des vaches, surtout depuis qu’elles ne sortent plus. Le bâtiment est bien ventilé. Des tapis posés sur les aires d’exercice ont permis d’améliorer le confort et la détection des chaleurs pour un coût de 50 000 €. Un robot racleur permet de garder ces surfaces propres. Pour l’avenir, les éleveurs réfléchissent à un investissement dans un robot d’alimentation. « Ce serait plus facile de se faire remplacer », estime Élodie. Car, aujourd’hui, la charge de travail est élevée et le couple peine à prendre des week-ends et des vacances. Ils parviennent à se libérer une journée de temps en temps quand l’apprentie est présente. Ils ont trois enfants de 7, 5 et 1 an et voudraient pouvoir leur consacrer davantage de temps.
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