
Dans le Beaufortain, la retenue collinaire de l’EARL de la Combe permet de sécuriser la saison d’alpage, sur laquelle est basée la rentabilité de l’exploitation. Histoire d’une construction et d’un partenariat avec le domaine skiable voisin.
L’alpage, c’est presque la moitié de la vie de David Grosset-Janin. L’éleveur y monte chaque année du 1er juin à la fin septembre. « C’est aussi le fonds de commerce avec lequel je gagne ma vie », complète-t-il. Alors ce Savoyard avait une obsession : « Le sécuriser pour moi et la génération suivante. » Installé en EARL à Hauteluce depuis 1997 après avoir repris la ferme d’un cousin, il produit 292 000 l en AOP beaufort, qu’il livre à la coopérative locale. « J’ai vite compris que je devais optimiser à 120 % mon alpage pour faire du lait mieux payé avec moins de charges, confie l’éleveur. En trois ans, j’ai décalé tous mes vêlages sur les mois de printemps, pour faire le maximum de lait entre juin et août, quand le prix du lait est au plus haut. »
Chaque été, il monte 120 vaches sur ses 200 hectares d’alpage, dont la moitié lui appartient et l’autre est louée à des propriétaires privés. Son propre cheptel de 70 laitières est complété pendant quatre mois par deux troupeaux pris en pension, qu’il trait durant tout l’été. Les génisses montent à leur tour vers la mi-août, après avoir pâturé les 25 ha de prairies naturelles non fauchables autour de l’exploitation. Trois salariés saisonniers secondent l’éleveur : un en alpage avec lui, et deux en bas pour s’occuper des 30 ha de fauche.
Pendant longtemps, l’eau n’a pas été un gros sujet dans le Beaufortain. Malgré l’absence de glacier pour servir de château d’eau, les précipitations liquides (pluie) et solides (neige) y étaient suffisantes pour que l’herbe continue à pousser et les sources à couler tout au long de l’été. Et puis il y eut 2003. « C’était ma première grosse sécheresse, témoigne David Grosset-Janin. J’ai charrié de l’eau pendant quatre mois pour abreuver mes bêtes, qui n’étaient que 80 à l’époque. » Cette année-là, alors que tout est sec, il repère sur son alpage un filet d’eau qui continue de couler. « Je l’ai surveillé pendant dix ans, reprend-il. Et en 2013, avec l’aide de la SEA 73 (Société d’économie alpestre de Savoie) et les financements du PPT (plan pastoral territorial), nous avons trouvé la source, capté l’eau et créé deux citernes enterrées de 10 m3 chacune. »
70 000 € d’aide grâce au PPT
Il réalise ces travaux en même temps que la rénovation de son chalet d’alpage, pour un investissement total de 150 000 € HT. Il obtient l’aide maximale du PPT, soit 70 000 €. Financé à parts égales par la Région et le Feader, ce plan peut en effet prendre en charge jusqu’à 70 % du coût total, dans la limite de 100 000 €.
Mais les étés chauds et secs se multiplient. Pour son troupeau qui boit de 10 à 12 m3 par jour, voire plus de 15 m3 lors des canicules, l’éleveur s’aperçoit que les deux cuves ne suffisent pas à faire tampon. Lors de fortes chaleurs, il doit à nouveau charrier de l’eau. « Je voulais que l’alpage soit autonome en eau, relate-t-il. En 2020, j’ai donc pensé à construire une retenue collinaire qui se remplirait en récupérant le trop-plein de la source au moment de la fonte des neiges. » À l’époque, sur ce territoire, seuls les domaines skiables étaient équipés d’infrastructures de stockage d’eau.
Fonte des neiges
C’est d’ailleurs le cas à la station des Contamines-Montjoie dont les pistes traversent son alpage : une grosse retenue de 52 000 m3 y a été construite en 2004 pour alimenter les canons à neige. De son côté, David Grosset-Janin n’a besoin que de 800 m3.
Mais, parce qu’il est dans un site classé, il met largement plus d’un an à décrocher l’autorisation administrative. La Société d’économie alpestre l’accompagne dans ce projet pour réaliser les études préalables, choisir le site et monter le dossier de financement du PPT. Ce dernier prend à nouveau en charge 70 000 € sur les 110 000 € investis.
Depuis trois ans, la retenue est en eau, se remplissant chaque printemps grâce à la fonte des neiges. « Désormais, je suis capable de passer une sécheresse qui durerait de juillet à septembre, se félicite l’alpagiste. Et nous avons creusé des tranchées et enterré trois kilomètres de tuyaux qui dispatchent l’eau dans sept points répartis sur l’alpage, où j’installe mes abreuvoirs mobiles. » Le fond du bassin est tapissé d’une bâche en caoutchouc qui sera à renouveler au bout de trente ans. Le pourtour du bassin est grillagé : une obligation imposée par le plan local d’urbanisme (PLU). « C’est de toute façon une mesure de sécurité essentielle par rapport aux promeneurs, car l’ouvrage est situé en plein sur le tour du Beaufortain », souligne l’éleveur. Obligé de changer chaque année ses grillages endommagés par la neige, il envisage de les remplacer par des poteaux et des filets amovibles.
« La qualité de l’eau est contrôlée deux fois par an, souligne l’éleveur. Elle n’a jamais posé de problème : l’eau qui arrive dans le bassin est très froide et elle n’y stagne pas. Son renouvellement permanent empêche les bactéries de se développer. » Ces dernières années, il est arrivé que la source qui alimente la retenue et les deux citernes se tarisse au cours de l’été. Mais la ressource de l’alpagiste est sécurisée grâce à la station de ski des Contamines-Montjoie.



Un accord mutuel avec les domaines skiables
« Nous avons raccordé notre propre retenue d’eau à celle de David Grosset-Janin, explique Didier Mollard, le directeur du domaine skiable. Nous avons un accord mutuel : en cas de sécheresse estivale, il pourra remplir sa retenue avec la nôtre. Et inversement si nous avons besoin d’eau en hiver. » Aucune de ces deux situations ne s’est encore produite, mais cet accord écrit et d’une durée illimitée est un gage de sécurité. D’autant que la réserve du domaine skiable n’est jamais à sec. « Nous ne sommes pas sur le réseau d’eau potable et ne pompons pas dans les nappes : la retenue se remplit naturellement après l’hiver grâce à la fonte des neiges, reprend son directeur. Pour l’instant, nous sommes plutôt bien lotis. Et nous avons un accord avec une centrale hydroélectrique et un barrage situés à proximité, ce qui permet de compléter notre remplissage. Cependant, nous sommes très conscients que l’eau sera de plus en plus un sujet à l’avenir, et qu’il faut absolument la respecter et la protéger. »
Si David Grosset-Janin est le seul à avoir construit sa propre retenue sur cet alpage, plusieurs éleveurs bénéficient de celle de la station de ski. « Nous avons installé une prise d’eau sur la retenue d’eau où les alpagistes peuvent venir gratuitement remplir leur citerne, souligne Didier Mollard. Nous en avons aussi installé sur plusieurs canalisations d’enneigeurs, ce qui permet de se brancher à différents endroits du domaine. En cas de sécheresse, nous pourrions ainsi remettre en eau nos canalisations pour que les éleveurs puissent accéder à l’eau sur leur alpage. » Le directeur du domaine se félicite des très bonnes relations entretenues avec les éleveurs, gage d’un bon entretien des alpages et des pistes de ski.
Ce type de partenariat avec les domaines skiables est appelé à se multiplier. « Dès que c’est possible, nous préférons partager l’usage d’une retenue existante plutôt qu’en créer de nouvelles, souligne Baptiste Lajournade-Colin, référent eau au service pastoral de Savoie (SEA 73). Avec le domaine skiable des Saisies, par exemple, nous avons profité de l’extension des canalisations de neige de culture pour installer une adduction d’eau pour les éleveurs pastoraux. Au lieu d’ouvrir une tranchée spécialement pour eux, cela a permis de bénéficier des travaux d’ingénierie et des études environnementales réalisés par le domaine.
Et une convention a été signée entre le domaine et les alpagistes. Il y a des compteurs à la sortie de la retenue d’eau pour chaque adduction partant en alpage, ce qui permet de suivre les consommations, même si le domaine ne facture pas les mètres cubes consommés. » L’eau est donc gratuite pour les quelque vingt éleveurs situés sur l’emprise du domaine, mais la distribution peut être payante : « En cas d’écoulement gravitaire, il n’y aura rien à payer, explique-t-on à la station des Saisies. En revanche, s’il y a besoin de relevage, nous partageons la charge énergétique. »



Gain de temps et de fuel
Pour sa part, David Grosset-Janin n’a jamais eu besoin du secours du domaine skiable : « C’est la preuve que l’hydrogéologue de la SEA a trouvé le bon endroit pour créer ma retenue et qu’elle est bien dimensionnée », sourit-il. Depuis que l’eau est amenée directement dans les abreuvoirs répartis sur l’alpage, l’éleveur économise « du temps, de la main-d’œuvre salariée et du fuel. » Pourtant, tous les problèmes ne sont pas réglés. « Je suis assuré de ne plus manquer d’eau pour abreuver mes bêtes, mais ce sont désormais la pousse de l’herbe et la chaleur qui pénalisent la production, observe-t-il. Le pic de lactation est de plus en plus court. La flore évolue. Et, en ce moment, comme presque chaque été depuis quelques années, je perds 30 % de production à cause de la chaleur ! Je ne remettrai pas en cause mon système car c’est le mode de vie que j’ai choisi… Mais, pour quelqu’un comme moi qui a tout misé sur l’alpage, un été trop chaud et trop sec c’est 20 000 € de chiffre d’affaires en moins. »
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