Quand la gourmandise met en danger

La région limitrophe Nord-Mayenne et Ille-et-Vilaine est réputée pour son cidre de qualité, qui n’a rien à envier à la Normandie, donc par extension pour ses pommes. Or, même si cela devient plus rare, ces fruits peuvent s’avérer très dangereux pour des grands animaux. En un an et demi, nous avons eu deux cas de vaches victimes de leur gourmandise, dans des élevages différents.

En août 2020, un éleveur appelle pour une génisse gestante de plusieurs mois ballonnée, qui ne mange plus depuis une durée indéterminée.

À notre arrivée, la génisse est effectivement gonflée et pour cause : un objet circulaire est palpable dans l’œsophage. Son origine ne reste pas inconnue longtemps : deux pommiers s’épanouissent dans le champ, avec des branches à hauteur de vache… La pomme est suffisamment grosse pour ne pas passer le cardia (rétrécissement entre l’œsophage et le rumen), mais nous arrivons à la sentir et à la faire remonter le long de l’œsophage, par palpation de la région du cou. Pourtant, impossible de la faire ressortir toute seule, la zone du pharynx est trop étroite, et l’anatomie de la vache ne permet pas à la pomme de repasser dans la bouche… Nous voilà donc bien embêtés, avec cette pomme coincée qui empêche la vache d’éructer. De ce fait, les gaz qui se forment dans le rumen ne peuvent s’évacuer et la météorisation peut rapidement être fatale. Devant l’urgence, un trocart est posé pour nous laisser le temps de réfléchir. Le lendemain, nous nous déplaçons à deux vétérinaires. La vache est légèrement tranquillisée, juste pour rester debout au cornadis. Nous avons retrouvé dans les vieux outils de la clinique une sorte d’écarteur de médecine humaine, avec lequel nous réussissons à maintenir sa bouche ouverte. Le but est de l’utiliser comme un pas-d’âne pour les chevaux. L’association des forces est ensuite nécessaire : l’un de nous fait remonter la pomme jusqu’en haut de l’œsophage par pression le long du cou, pendant que l’autre enfonce le bras jusqu’au fond de la bouche. Après deux tentatives, nous sortons une belle pomme à peine croquée ! Plus d’un an après, la génisse n’a gardé aucune séquelle : elle a vêlé deux mois plus tard et sa lactation se déroule normalement.

En août 2021, un épisode similaire se produit, malheureusement avec une issue plus funeste pour la vache. C’est une blonde d’Aquitaine de 7 ans dont le vêlage est prévu dans un mois et demi, qui se trouve dans un petit champ derrière la maison. Quelques pommiers sont plantés le long de la haie depuis des années, sans qu’aucun n’ait jamais posé problème, jusqu’à ce jour…

En forme le matin, morte le midi

La vache a été vue à 9 heures le matin en pleine forme, et retrouvée gonflée et morte à midi. L’éleveur nous contacte le lendemain, mais il pense déjà à la pomme. L’autopsie nous confirmera rapidement son hypothèse… L’œsophage apparaît très abîmé et lorsqu’on passe le bras dedans, en remontant vers la bouche, la pomme est présente. Elle est cette fois bien bloquée derrière le pharynx et plus difficile à déloger. Pour cette vache, la météorisation puis la mort ont été bien plus rapides que pour la première, puisque le fruit ne pouvait pas du tout bouger.

Un élément aussi anodin qu’une pomme nous rappelle qu’en médecine vétérinaire, une seule cause peut provoquer des symptômes variables, avec des évolutions bien différentes. La seconde pomme était sans doute plus grosse que la première pour provoquer une réelle occlusion, ou elle a peut-être été ingérée plus rapidement, avec un port de tête différent. En conclusion, les pommiers sont toujours à surveiller, et il reste préférable d’aller plus vite que les vaches pour la cueillette…