
D'après notre enquête, la baisse du prix du lait frôle les 60 €/1 000 l chez Sodiaal et Lactalis, à peine moins chez Savencia. Quelques PME-PMI limitent la casse en reculant de moins de 50 €, n'effaçant pas complètement les hausses de 2013 et 2014.
LA BAISSE DU PRIX DU LAIT EN 2015 N'A PAS AFFECTÉ toutes les trésoreries avec la même intensité. L'impact est particulièrement douloureux chez les livreurs de ténors de l'industrie. D'après notre observatoire, les producteurs Sodiaal et Lactalis encaissent une chute proche de 60 €/1 000 l. C'est plus que la hausse qu'ils avaient cumulée en 2013 et 2014.
Avec ses 17 € « d'à-valoir » alloués d'octobre à décembre, Lactalis finit l'année entre 308 et 318 €/1 000 l (lait super A, tank en propriété), toujours collé aux basques de Sodiaal, mais un poil devant pour ne pas apparaître comme le moins-disant, du moins en qualité super A. Stratégique ! À peine 2 €/1 000 l les séparent, 0,60 € dans l'Ouest. Exception dans les OP Lactalis avec l'OPNC en Basse-Normandie : elle voit son prix un peu moins malmené, en baisse de 55 € à 321,40 €, quand l'OPLGO y recule de 58,50 €, à 318 €. L'explication tient aux 40 € versés sur les livraisons d'avril, à la suite de la médiation dans le cadre de la démarche juridique engagée par l'OPNC contre Lactalis début 2015 (lire p. 20).
PRIX MOYEN DU LAIT B SODIAAL : 223 €/1 000 L
En retrait de 59 à 61 € selon les régions, Sodiaal termine entre 307,50 et 313 €/1 000 l. Cela en situation favorable pour des livraisons limitées à 10 % de lait B. Avec du B payé en moyenne 223,05 €/1 000 l sur l'année, la sanction est plus lourde pour ceux qui se sont laissés tenter par des volumes de développement. Certes, leur chiffre d'affaires a augmenté sous l'effet volume, mais avec 30 % de lait B (plafond autorisé), leur prix annuel tombe sous les 300 €.
Troisième poids lourd de l'industrie, Savencia-Bongrain se distingue par une baisse à peine moins marquée (53 à 56 €/1 000 l) et un prix moyen qui se détache un peu de celui de Lactalis et Sodiaal. L'explication tient surtout à la prime décidée à l'automne par l'entreprise, proportionnelle à la sous-réalisation du volume contractuel de ses OP. Les 20 €/1 000 l versés dans l'Est à l'APLBG sur le dernier trimestre permettent à ses producteurs de terminer à 319 €... Plus de 6 € devant les Sodiaal et 4 € devant les Lactalis. L'écart est moindre dans l'Ouest où la prime accordée n'a été que de 10 €. Les producteurs de l'OP Cleps accusent une baisse de 56 €, à 312,45 €. Mais pour les producteurs adhérents de FMB Ouest livrant Savencia, exclus de ce dispositif de prime, le recul est plus sévère (58,50 € à 309,90 €).
PLUS DE 70 €/1 000 L DE BAISSE À LA PROSPÉRITÉ FERMIÈRE
La contre-performance de La Prospérité Fermière, en retrait de plus de 70 €/1 000 l à 307,80 €, la plus forte baisse observée, n'est pas surprenante. Cette coopérative spécialisée dans la fabrication de poudres de lait a subi de plein fouet le retournement du marché. Délicate aussi l'année 2015 pour les producteurs de Terra Lacta. Leur prix moyen chute de près de 68 € à 298,40 €/1 000 l, seule entreprise de notre observatoire sous les 300 €. Mais contrairement aux coopérateurs nordistes, tout le lait des associés coopérateurs de Terra Lacta est payé au prix A avec des possibilités de développement importantes (ce que n'intègre pas notre observatoire). Ce n'est pas le cas à La Prospérité où tout développement se fait avec du lait au prix B.
L'ÉCART SE CREUSE AVEC CERTAINES PME-PMI
Le recul du prix du lait 2015 apparaît nettement moins important pour les livreurs de certaines PME-PMI, creusant l'écart avec les leaders de l'industrie. Les moins touchés sont ceux de deux coopératives spécialisées dans les produits frais. Alsace lait, en baisse de 34,40 €, termine à 355 €/1 000 l, le meilleur prix observé. C'est 40 € de plus dans le Grand Est qu'une exploitation livrant Lactalis ou Sodiaal... soit 20 000 € de chiffre d'affaires supplémentaires, sans parler des volumes dont les producteurs alsaciens ont pu jouir sans être bridés. Les Maîtres Laitiers du Cotentin, en recul de 38,60 €, finissent à 335,20 €/1 000 l devant Danone, numéro un en Basse-Normandie. En 2014, ils avaient terminé à la dernière place (à 373,80 €).
À noter aussi la baisse atténuée de deux entreprises spécialisées dans le lait de consommation, seul produit laitier dont les prix de vente à la distribution ont augmenté depuis l'été. Propriété d'Intermarché, la laiterie Saint-Père termine à la première place du bassin Bretagne-Pays de la Loire à 333,50 €/1 000 l (- 40,50 €). Dans le Centre, la laiterie de Saint-Denis-de-l'Hôtel pointe à 332 € (- 45 €). On trouve d'autres PME-PMI de dimension régionale, dont la baisse de prix reste inférieure à ce que les producteurs avaient engrangé les deux années précédentes. C'est le cas des fabricants de fromages du Grand Est. Exemple avec l'Union Laitière Vittelloise, coopérative historique des fromageries Ermitage. Reléguée cette année à la seconde place de notre observatoire, elle a payé à une moyenne de 345 € (- 49,70 €). Autre spécialiste de pâtes molles, Milleret, avec son avance de 34 €/1 000 l accordée au dernier trimestre, finit à 332 € (- 46,50 €).
DES PRIX DE BASE À MOINS DE 280 € EN JANVIER
Inimaginable après cette annus horribilis de voir les producteurs accepter sans broncher le coup de massue des prix annoncés pour janvier. Car il en va de la survie de beaucoup, notamment des récents investisseurs. Les manifestations qui se sont multipliées témoignent de cette urgence.
Chez Lactalis, les prix de base imposés pour janvier tournent, flexibilité déduite, autour de 270 €, avec la prime de froid (271 € en Normandie, 275 € en Bretagne-Pays de la Loire, 272 € dans l'Est ). Chez Savencia, le reliquat de la prime 2015 (liée à la sous-réalisation des OP et versée sur janvier) donne l'illusion d'un prix de base un peu supérieur : 277 € dans l'Ouest et 291 € dans l'Est. Autres laiteries à moins de 280 € : Agrial (274,80 €), Senagral (274,20 €) et Terra Lacta (275 €). Laïta,Eurial et Isigny sont à 283 €, Ermitage à 294 €. Les livreurs de Bel (303 €), des Maîtres Laitiers (308 €), de Saint-Père (313 €) et de Saint-Denis-de-l'Hôtel (315 €) s'en tirent mieux.
MAIN TENDUE DE SODIAAL ET DE LA FNPL AUX GMS
Dans ce concert d'annonces, celle des 300 € de Sodiaal, bien au-dessus du prix Lactalis, a pris une tournure symbolique. Le numéro un de la coopération dit clairement que c'est un appel pour des négociations commerciales responsables avec les GMS afin de préserver la filière partout en France. Car pour espérer atténuer la nouvelle baisse du prix qui s'annonce pour 2016 (on redoute un - 10 à - 20 €/1 000 l), Sodiaal, comme les autres, a besoin de conserver ses parts du marché national et surtout ses tarifs sur ses produits de grande consommation, qu'ils soient sous MDD ou marques d'entreprise. « Ces 300 €sont une valeur bien supérieure à ce que donnent les index de marché (N.D.L.R. : de 270 à 275 €) et c'est un signal fort de notre volonté de défendre la filière. Mais nous n'aurons pas d'autres choix que de revenir au prix des index, si les négociations avec les GMS échouent », insiste Damien Lacombe, président de Sodiaal. Nul doute qu'il sera le premier à signer la charte des valeurs imaginée par la FNPL avec le même dessein : préserver la valorisation du lait national sur le marché des PGC France, qui assure 55 % de son débouché.
Mais que reste-t-il donc du concert de bonnes intentions des GMS aux sorties des tables rondes ? Rien, à écouter les retours des entreprises qui, sur les PGC sous MDD, ont commencé à répondre à des appel d'offres avec des prix à la baisse. « Le prix a baissé en 2015 et les GMS veulent en profiter. L'enquête de l'UE sur les tables rondes leur donne un bon argument pour faire table rase de leurs paroles passées », résume cet industriel. Il y a aussi une pléthore de produits, fabriqués avec un lait moins cher, qui frappent à nos portes. Depuis l'été, les Allemands sont à moins de 275 €.
COEUR DU PROBLÈME : L'OFFRE DE LAIT DANS L'UNION EUROPÉENNE
La tension particulière qui entoure cette année les négociations avec les GMS tient à l'absence de perspectives sur le marché des produits industriels. À l'automne, des entreprises faisaient l'hypothèse d'un prix 2016 égal à 2015, en misant sur une reprise des cours au second semestre. Elle n'est pas au rendez-vous.
« On pensait devoir affronter une crise en forme de V. On est en réalité dans un U, dont on ne connaît pas la largeur », image Benoît Rouyer, économiste du Cniel. Certes, l'embargo russe et le retour des achats chinois à un niveau normal (ils avaient anormalement explosé en 2013) pèsent. Mais le coeur du problème tient à une offre trop abondante. Cela surtout du fait de l'UE, car la collecte a ralenti en Amérique du Sud, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis.
« La collecte européenne a beau avoir atteint son creux saisonnier, elle bondit encore pour atteindre 1,7 % sur les onze premiers mois de 2015 et 4,8 % en novembre. De nombreux États membres montrent une collecte en accélération pour contrebalancer les prix en baisse », observe l'économiste. C'est notamment le cas en Irlande (+ 48 % en novembre) ou aux Pays-Bas (+ 14 % en novembre). Il est vrai aussi qu'avec le prix du lait de ces dernières années, les Néerlandais ont les reins solides (voir infographie). La seule lueur d'espoir serait de voir la collecte d'Europe du Nord ralentir et, avec elle, les chiffres de l'UE... donnant un signe aux acheteurs internationaux pour réamorcer la pompe.
JEAN-MICHEL VOCORET
Pas étonnant que les manifestations de producteurs aient démarré en Bretagne à l'annonce des prix de janvier. Les récents investisseurs, jeunes agriculteurs en première ligne, y sont légion. Et les annuités y pèsent très... trop lourd au regard d'un chiffre d'affaires en chute libre. © FRANÇOIS DESTOC/MAXPPP
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