
À la Conférence de Paris sur le climat, qui a lieu jusqu'au 11 décembre, l'élevage bovin et ses émissions de méthane sont sur le banc des accusés. L'Europe et ses producteurs passent à l'offensive.
CELA N'ARRÊTE PAS DEPUIS PLUS D'UN MOIS, soupirait un éleveur qui écoute quotidiennement la radio, à l'approche de la Conférence sur le changement climatique dite COP21. Moins consommer de viande et de lait fait partie des solutions avancées pour lutter contre le réchauffement climatique. » Avec, selon les calculs, 8 à 12,6 % des émissions nationales de gaz à effet de serre (9,4 % au niveau mondial), l'élevage bovin et son méthane entérique sont en ligne de mire. De quoi décourager les éleveurs qui investissent pour lutter contre les nitrates, font des efforts pour baisser les produits phytosanitaires (p. 21), etc. Beaucoup se demandent si le sommet mondial, qui s'achève le 11 décembre, aura des conséquences sur leur quotidien. S'il en a, elles devraient plutôt être positives pour l'agriculture. C'est du moins l'espoir que fondent les organisations agricoles françaises et européennes et les pays membres de l'Union européenne. Le secteur agricole veut être considéré comme une solution à la lutte contre le réchauffement climatique.
TROIS ATOUTS DANS SA MANCHE
Si l'agriculture émet du méthane, du protoxyde d'azote et du dioxyde de carbone, elle stocke aussi du carbone, en particulier dans les prairies, ce qui n'est pas reconnu aujourd'hui dans le calcul de ses émissions. Celles affichées sont donc brutes, sans déduction du carbone.« Il serait souhaitable que l'accord prévoit des principes communs de comptabilisation des émissions et des absorptions de l'agriculture », indique Nathalie Guesdon, la chef du bureau changement climatique et biodiversité au ministère de l'Agriculture. Avec l'Europe, c'est ce que la France défend à la COP21.
L'autre reconnaissance visée, et qui est soutenue par la grande majorité des pays et les organisations agricoles, concerne la sécurité alimentaire. « Au-delà de l'enjeu climatique, l'agriculture porte l'enjeu de la sécurité alimentaire mondiale », confirme-t-elle. Et si la contribution de l'agriculture à la production d'énergies renouvelables est reconnue, ce sommet sera un franc succès.
Pour l'élevage bovin, cette contribution concerne en premier lieu la méthanisation. La France n'a pas attendu la conférence climat pour la mettre en avant. On se souvient de l'objectif des mille méthaniseurs à la ferme, avancé par Stéphane Le Foll en 2013. Le développement de la méthanisation vient d'être réaffirmé dans la loi de transition énergétique publiée le 17 août.
LES ÉLEVEURS FRANÇAIS ENCOURAGÉS, PAS OBLIGÉS
Soucieux de montrer patte blanche à la COP21, le gouvernement vient de finaliser sa politique en publiant, le 19 novembre, le décret qui définit sa stratégie bas carbone. Sans rentrer dans les détails, retenons qu'elle décline pour chaque secteur un objectif de réduction des émissions. Pour l'agriculture, il est de 12 % en 2028 par rapport à 2013.
Cet objectif se traduira-t-il par des contraintes pour les éleveurs laitiers ? « Non, répond Nathalie Guesdon. Nous sommes dans une politique incitative. La "stratégie nationale bas carbone" n'occasionne pas d'obligations réglementaires pour les professionnels. Elle donne les orientations sur les actions à mener dans chaque secteur. L'effort demandé à l'agriculture est un chiffrage indicatif, défini à partir d'un travail prospectif. » Il est donc fait appel à l'intelligence du secteur agricole, sachant qu'il faudra tout de même obtenir des résultats dans les quinze prochaines années.
La menace réglementaire planait pourtant, mais par un autre canal : celui des polluants atmosphériques sur lesquels planche l'Union européenne avec l'instauration de plafond par pays pour l'ammoniac et le méthane. Le Parlement européen vient de décider d'exempter les ruminants pour le méthane.
Mais la politique incitative que veut développer le gouvernement sera-t-elle soutenue par des fonds d'accompagnement ?Visiblement non. Il faudra faire avec l'existant, à savoir : les mesures agroenvironnementales et climatiques, les groupements d'intérêt économique et environnemental, et les aides à l'investissement relatives au Fonds européen de développement régional (Feder). La démarche « Ferme laitière bas carbone », que le Cniel lance, colle parfaitement à cette logique incitative.
LA FILIÈRE LAITIÈRE DANS LES STARTING-BLOCKS
À partir de l'amélioration des pratiques, la filière estime réaliste une réduction des émissions de l'élevage de 20 % en dix ans. Si l'éleveur le souhaite, un diagnostic peut être fait sur son atelier laitier « Nous avons l'ambition de toucher le maximum d'éleveurs », indique Thierry Geslain du Cniel (encadré). Chambres d'agriculture, contrôles laitiers et dix industriels (1) sont impliqués.
L'autre acteur à la pointe sur le sujet est l'association Bleu Blanc Coeur. Elle a pris un autre chemin. Elle s'appuie sur une alimentation des vaches plus riche en omega 3, connue pour limiter la fabrication du méthane entérique (p. 48).
La stratégie bas carbone française est le fruit d'un long processus qui débute à Kyoto en 1997. Les pays signataires de l'accord s'engageaient à réduire les émissions de GES de 5 %, en moyenne, en 2008-2012, par rapport à 1990. Il entre péniblement en vigueur en 2005 avec, parmi les plus motivés, l'Europe et la France. Elles continuent sur cette lancée. Le Conseil européen vient de se prononcer pour les baisser d'au moins 40 % d'ici à 2030 par rapport à 1990. La France affiche la même ambition, mais va plus loin pour 2050 en visant une division par quatre (facteur 4). « Cet objectif est difficilement atteignable en agriculture. Ce serait au détriment de sa capacité de production, ce qui n'est pas souhaité », précise Nathalie Guesdon. Lui est donc fixé un objectif de baisse de 50 % (facteur 2). C'est tout ce paquet que la France met sur la table à la COP21.
CLAIRE HUE
(1) Danone, Savencia, Agrial, Bel, Sodiaal, Even, Triskalia, Terrena, Syndicat de l'époisses et Prospérité Fermière.
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