LA COLÈRE DES PRODUCTEURS LAITIERS NE DÉSENFLE PAS. Le blocage des accès à la ville de Caen (Calvados) mi-juillet, avec leurs collègues bovins viande, est l'une des actions les plus emblématiques de l'été, émaillé de manifs contre les GMS, des entreprises et l'administration. Les producteurs que L'Éleveur laitier a rencontrés « ne demandent pas la lune » : juste un prix autour des 350 €/1 000 litres pour vivre dignement de leur travail. Le temps des 400 à 450 €, revendiqués durant la crise de 2009 et quasi atteints l'an passé, est révolu. Ils ont compris que ce niveau répond à des situations de marché exceptionnelles.
Il n'empêche que l'acheminement du prix de base 2015 vers les 300 € - si l'on s'en tient aux indicateurs - est dur, voire impossible à avaler. « Je n'ai pas contracté de "court terme". Ce sont mes fournisseurs qui font l'effort, confie l'un d'entre eux. Ils attendront le versement des aides Pac pour être payés. » « L'allégement des charges ou le rééchelonnement des dettes sont un pansement, pas une solution », ajoute un autre, faisant allusion au plan d'urgence lancé par le gouvernement. « J'ai fini de payer cet été le prêt de consolidation fait en 2009. »
LE SPACE DE RENNES MOUVEMENTÉ
Les regards sont aujourd'hui braqués sur les transformateurs et les GMS, et leur capacité à trouver un terrain d'entente pour sortir du spectre des 300 € annuels (p. 18, 22 et 169).
Ils sont aussi tournés vers le gouvernement et sa volonté de créer les conditions de sortie de crise. De même, L'Europe aura-t-elle entendu le désarroi des producteurs le 7 septembre à Bruxelles (après notre bouclage) en renforçant les mécanismes de gestion de crise ?
Si les producteurs ne jugent pas les efforts de tous ces acteurs suffisants, le Space de Rennes, mi-septembre, sera mouvementé.
CLAIRE HUE, AVEC ANNE BRÉHIER ET PASCALE LE CANN
« Je ne demande pas la lune, seulement un prix à 350 € »
DEPUIS LA GRÈVE DU LAIT, JE N'AI PARTICIPÉ À AUCUNE ACTION DE MANIFESTATION. Je ne suis pas adhérent à la FDSEA, mais lorsque j'ai été contacté par SMS pour participer à son action de blocage de la ville de Caen le 12 juillet, je n'ai pas hésité.
Je n'ai pas souscrit d'emprunt à court terme en 2009. J'en ai contracté un cette année. La différence entre ces deux crises, c'est qu'en six ans, toutes les charges en intrants ont augmenté. Je livre mon lait à Danone. Si le prix de base remonte cet été (N.D.L.R : p.170, prix A à 352,35 €/1 000 l en juillet et 348,27 € en août, avec prime froid), il a fallu tout de même supporter au premier semestre des prix qui sont descendus jusqu'à 271,43 €/1 000 l.
« JE NE SUIS PAS UN MAGICIEN »
Les laiteries, les abattoirs et les enseignes de distribution doivent prendre en compte nos coûts de production. Il faut revaloriser le prix de nos produits. Je ne suis pas un magicien. Je ne vois pas les charges que je pourrais réduire. Je ne ferme pas le silo de maïs au printemps car je dois respecter la référence de volume inscrite dans mon contrat. Je ne demande pas la lune, seulement un prix au niveau des dernières années, c'est-à-dire en moyenne autour de 350 €/1 000 l. C'était juste ce qu'il fallait. »
« S'adapter à la volatilité, d'accord, mais il faut nous en donner les moyens »
ON NOUS DEMANDE D'ÊTRE COMPÉTITIFS, DE RESPECTER L'ENVIRONNEMENT, de payer la main-d'oeuvre plus cher que nos collègues européens, d'accord, mais encore faut-il que nous soyons dotés d'outils appropriés pour résister au prix du lait bas. Le système fiscal français incite à investir pour payer moins de charges sociales et d'impôts, pas à épargner lorsque la conjoncture est favorable. De plus, le lissage du prix du lait à la française ne nous permet pas de profiter pleinement de la volatilité lorsque les marchés sont au plus haut. Quand ils s'effondrent, nous sommes logés à la même enseigne que les producteurs allemands, par exemple, qui ont un système de fixation beaucoup plus réactif que le nôtre. Pour faire face à la chute des prix, le report des charges n'est pas une solution durable. Nous avons besoin d'outils de régulation des marchés efficaces.
« UN PRIX DE BASE 2015 QUI TOMBE À 300 €/1 000 L SI RIEN N'EST FAIT »
Le prix d'équilibre du Gaec, c'est-à-dire rémunération comprise, est de 325 €/1 000 l. On pourrait le juger bien en deçà de la moyenne des exploitations laitières. À mon installation en 2009, le Gaec a choisi des investissements économes, avec l'affectation des bâtiments laitiers existants aux élèves, pas de construction de nurserie et une salle de traite achetée d'occasion. D'ailleurs, l'ensemble de notre parc matériel est acheté de cette manière. La coopérative Agrial, à laquelle le Gaec livre le lait, a versé un prix de base de 315,03 €/1 000 l en juillet et vient d'annoncer une augmentation de celui d'août de 11 € pour atteindre 326 €. Celui de septembre, indiqué avant la table ronde du 24 juillet qui a rassemblé la filière laitière et Stéphane Le Foll, reste pour l'instant à 300,03 €. S'il n'y a pas une revalorisation jusqu'en décembre, le prix de base 2015 tombera à 300 €. Dans tous les cas, le prix d'équilibre des jeunes qui ont investi plus que moi sera supérieur au prix du lait qu'ils vont percevoir, qualité et primes confondues. Même s'ils font aujourd'hui un effort, je suis en colère contre les distributeurs qui prennent en étau les transformateurs. Les industriels ont des marges de manoeuvre limitées : soit ils s'alignent sur des prix à la baisse, soit ils sont déréférencés. Comme ils répercutent sur les producteurs, au final, c'est nous qui trinquons. »
« L'État impose les règles, il doit assumer son rôle d'arbitre »
NICOLAS FAUVEL A TRAVAILLÉ UN AN COMME TECHNICIEN en aliments pour porcs avant de s'installer avec son père en mars 2015. Une expérience enrichissante : « J'ai vu que les éleveurs qui s'en sortent sont ceux qui ont de bonnes performances techniques et qui maîtrisent leurs charges de structures. Les investissements doivent porter sur des équipements rentables. » Le jeune éleveur a pris pleinement conscience de la volatilité des prix avant de s'installer. « Je sais que je n'ai pas droit à l'erreur, mais être éleveur, c'est aussi un choix de vie. Il faut un minimum d'équipements pour travailler dans de bonnes conditions. » Le troupeau des parents comptait 40 vaches. Avec l'arrivée de Nicolas, le volume de référence devrait monter à environ 600 000-700 000 l. Pour adapter le bâtiment sans l'agrandir, tout en améliorant les conditions de travail et la précision dans le suivi du troupeau, les éleveurs ont choisi d'investir dans un robot. « L'étude économique a montré que le projet était viable avec un prix du lait à 330 €/1 000 l, ce qui me semblait raisonnable. Mais si nous avons touché 361 € en 2014, nous sommes à 300 € depuis le début de l'année. » Et la crise porcine est encore plus grave aux yeux des éleveurs.
« NOS SPÉCIFICITÉS NOUS TUENT ! »
Le père et le fils ont participé à de nombreuses manifestations pendant l'été. Vice-président de la FDSEA des Côtes-d'Armor, Patrick explique : « L'État doit jouer son rôle d'arbitre. Il nous impose des règles qui ne sont pas les mêmes que celles de nos voisins. L'agriculture est tellement administrée que nous devons payer des prestataires de service pour être en conformité. Nous avons un problème de compétitivité et nos difficultés sont partiellement dues à des spécificités françaises. L'État doit le comprendre et l'assumer. » Si les mesures annoncées en juillet n'ont pas satisfait ces éleveurs, ils ont pu constater que les collectivités locales étaient réceptives à leur message. « Elles ont compris l'importance économique de l'élevage dans les Côtes-d'Armor et pris conscience du rôle qu'elles peuvent jouer en privilégiant l'approvisionnement local. » De même, les éleveurs ont perçu la force de la mobilisation et le soutien du grand public au gré des discussions durant leurs actions.
« Ras-le-bol d'être la variable d'ajustement de la filière ! »
ENCORE PLUS QUE LA SÉCHERESSE DE CET ÉTÉ qui aura un impact négatif sur le résultat de l'exploitation, c'est la chute du prix du lait qui exaspère Mathieu Vassel.
« Le 24 août, on ne sait toujours pas à quel prix sera payé le lait livré ce mois-ci à Lactalis. C'est inacceptable », dénonce Mathieu qui s'installera le 1er janvier en Gaec avec son père Bernard (50 primholsteins). « En juin et juillet, notre prix de base s'est élevé à 311 €/1 000 litres, bien en dessous des 370 € qui seraient nécessaires pour couvrir nos charges et vivre dignement de notre métier. »
Actuellement en pré-installation, le jeune éleveur a participé aux nombreuses manifestations de l'été, y compris au blocage de Lyon en juillet. « Pleurnicher dans son coin ne sert à rien. Il faut rester mobilisé tant qu'on n'aura pas eu d'avancées sur le prix du lait. On en a marre de rogner sur nos marges. Il faut construire un prix qui tienne compte des coûts de production. » Avec la sécheresse et les grosses chaleurs de l'été, les coûts vont augmenter.
« NE PAS SE METTRE EN DANGER AVEC UN NOUVEAU BÂTIMENT »
« Depuis deux mois, la pâture est arrêtée et les vaches sont sur la ration hivernale maïs-herbe. Outre les 16 tonnes de paille à 85 €/t déjà rentrées, il faudra acheter des sous-produits pour compenser la perte de qualité des maïs qui seront ensilés fin août. » Au lieu des 13 tonnes de MS habituelles, Mathieu table sur 8 ou 9. « Certains pieds n'ont pas de panouilles ou des épis mal fécondés. » Les cinq hectares de maïs supplémentaires, implantés l'an passé et cette année pour préparer l'augmentation de production liée à l'installation de Mathieu (350 000 à 450 000 l), ne seront pas de trop pour limiter la casse. Dans cette conjoncture difficile et incertaine, le projet de construction d'un bâtiment pour génisses sera reporté. Les nouveaux silos attendront. « Pas question de mettre en danger l'exploitation ou nos vies privées, explique le jeune marié. Pas question de rogner sur nos prélèvements pour financer le nouveau bâtiment. On optimisera l'outil existant. La stabulation construite au début des années 1980 est amortie. » À court terme, les éleveurs devront toutefois doubler leurs capacités de stockage des effluents liés au classement du secteur en zone nitrates.
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