VOLATILITÉ DES PRIX : MÊME PAS PEUR !

Les élevages qui ont investi ces deux ou trois dernières années sont les plus fragilisés par un mauvais prix du lait.© CLAUDIUS THIRIET
Les élevages qui ont investi ces deux ou trois dernières années sont les plus fragilisés par un mauvais prix du lait.© CLAUDIUS THIRIET (©)

Les éleveurs allemands se sont préparés à vivre avec des prix du lait plus volatils. La déprime des cours les fait davantage s'adresser à leur conseiller et à leur banquier.

LES PRODUCTEURS DE LAIT ALLEMANDS FONT LA GRIMACE. Dans le nord du pays, la paye de juin n'a apporté aucune embellie à un prix de base scotché depuis le début de l'année aux alentours de 280 €/1 000 litres, quand ce n'est pas moins dans certaines laiteries... « Les éleveurs n'ont pas ressenti le recul du prix comme un choc parce qu'ils pensaient que la remontée serait rapide. Maintenant, ils s'inquiètent davantage. Ils savent que cela va durer avec le risque d'une baisse supplémentaire. Le marché est versatile. Il faut faire avec », analyse Werner Rüther, directeur de l'interprofession laitière de Basse-Saxe.

La filière subit une double pression. Obligée d'exporter en raison d'un taux d'autosuffisance de 116 %, elle a d'abord souffert de l'essoufflement de la demande mondiale, asiatique en particulier. Elle enregistre depuis mai la dégradation de son marché national où la grande distribution, voulant profiter de l'aubaine offerte par une demande molle, a réclamé (et obtenu) des baisses sur des produits de référence, comme la brique de lait et le beurre. « Aux prix actuels, plus de 80 % des éleveurs ne couvrent plus leurs coûts de production. Même les meilleurs ont besoin d'un minimum de 300 €/1 000 l, juge Albert Hortmann-Scholten, responsable du département économie à la chambre d'agriculture de Basse-Saxe. À l'avenir, les variations de prix vont être d'une ampleur jamais connue jusqu'à présent. Tous les éleveurs n'ont pas encore pris la mesure de ce changement. Il y aura des faillites dans le lait, comme il y en a déjà eu dans le porc. Je suis convaincu que les marges en lait vont baisser et que les éleveurs seront obligés d'augmenter leurs livraisons rien que pour maintenir leur revenu. »

Les producteurs qui ont investi récemment dans leur agrandissement sont les plus fragiles, surtout s'ils ont vu un peu trop grand. « Ce sont souvent de gros ateliers qui ont fondé leur investissement sur un prix de 300 €/1 000 l. Leur delta est immense. Ils peuvent engranger beaucoup de gains mais aussi de pertes », signale Werner Rüther.

« LES QUOTAS NE JOUENT PLUS AUCUN RÔLE DEPUIS 2011 »

Une autre catégorie va passer un mauvais moment dès le mois d'août : les élevages sanctionnés pour dépassement de leur référence sur la dernière campagne des quotas. La facture globale nationale de 300 M€ (environ 0,20 €/l) englobe des élevages ayant livré jusqu'à 40 % de plus. Le seul filin de secours qui leur est proposé est la possibilité d'un emprunt à taux bonifié. La situation a beau être tendue dans le nord de l'Allemagne, une majorité d'éleveurs ne souhaite pas revenir en arrière. « Les quotas ne jouent plus aucun rôle depuis 2011, tranche Günther Doyen, conseiller de clientèle à la Volksbank. La mutualisation au niveau national des sous-réalisations a permis à chacun de livrer quasiment tout le lait qu'il voulait. Le quota a apporté peu, mais a coûté beaucoup à ceux qui en ont acheté. Il n'a pas empêché de fortes variations de prix, le déplacement inéluctable de la production vers les régions côtières du nord de l'Allemagne et la restructuration. Sur mon secteur, la moitié des élevages est déjà de 100 vaches et plus. C'est un mouvement naturel qui se poursuivra. »

« IL N'Y A PAS DE RECETTE COLLECTIVE POUR SE LIBÉRER DE LA VOLATILITÉ »

L'opinion que le secteur laitier pourrait connaître les mêmes cycles de hautes et de basses eaux comme le secteur porcin, revient souvent dans les discussions avec les éleveurs. Comment alors réagir en cas de crise ? Le DBV, le syndicat agricole majoritaire, réclame un ajustement du prix d'intervention, de 21,5 cents actuellement, aux environs de 23-24 cents pour sécuriser un peu plus les producteurs, mais sans donner de signal à certains pays tentés de produire à seule fin de remplir les « frigos » européens. La filière évoque, elle, la possibilité d'un système d'assurance de prix « à l'américaine » mais sans être certaine - s'il voit le jour - qu'il fonctionne et influence beaucoup le cours des choses... Elle croit plus sérieusement au marché à terme. L'instrument aurait la faveur de certains éleveurs, mais ne suscite guère l'enthousiasme des laiteries. « En théorie, cela fonctionne. Mais le marché à terme est trop abstrait. Les acheteurs manquent. Pour les laiteries, il s'agit de faire du négoce, sans avoir la sécurité du prix comme le vendeur », explique Albert Hortmann-

Scholten. « Les volumes présentés restent très limités. Le prix Eurex reflète mal le marché. Mais pour DMK, cet outil pourrait être une solution partielle de gestion du risque pour ses membres qui ont 150 vaches et plus, car c'est à partir de ce seuil que l'on dispose d'un volume suffisant de lait pour en contractualiser une partie », juge Michael Steinmann, responsable de projet chez le premier collecteur allemand.

« Il n'y a pas de recette collective pour s'affranchir de la volatilité. À chacun d'arbitrer individuellement en fonction de sa propre situation », lance Werner Rüther. Si les éleveurs qui disposent d'un revenu annexe (méthanisation, énergie solaire ou éolienne) peuvent encaisser les bas prix plus longtemps, leurs collègues spécialisés n'ont que des moyens classiques à leur disposition.

Le premier est bien entendu de mobiliser les réserves laissées par les bonnes campagnes 2013 et 2014. Mais en Allemagne comme en France, le fisc ne se prive pas de réclamer son dû, ce qui diminue le potentiel de résistance des éleveurs, encore plus s'ils viennent d'investir ces deux ou trois dernières années. La réduction des charges est sans surprise un autre levier à manipuler. « L'analyse des bilans des exploitations montre des écarts de coûts de production énormes ! », constate Michael Steinmann. Un organisme de conseil en élevage comme le Beratungsring Beverstedt recommande, par exemple, à ses adhérents d'étudier l'étalement de l'amortissement des fosses à lisier et des silos, de profiter si possible de la demande en génisses et en ensilage de maïs, de fonctionner avec des comptes prévisionnels, et... d'être en contact étroit avec son banquier ! « Après une étude détaillée des comptes, nous pouvons refinancer ou avancer 20 000 ou 50 000 €selon la taille et les besoins des élevages, leurs perspectives de succession ou leurs projets. C'est du cas par cas ! », lance Günther Doyen.

« LES BONS ÉLEVAGES S'EN SORTENT TOUJOURS »

L'option de lever le pied n'est guère prisée. Libres depuis mai de produire comme bon leur semble, les éleveurs sont peu nombreux à y songer. « Même quand les prix sont mauvais, il leur faut livrer le plus de lait possible afin de répartir au mieux les charges fixes », rappelle Albert Hortmann-Scholten.

Les éleveurs n'aiment pas non plus perturber leurs animaux souvent très productifs en changeant leur ration.

« Il est trop tôt pour chiffrer le nombre d'élevages mis en difficulté en Allemagne par le recul des prix. Les petites unités dans le sud et le centre du pays où les fourrages, qui pèsent grosso modo pour 50 % des charges de production, coûtent plus cher à produire et seront les premières victimes de bas prix persistants. Les élevages du Nord seront moins touchés car ils profitent de l'herbe et de fabriques d'aliments performantes qui incorporent des matières premières végétales importées par bateau et transportées par péniche. » Günther Doyen confirme : « J'assume le suivi d'ateliers de 70 à 200 vaches. Beaucoup n'ont pas de problèmes. Les bons élevages s'en sortent toujours. L'après-quota impose une autre manière de raisonner. Il faut faire des réserves quand le prix du lait est élevé et travailler avec sa banque quand il est bas. Mais les prix bas ne sont pas une fatalité. Ils ne seront pas illimités dans le temps. »

KONRAD RICHTER

Werner Rüther, directeur de l'interprofession laitière de Basse-Saxe : « Le marché est versatile, il faut faire avec. »

Michael Steinmann, responsable de projet chez DMK, premier collecteur allemand : « Les écarts de coûts de production vont jusqu'à 13 c/kg. »

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
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Herbe

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