OP ET AOP : LES PRODUCTEURS À LA CROISÉE DES CHEMINS

Le renouvellement des contrats dans dix-huit mois et l'audit sur la contractualisation qui débute sont l'occasion d'aménager la relation producteurs-industriels privés, voire d'en rebattre les cartes.© JÉRÔME CHABANNE
Le renouvellement des contrats dans dix-huit mois et l'audit sur la contractualisation qui débute sont l'occasion d'aménager la relation producteurs-industriels privés, voire d'en rebattre les cartes.© JÉRÔME CHABANNE (©)

La contractualisation lancée en 2011 n'a pas créé une relation équilibrée avec les industriels privés. Les producteurs veulent inverser la tendance en ayant la main sur les volumes.

QUATRE ANS APRÈS LE COUP D'ENVOI DE LA CONTRACTUALISATION entre producteurs et transformateurs, le résultat est plus que mitigé. Rappelons-nous. Le 31 décembre 2010, le Journal officiel publie un décret mettant en place l'obligation d'un engagement contractuel d'une durée minimale de cinq ans. Il impose une proposition de contrat avant le 1er avril 2011, sous peine d'une forte amende. Les industriels privés, qui n'ont pas de contrat écrit, s'y plient et envoient une première proposition à leurs livreurs. Les coopératives disposent d'une date butoir plus éloignée : le 1er juillet. Ayant déjà un contrat avec leurs membres, elles doivent « seulement » le mettre en conformité avec le décret. Ce dernier n'est pas sorti soudainement du chapeau du ministère de l'Agriculture, dirigé par Bruno Le Maire. La grève du lait de 2009 et l'appel à une régulation de la production laitière nationale et européenne sont passés par là. Au sein du Cniel, la contractualisation fait déjà depuis trois ans l'objet de réflexions pour construire une relation « gagnant-gagnant ». Cela aboutit d'ailleurs... deux mois après le décret à un Guide des bonnes pratiques contractuelles dont on n'a plus jamais entendu parler !

POURQUOI LA CONTRACTUALISATION PATINE-T-ELLE ?

Si les pouvoirs publics voulaient donner les clés des volumes et des prix à l'aval de la filière, ils ne pouvaient pas s'y prendre autrement. En publiant le décret sans laisser le temps aux livreurs des laiteries privées de se structurer, ces derniers n'avaient pas les bonnes cartes pour défendre au mieux leurs intérêts. Le gouvernement a-t-il cédé à la facilité de l'affichage ? On peut le penser. Il aurait été plus judicieux d'attendre que les discussions européennes sur la capacité des producteurs à s'organiser soient finalisées. Elles ont abouti en février 2012 avec l'adoption du mini-paquet lait.

Bref, la contractualisation à la française s'est construite à l'envers. Après le décret « contrat » fin 2010, est publié le 19 avril 2012 le décret « organisation de producteurs », traduction du mini-paquet lait. Seulement, entre les deux, les grands groupes privés ont le temps de faire une seconde proposition de contrat dans des conditions plus ou moins sereines.

QUELLE STRATÉGIE MÈNENT LES ENTREPRISES ?

Deux stratégies émergent. D'un côté, Danone, Bongrain-Savencia ou Bel qui jouent le jeu de la structuration des producteurs. Ils acceptent le principe d'un montage contractuel tripartite, défendu par la FNPL (voir l'évolution de sa position en fin d'article). Même si les associations de producteurs ne sont pas reconnues en OP, ils signent un contrat-cadre avec elles qui définit la relation commerciale. Un contrat d'application, signé cette fois-ci entre le producteur et l'entreprise, y fait référence et mentionne les données du livreur (quota et aujourd'hui volume contractuel). Évidemment, ce dispositif incite les producteurs à adhérer aux organisations de producteurs. Les taux d'adhésion, entre 75 et 95 %, sont là pour en témoigner. Bongrain-Savencia va même plus loin puisque des rencontres nationales sont aujourd'hui « institutionnalisées », en particulier sur le prix du lait (chaque fin de trimestre).

De l'autre côté, le leader privé Lactalis préfère des contrats 100 % individuels avec les producteurs. On se souvient de l'hiver 2011-2012 et des échanges houleux à la « je t'aime, moi non plus ». Au final, le groupe ne cède pas sur le principe des contrats individuels et signe une convention de fonctionnement avec les groupements de producteurs transformés aujourd'hui en OP, sans que ces derniers obtiennent de quelconques avantages pour leurs adhérents. Conséquence : dix-sept OP existent mais ne rassemblent pas plus d'un tiers des livreurs. La cessibilité des contrats sur quatorze départements accordée à l'OPLGO est une brèche dans cette stratégie (voir ci-dessus).

POURQUOI L'OUEST VEUT-IL CRÉER UNE AOP DE BASSIN ?

Toutes ces OP sont verticales, c'est-à-dire construites par rapport à un site ou une région de collecte de l'entreprise. Pour les OP liées à la même entreprise, l'étape suivante pourra être la création d'une association d'OP (AOP). C'est ce que préparent les OP Bongrain pour donner un cadre légal à leur délégation nationale. « Elle nous permettra surtout de faire appel ensemble à des cabinets d'experts pour nous aider à préparer les négociations. Nous avons besoin d'un maximum d'informations pour être performants », avance Sylvain Desgranges, représentant de Cleps Ouest dans la délégation nationale. Selon lui, l'idéal serait d'adhérer à la fois à cette AOP verticale et à une association rassemblant les OP d'un même bassin de production. Problème : en dehors des signes officiels de qualité, la réglementation française n'autorise pas cette double adhésion. Cela ne l'empêche pas de participer au projet de création d'une AOP Bretagne-Pays de la Loire (voire Basse-Normandie) qui fédérera toutes les OP des deux régions agréées ou en cours d'agrément (les quatre OP Bongrain, les deux Lactalis OPLGO et APLBL, Bel, Rolland, Sill, et Saint-Père). Les bas-normandes Mont-Blanc et Danone se disent intéressées.

« L'organisation de producteurs restera l'interlocuteur privilégié de l'entreprise », indique Christian Le Nan, président de l'OP Rolland (Finistère) et moteur du projet. Il espère le dépôt des statuts de l'association loi 1901 début septembre. « Si l'industriel a besoin de volumes supplémentaires, ils seront d'abord contractualisés avec elle. Si elle ne peut pas totalement le satisfaire, elle remontera l'information à l'AOP qui se tournera vers les autres organisations de producteurs. Plus largement, si la production ou les estimations de production du territoire sont supérieures aux volumes contractualisés, pourquoi ne pas chercher des volumes pour la partie excédentaire ? Cela passera par un démarchage des entreprises, y compris les coopératives, pour étudier leurs besoins, même ponctuels. Ce ne sera pas une AOP commerciale », insiste-t-il (voir la position des coopératives p. 16). Cette démarche sera d'autant plus aisée à mener que les organisations de producteurs seront capables d'établir des prévisions annuelles de production. À condition que le contrat n'exige pas l'exclusivité des livraisons à l'industriel. C'est le cas par exemple de Savencia et de Danone.

Les OP du projet Grand-Ouest sont plutôt attachées à la cessibilité des contrats individuels ou d'application qui reflètent, selon elles, par le volume contractualisé des décennies de travail. D'ailleurs, dans les bassins laitiers dynamiques, des ventes de gré à gré commencent à se conclure.

QUELLE AOP DE BASSIN DÉFENDENT LA FNPL ET LES JA ?

Les JA et la FNPL sont opposés aux contrats marchands. Eux aussi promeuvent l'idée d'une AOP par bassin pour équilibrer les rapports de force et créer une concurrence entre laiteries mais avec un autre montage. « Les producteurs adhèrent à l'OP et leur donnent leur mandat mais seule l'OP signe un contrat collectif avec l'industriel. L'OP pourra adhérer ensuite à l'AOP de bassin pour échanger des informations et ainsi fluidifier volumes produits et besoins, indique la FNPL. En l'absence de contrat producteur-entreprise, il n'y a donc pas de contrat cessible et donc pas de marchandisation. Alors que la France a évité les quotas marchands, il serait dommage de se créer cette charge. Les pays nord-européens s'en sont libérés avec l'abolition des quotas. » Une position que la FNPL a présentée à Albi (Tarn) au mois de mars et qui s'appuie sur la récente loi d'avenir. Le texte parle, non pas de contrat collectif, mais de contrat-cadre qui peut être rendu obligatoire par deux biais : un décret d'application ou un accord interprofessionnel. Dans le second scénario, pas sûr que les deux familles de transformateurs aient envie de répondre présent, le Cniel n'étant plus leur lieu d'échanges avec les producteurs pour les volumes, prix et contrats. « L'idéal, bien sûr, serait d'aboutir à un contrat collectif après discussions entre l'entreprise et l'OP », souligne le syndicat. Il exposera ses arguments lors du très prochainaudit sur la contractualisation. Il proposera également la double adhésion à une AOP verticale et transversale. Un modèle que synthétisent les OP France Milk Board mais qui peine à décoller, faute d'adhésions suffisantes.

Les livreurs des industriels privés sont à la croisée des chemins. Contrats cessibles ou non cessibles? Rester en OP, voire AOP verticale, ou adhérer à une AOP de bassin pour avoir plus de pouvoir sur les volumes et prix ? Sans oublier le préalable : proposer des organisations de producteurs plus « sexy » à ceux qui ne sont pas encore adhérents.

L'arrivée à échéance fin 2016 des premiers contrats est le bon moment pour les industriels et les organisations de producteurs qui en ont envie de rebattre les cartes. L'installation des quotas ne s'est pas faite en un jour. Il est logique que l'après-quotas connaisse des balbutiements.

CLAIRE HUE

Le 1er avril, plus de 400 éleveurs étaient présents à l'assemblée générale de l'organisation de producteurs Cleps Ouest. Avec les onze autres OP Bongrain, elle projette de créer une association d'OP. Parallèlement, elle participe à la réflexion pour une AOP de bassin Bretagne-Pays de la Loire.

© C.H.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

Tapez un ou plusieurs mots-clés...