
La grande région Nord-Picardie se distingue par un tissu industriel dense, en même temps qu'un risque de déprise. Dans ce contexte, la redistribution concertée des volumes à l'échelle de la conférence de bassin est un axe prioritaire.
EN DÉCEMBRE 2013, UN GROUPE DE 13 ÉLEVEURS DU PAS-DE-CALAIS signifiait à Danone son intention de cesser toute collaboration, en vue de rejoindre La Prospérité Fermière. Après un préavis de un an, ils sont désormais collectés par la coopérative du Pas-de-Calais. Cette démarche a été entreprise avant la signature du contrat-cadre passé entre l'OP livrant à l'usine Danone de Bailleul et la laiterie privée. « Je ne suis pas parti pour une question de prix du lait, mais à cause du manque de dialogue et de visibilité avec Danone, dans un contexte où les négociations autour du contrat-cadre pour l'après-quotas achoppaient sur la question de l'attribution de volumes, précise l'un de ces éleveurs qui préfère conserver l'anonymat. Or, mon fils souhaite revenir sur l'exploitation. C'est pourquoi nous avons sollicité La Prospérité Fermière qui avait entrepris une vraie réflexion avec des perspectives pour l'installation des jeunes (voir encadré). » Dans le même temps, une exploitation de plus de un million de litres, localisée dans le Nord, a quitté Danone, mais pour rejoindre Milcobel - dans l'optique de saturer son outil de production -, une coopérative belge dont la grille de paiement du lait favorise l'agrandissement via une prime quantité très incitative : un complément de prix de + 15,70 €/1 000 litres à partir de 50 000 litres livrés par mois, qui augmente progressivement jusqu'à +19,60 €/1 000 litres au-delà de 250 000 litres/mois et des pénalités en dessous de 15 000 litres.
L'OPPORTUNITÉ DE CHANGER DE LAITERIE
La menace réelle de perdre davantage que les quelque 8 millions de litres de ce petit groupe d'éleveurs aura peut-être eu le mérite d'accélérer les négociations entre l'OP et sa laiterie. Elles ont finalement cosigné le contrat-cadre sur la base d'une gestion mutualisée des volumes, dans une fourchette de 95 à 105 % de la référence historique (680 producteurs et 240 Ml).
« Dans un marché désormais libre, et après des années de régulation, il est normal que certains producteurs changent de laiterie, rappelle la direction de Danone. Notre volonté est de sécuriser l'approvisionnement en lait de nos usines en tenant compte des attentes communes des éleveurs et de Danone Produits frais France. Par exemple, dans le Nord, nous avons défini avec l'OP un système de détermination et de suivi collectif des volumes de tous ses membres. » Chez un autre industriel privé de la région, c'est le non-respect du contrat qui a conduit l'OP livrant à l'usine de Cuincy à saisir la justice contre le groupe Lactalis. « C'est notre seul recours, car le contrat exclut de nuire à l'image du groupe, et donc le recours à l'action syndicale, souligne Joël Bray, président de l'OP. Si l'action judiciaire s'enlise, il restera une autre solution : un départ groupé vers La Prospérité Fermière ou Laitnaa. » (voir témoignages).
DES COOPÉRATIVES DANS UNE LOGIQUE DE DÉVELOPPEMENT
Ces deux exemples s'inscrivent dans le cadre d'une transmission classique entre deux laiteries encore sous le régime des quotas. Ils montrent aussi que dans un bassin riche de son industrie laitière diversifiée, les éleveurs ont encore la possibilité de changer de laiterie à l'issue de leur contrat lorsque les intérêts divergent. « S'il n'y a pas de perspectives de développement chez le privé, les producteurs doivent avoir la liberté de changer de laiterie, à condition de trouver une coopérative qui les accepte, souligne Serge Capron, président de l'Association des producteurs de lait du Pas-de-Calais. C'est pourquoi il est important d'avoir des coopératives dans une logique de développement. » La Prospérité Fermière, Lact'Union et Laitnaa sont trois coopératives régionales qui s'inscrivent dans cette logique : atteindre une taille critique pour répondre aux attentes d'une clientèle globalisée.
SÉCURISER L'APPROVISIONNEMENT A LONG TERME
« La force de notre coopérative sera en rapport avec le nombre de nos adhérents et la diversité de notre collecte, explique Gilles Desgrousilliers, président de La Prospérité Fermière. Ces 7 millions de litres venant de Danone participent à donner davantage de rayonnement à notre coopérative. Plus notre capacité industrielle et le nombre de nos adhérents seront élevés, plus cela renforce notre crédibilité vis-à-vis des autres acteurs de la filière. » Les coopérateurs historiques, qui développent leurs livraisons avec du volume B, pourraient se sentir lésés de voir du A attribué à de nouveaux entrants. Mais sur ce territoire, la problématique est ailleurs : « Il ne faut pas opposer les adhérents, car sur notre zone, les éleveurs qui souhaitent se développer fortement sont loin d'être majoritaires. Nous estimons leur nombre à environ 200. En revanche, 80 millions de litres n'ont pas de repreneur à plus ou moins long terme. L'enjeu porte donc sur le renouvellement des générations. Aussi, le conseil d'administration a choisi de privilégier les JA par l'attribution de volumes A et de laisser par ailleurs la possibilité de contractualiser du volume B, qui pourra être converti en A selon nos débouchés. À court terme, cela pénalise un peu les historiques, mais à long terme, cela donne davantage de résilience à l'entreprise », ajoute-t-il.
MUTUALISER LES VOLUMES, AU SERVICE D'UN TERRITOIRE
Plus largement, l'ADPL estime qu'un tiers des éleveurs ont la volonté et la capacité de se développer, un tiers sont bien calés dans un système déjà à saturation et un tiers projettent de s'arrêter à plus ou moins long terme. « Or, si on perd un tiers des producteurs, on court aussi le risque de perdre les outils industriels », prévient Serge Capron. Face à ce risque de déprise, la réflexion syndicale veut s'inscrire dans un cadre collectif à l'échelon de la conférence de bassin, lieu de gouvernance de la filière qui rassemble les producteurs, les transformateurs et les pouvoirs publics. Ils peuvent pour cela s'appuyer sur une structuration très aboutie des OP dans les laiteries privées (Danone, Lactalis, Bongrain et Novandie) où les adhésions vont de 95 à 100 % et dont chaque président est membre d'un bureau restreint du syndicalisme majoritaire. « Du volume se libère tous les ans. La priorité consiste désormais à trouver une entente collective pour accompagner l'installation des jeunes et conforter les petites structures. Il y a beaucoup à faire, mais il existe un consensus au sein du collège de producteurs autour d'un axe prioritaire : l'affectation des volumes et le renouvellement des générations pour permettre à chacun de se développer sans déstabiliser la filière. »
Un sujet d'importance porte donc sur le rôle économique et politique que pourrait jouer à l'avenir la conférence de bassin laitier, mais il faut pour cela que toutes les parties soient d'accord. « La collecte de ces volumes complémentaires pourrait être gérée par une organisation de coopératives forte, chargée de les dispatcher sans concurrence en fonction des besoins, à travers des accords de travail à façon ou encore d'investissements communs. » Forte de son outil de transformation de Saint-Pol-sur-Ternoise d'une capacité maximale de 700 millions de litres, La Prospérité Fermière pourrait jouer ce rôle. « Sous réserve que les coopérateurs historiques acceptent ! », conclut Serge Capron.
JÉRÔME PEZON
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