FNPL : À QUAND UNE STRATÉGIE POUR L'APRÈS-QUOTAS ?

Thierry Merret, PRÉSIDENT DE LA FDSEA DU FINISTÈRE - « La mise en oeuvre précipitée de la contractualisation, pour soi-disant préparer l'après-quotas, a jeté les producteurs dans un rapport de force totalement déséquilibré. Leur avenir dépend du bon vouloir des entreprises. »
Thierry Merret, PRÉSIDENT DE LA FDSEA DU FINISTÈRE - « La mise en oeuvre précipitée de la contractualisation, pour soi-disant préparer l'après-quotas, a jeté les producteurs dans un rapport de force totalement déséquilibré. Leur avenir dépend du bon vouloir des entreprises. » (©)

La FNPL tarde à poser les vrais débats qui permettront aux éleveurs de se préparer à 2015. Le besoin de restructuration est dans toutes les têtes mais reste encore tabou.

COMBIEN DE LAIT PRODUIRA LA FRANCE APRÈS 2015 ? Telle est la question qui se pose à la filière. Car l'avenir des producteurs dépend intimement du dynamisme qu'ils pourront exprimer, ou non. Après huit ans de sous-réalisation, la France semble prendre le risque du déclin, alors que les marchés sont porteurs et que nos voisins d'Europe du Nord en ont pleinement pris conscience. Si la France n'affiche pas rapidement sa volonté de rester dans le marché, ils continueront à s'incruster dans nos rayons. Certes, la France possède des spécialités ou des marques inimitables et capables de dégager de la valeur ajoutée. Cela est vrai pour les AOC et pour certains PGC. Si les premiers resteront dans le panier français, les autres appartiennent souvent à des groupes privés qui peuvent les fabriquer ailleurs et les importer ensuite. La stratégie de Lactalis est assez claire : privilégier une croissance externe au détriment du développement en France. Certains veulent croire qu'un recul des volumes ne pénaliserait pas les éleveurs car cela permettrait de soutenir les prix. Or, plusieurs exemples montrent la fragilité de ce raisonnement. En 2009, la stratégie du double zéro (pas d'allocations provisoires ni d'attribution du 1 % européen) a certes permis de limiter la chute du prix du lait. Mais de manière insuffisante pour sécuriser le revenu des éleveurs et compenser la hausse du coût de production engendrée par la baisse des volumes. Et surtout, cette régulation s'est inscrite en décalage par rapport aux marchés. Elle a donné une bouffée d'oxygène à nos concurrents qui en ont profité pour pénétrer massivement le marché français avec du lait UHT et de l'emmental. En 2011, ces industriels sont toujours là. On pourrait aussi citer l'exemple du Royaume-Uni qui, pendant dix ans, a cumulé une sous-réalisation record et un prix du lait très bas. Dans un marché ouvert, une baisse de production localisée ne suffit pas à raffermir les prix.

SORTIR DE LA SOUS-RÉALISATION CHRONIQUE

Il est donc urgent de produire la référence nationale. Ne serait-ce que pour envoyer un signe fort à nos concurrents ou aux laiteries françaises qui s'interrogent sur la volonté de produire des éleveurs. Et il apparaît non moins urgent que la France affiche une stratégie pour l'après-2015. Or, la filière, au premier chef la FNPL, semble rester en dehors du débat. Il revient pourtant au syndicat majoritaire de défendre les éleveurs et donc de tout faire pour assurer leur avenir. Mais aujourd'hui, la FNPL dépense toute son énergie dans la création d'OP à l'avenir incertain et dans la renégociation des contrats. Des actions utiles mais qui ne donnent pas d'orientations pour l'avenir. La vraie question est celle de la compétitivité de la production. Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire aussi sur celle de la transformation, mais cela ne relève pas de la responsabilité des producteurs. Il a fallu des années aux Français pour admettre du bout des lèvres que les quotas étaient voués à disparaître. Il est vrai que les politiques, et notamment Michel Barnier lorsqu'il était ministre de l'Agriculture, ont savamment entretenu le flou. Nos concurrents en ont pris acte en 2003 et se préparent depuis lors. On sait également que si les éleveurs français ont des atouts, ils souffrent aussi d'un manque de compétitivité lié à la faible productivité du travail. Le lait produit par unité de main-d'oeuvre est moindre qu'ailleurs, ce qui pénalise les coûts de production. Des travaux de l'Inra l'ont démontré. Or, dans le marché libéral qui s'est mis en place, la notion de compétitivité est essentielle. Plusieurs raisons expliquent que la FNPL peine à lancer ce débat et à oeuvrer pour y répondre. Il lui a d'abord fallu admettre que le libéralisme allait se mettre en place et chambouler son fonctionnement. Vingt-cinq ans de gestion administrée des quotas l'ont conduite à un mode d'action résolument politique et centré sur la défense du prix du lait. La gestion départementale des quotas a permis l'installation de « barons locaux », des responsables de FDSEA devenus indéboulonnables dans leurs départements. En instaurant la gestion par bassin, Bruno Le Maire a déstabilisé cette organisation. De plus, la cogestion qui allait de pair avec les quotas a conduit naturellement la FNPL à se poser en interlocuteur privilégié de l'État. Après 2015, cet état de fait disparaîtra. Enfin, avec des volumes figés, le prix du lait pesait lourd dans le revenu des producteurs, d'où l'assiduité de la FNPL pour le défendre. Désormais, les volumes comptent au moins autant. Or, avec les contrats, ces volumes sont entre les mains des entreprises. Et surtout, le prix est dépendant des marchés. La marge de manoeuvre du syndicalisme s‘en trouve fortement réduite.

LES DISSENSIONS RÉGIONALES PÈSENT À LA FNPL

Par ailleurs, le mode de représentation au sein de la FNPL tend à mettre en exergue les dissensions régionales alors que pour une majorité d'éleveurs, la concurrence est d'abord européenne. Les départements disposent d'un certain nombre de représentants au conseil d'administration en fonction de leur quota d'une part, et à condition d'être à jour de leurs cotisations d'autre part. Les départements de l'Ouest se voient réclamer des cotisations élevées que tous ne peuvent pas payer. Du coup, avec la moitié du lait français, l'Ouest n'a qu'un tiers des postes d'administrateurs.

Le conseil d'administration reflète naturellement la diversité du pays. Mais à trop vouloir défendre des intérêts locaux, on risque d'oublier les enjeux qui dépassent les frontières. Aujourd'hui, les régions qui disposent d'une capacité à produire davantage s'énervent de voir les bassins en sous-réalisation chronique s'accrocher à leur quota. Mais ces derniers ont des raisons de craindre les velléités de leurs voisins du Nord et de l'Ouest. Ils savent que ces régions sont potentiellement plus compétitives. Ils savent également que leur propre activité est conditionnée par la présence de laiteries qui ne resteront que si la densité est suffisante. Et puis l'est de la France n'a pas oublié que la production d'emmental lui a échappé au profit de la Bretagne.

Ces débats entre régions ont donc leur raison d'être. Mais la FNPL doit pouvoir les dépasser. Car comment avoir une production laitière compétitive en France si les éleveurs les mieux armés face à l'Europe du Nord restent bridés dans leur développement ? Comment préparer les exploitations à l'après-quotas quand on n'a aucune visibilité, aucun projet pour la production française ? La FDSEA du Finistère n'hésite plus à contester certaines décisions de la FNPL. Elle refuse ouvertement le maintien de la TFA (taxe fiscale affectée), un dispositif défendu par la FNPL, qui pénalise les éleveurs dépassant leur quota alors que la France est en sous-réalisation. Les Finistériens n'hésitent pas à dire que la contractualisation, elle aussi soutenue par la FNPL, est un échec.

Ces dissensions affaiblissent la FNPL. Difficile de poser le débat de la restructuration sans exposer ses rivalités au grand jour. Avec le risque de voir l'Ouest quitter la maison. L'ambiance sur le terrain ne facilite pas les choses. Car les syndicats minoritaires se sont affirmés depuis quelques années. Arc-boutés sur une maîtrise de la production que Bruxelles a jetée aux oubliettes, ils ont poussé la FNPL à rester sur ce combat populaire mais dépassé. De plus, la grève du lait a fait mal. Violemment attaquée sur le prix du lait qu'elle avait ardemment défendu, la FNPL est ressortie presque inhibée du conflit. Cette pression des minoritaires complique encore l'émergence d'un débat de fond.

Le problème est que ce sont les éleveurs qui en font les frais. Ils voient l'Europe du Nord se battre pour conquérir nos marchés. Ils voient les laiteries préparer un nouveau système de quotas via les contrats pour mieux se développer hors de nos frontières. Ils voient les coopératives se débattre pour inventer un autre mode de développement d'ici à 2015. Les éleveurs qui cherchent à se préparer en s'agrandissant sont la cible de critiques de la part de leurs pairs, alors qu'il s'agit d'une stratégie d'évolution parmi d'autres.

La FNPL ne dessinera pas seule le visage de la production laitière après 2015. Mais son statut de syndicat majoritaire au service de la défense des producteurs de lait l'oblige à trouver le courage de lancer le débat. Quitte à aborder les sujets qui fâchent, tels la compétitivité ou la restructuration. Il en va de l'adaptation des éleveurs au nouveau monde qui les attend en 2015.

PASCALE LE CANN

© N.Bergerot/CNIEL. Source; Otex 41 (données Rica 2008 des exploitations laitières spécialisés).

Dominique Chargé, PRÉSIDENT DE LA FNCL - « Désormais, la croissance laitière se fait dans les zones les plus compétitives. La question est de savoir si notre production peut retrouver son dynamisme. Si la FNCL pousse les prix et volumes différenciés, c'est aussi pour provoquer le débat. »

© JEAN-CLAUDE GRELIER/GFA

Jean-Paul Jamet, ANCIEN DIRECTEUR DU CNIEL - « La FNPL a rêvé de convaincre l'UE de revenir à la maîtrise de la production, ce qui est utopique puisqu'il existe une minorité de blocage qui s'y oppose. La France a ainsi perdu du temps alors que ses concurrents se préparaient à l'après-quotas. »

© CNIEL

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Thomas Pitrel dans sa prairie de ray-grass

« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

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