
Les laiteries s'écartent des indices Cniel pour tenir compte de la saisonnalité. La tendance va aussi vers des prix d'orientation annuels susceptibles d'ajustement selon la conjoncture et la concurrence.
C'EST LE MARCHÉ QUI FIXE LE PRIX DU LAIT. » Une maxime maintes fois martelée par les industriels face à des producteurs argumentant sur la hausse de leurs charges. Traditionnellement en France, le calcul s'appuyait sur les indices du Cniel qui reflètent les marchés à l'export (beurre, poudre, fromage) et l'écart avec l'Allemagne. S'y rajoutait une prise en compte de la saisonnalité évaluée en interprofession régionale. La plupart des contrats des industriels privés se réfèrent à ces indices.
Mais les choses bougent depuis l''an dernier. De nombreuses entreprises ont fixé leur propre grille de saisonnalité. Et l'intervention du médiateur a porté un coup supplémentaire à cette belle mécanique. Lactalis et Sodiaal ont momentanément abandonné les indices du Cniel pour appliquer la hausse recommandée de 25 €/1 000 l.
En janvier 2014, ces deux mêmes entreprises ont appliqué un lissage du prix. Car le calcul classique aboutit à des aberrations par rapport aux besoins des laiteries. En effet, toutes sont plus ou moins gênées par la saisonnalité des livraisons. Les outils industriels sont dimensionnés pour faire face au pic du printemps. Ils ont de la marge en été et c'est à ce moment-là que la plupart des industriels cherchent du lait. Ils ont intérêt à saturer leurs usines et donc à encourager un étalement des livraisons en payant mieux le lait d'été.
Or, sur le début 2014, le calcul fondé sur les indices du Cniel aboutit à un prix élevé. Et il devrait rester haut au printemps avant de fléchir. Ceci pourrait inciter les éleveurs à produire de manière décalée dans le temps par rapport aux besoins.
De plus, les indices du Cniel s'appuient sur les produits d'exportation, dont les prix sont très volatils. Or, les laiteries françaises misent généralement d'abord sur les PGC, dont les prix sont plus stables.
SODIAAL DÉCROCHE DÉBUT 2014
De là découlent les adaptations des laiteries qui mettent dans leur calcul une dose de politique incitative pour mieux caler le prix sur leurs besoins. Sodiaal a réécrit les grilles régionales de saisonnalité. Elle a relevé l'impact négatif sur le premier trimestre, tout en l'atténuant sur le deuxième pour éviter une chute trop marquée. Et elle renforce l'incitation à produire à partir d'août.
Du coup, le leader de la coopération se retrouve en queue de peloton sur les prix de base de ce début d'année. « Un décalage ponctuel avec l'environnement ne nous dérange pas, tempère Patrick Wecxsteen, chez Sodiaal Bretagne. Sur douze mois, nous serons au même niveau que la concurrence. »
Chez Lactalis, l'adaptation se fait sous la forme d'un report de prix des premiers mois vers l'été. Le prix de base annoncé est bien celui auquel conduit la méthode traditionnelle, mais celui payé est amputé d'un « ajustement conjoncturel » de 15 €/1 000 l sur janvier et février. Cette somme sera rendue en juillet et août, et le report sera de 30 € en mars !
Cette disposition s'apparente à une avance de trésorerie faite à Lactalis par ses livreurs. Pour l'industriel, elle offre l'avantage de restituer aux livreurs la totalité du prix qu'ils percevraient sur la base des indices Cniel. Ce que ne permet pas la méthode de Sodiaal. Mais ce système, accepté à contrecoeur par les OP, illustre aussi toute la difficulté de la négociation. « C'est la contrepartie imposée pour que Lactalis reste dans un mode de calcul transparent, fondé sur les indices Cniel appliqués à la moyenne de prix de 2013 », précise Sébastien Amand, président de l'Unell.
Bongrain, qui avait appliqué le calcul interprofessionnel en janvier, a finalement opéré un « report » de 20 € en février. Il y en aura un autre en mars et ces sommes seront restituées aux producteurs d'août à octobre. « Nous ne pouvons pas rester déconnectés des prix de la concurrence », explique Daniel Chevreul.
Laïta a choisi une autre voie qui préfigure peut-être la manière dont sera payé le lait à l'avenir. Le calcul s'appuie à la fois sur les indices interprofessionnels et les prix de la concurrence. Et l'entreprise réfléchit à un prix objectif annuel, fixé en début d'année, puis revu au bout de six à neuf mois pour tenir compte de la réalité des marchés. La saisonnalité s'appliquerait sur ce prix objectif. « Ce type de prix d'acompte est cohérent avec les fondamentaux de la coopération », précise Pierre Demerlé, directeur du service production chez Terrena (Laïta).
Eurial s'oriente également vers un prix moyen annuel qui sera ajusté en fonction de l'environnement et du budget. Cette coopérative est aussi en train de mettre en place un système de linéarité pour encourager la régularité des livraisons.
Au final, on observe une grande variabilité des prix payés pour les deux premiers mois de l'année. À titre indicatif, sur le bassin du grand Ouest, le prix de base, compte tenu de ces reports quand ils existent, va de 374,72 € chez Sodiaal à 412,36 € chez Rolland, une petite laiterie privée rachetée par les Britanniques R & R. Parmi les intervenants de dimensions nationales, c'est Bel qui paie le mieux à 408,05 € en février.
Et le mouvement va se poursuivre. Les entreprises, privées et coopératives, sont en pleine réflexion pour trouver le système le mieux adapté à leurs mix-produits et à leurs objectifs dans un monde sans quotas.
DONNER DE LA LISIBILITÉ
Elles savent qu'elles doivent satisfaire le besoin de lisibilité des éleveurs, aussi bien en prix qu'en volume, si elles veulent prévoir leur collecte. Elles doivent aussi rester dans les clous des prix pratiqués par la concurrence. Mais elles le voient davantage en termes de prix moyen sur l'année qu'au mois le mois. Enfin, elles doivent intégrer le résultat des négociations avec les GMS. Et les coopératives cherchent à répondre aux souhaits de croissance de leurs adhérents.
Ces discussions portent notamment sur la réécriture de la grille de saisonnalité pour ceux qui ne l'ont pas encore fait. C'est le cas de Lactalis où certaines OP veulent aussi négocier une prime à la linéarité.
L'autre axe majeur des négociations concerne la méthode de calcul globale. Strict respect des indicateurs ? Fixation d'un prix d'orientation annuel ? Prise en compte de la concurrence ?
L'ENJEU DE LA SORTIE DES QUOTAS EN 2015
À l'image de Laïta ou d'Eurial, Lactalis avance vers le calcul d'un « prix d'orientation moyen annuel France Lactalis ». La laiterie Saint-Père s'y intéresse aussi. Ce système tient la corde dans un objectif d'amélioration de la lisibilité. Et il permet d'intégrer la réalité des valorisations des marchés de chacune. Les chiffres qui circulent tournent autour de 360 à 365 €/1 000 l pour 2014.
Bel est, pour le moment, resté attachée aux indices du Cniel. Si l'entreprise semble vouloir conserver cette référence, elle souhaite également avancer vers un calcul plus personnalisé. Les discussions sont programmées avec les OP en avril.
Toujours dans un objectif de lisibilité, ces tractations intègrent les stratégies de volumes. Les coopératives de Laïta ont annoncé un prêt de quota de 15 % pour 2014-2015. Eurial part sur 10 %. Sodiaal ne l'a pas fixé, mais maintient le principe d'une absence de limitation des volumes en été. Bongrain annoncera son taux au mois de juin.
À un an de la sortie des quotas, on sent une volonté des industriels de mieux maîtriser leurs prix. Mais d'autres questions seront à régler. Lactalis souhaite discuter avec les OP des attributions de volumes supplémentaires après 2015. Laïta et Sodiaal cherchent à rehausser l'attractivité du métier pour y attirer des vocations.
C'est l'avenir d'un secteur potentiellement en croissance qui se dessine aujourd'hui.
PASCALE LE CANN
L’Europe cède sa place à l’Amérique du Sud sur le marché des broutards au Maghreb
Au Gaec Heurtin, l’ensilage de maïs 2025 déçoit avec seulement 9 t/ha
John Deere, Claas, made in France… À Innov-Agri, il pleut aussi des nouveautés
Maïs fourrage : « Un silo mal tassé monte rapidement à 15 % de freinte »
Le marché du lait Spot s’agite avec la rentrée
« Pas d’agriculture sans rentabilité ! », rappelle la FNSEA
La « loi Duplomb » est officiellement promulguée
Quelle évolution du prix des terres 2024 en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
L’Iddri suggère de briser « l’ambivalence » des chambres d’agriculture en matière de transition agroécologique
L’agriculture biologique, marginalisée d’ici 2040 ?