
Une page se tourne dans la fixation du prix du lait et avec elle, dans la façon d'appréhender les évolutions d'une année sur l'autre et entre laiteries. Notre observatoire des prix lancé il y a un an s'inscrit dans ce contexte.
L'INTERVENTION DU MÉDIATEUR COMME AU PRINTEMPS 2013 est le dernier sursaut d'un système qui a vécu. Ce n'est plus à Paris, au Cniel et, si besoin, sous la pression d'un ministre, que se détermine le prix du lait. C'est désormais pour les laiteries privées une affaire réglée directement avec leurs producteurs, réunis ou non en OP ; et pour les coopératives, une question traitée en conseil d'administration. C'est toujours sur la base des indicateurs de marché interprofessionnels... mais avec une déclinaison de moins en moins homogène.
Pour comprendre le « détricotage » auquel on assiste, revenons à la mécanique complexe du prix du lait à la française. Elle est construite sur deux éléments : l'indice trimestriel des marchés beurre-poudre de lait écrémé-fromages à l'export (ou indicateur F1) et l'indice de compétitivité France-Allemagne, appelé aussi « tunnel France-Allemagne ».
Jusqu'à la fin 2012, toutes les entreprises recouraient aux mêmes ingrédients pour les calculer. L'indice d'évolution des marchés était appliqué sur le prix moyen annuel France de l'année précédente, fourni par FranceAgriMer. L'écart de prix mensuel avec l'Allemagne était calculé à partir du prix mensuel en France transmis par le même office, sur la base des déclarations de prix et de volumes des entreprises recueillies chaque mois. La comparaison avec des prix mensuels allemands, qui sont sans saisonnalité, obligeait le Cniel à désaisonnaliser le prix dit « FranceAgriMer ». L'interprofession le faisait en reprenant les indices régionaux de saisonnalité discutés dans les Criel. Elle définissait ainsi chaque mois un indice moyen France, déduit ou ajouté au prix FranceAgriMer. D'où l'expression « prix FranceAgriMer désaisonnalisé ».
ENTERRÉ LE PRIX FRANCEAGRIMER DÉSAISONNALISÉ
En janvier 2013, un grain de sable s'est introduit dans cette mécanique complexe mais bien huilée : la fin des grilles de saisonnalité régionale et, avec elles, du prix FranceAgriMer désaisonnalisé. C'est désormais au niveau de chaque entreprisequ'est défini l'indice de compétitivité mensuel France-Allemagne en fonction de la grille de saisonnalité qu'elle a écrite. Certaines, souvent des PME ou l'équivalent en coopératives, continuent néanmoins avec la méthode précédente mais en reprenant l'indice de saisonnalité pratiqué jusque-là dans la région. Particularité à noter : Danone s'affranchit complètement de la saisonnalité pour se comparer tous les mois à l'Allemagne.
Autre élément perturbateur : le prix moyen France 2013 pour calculer l'indicateur F1 n'est plus systématiquement le prix FranceAgriMer (344 €/1 000 l) mais celui de l'entreprise (342 € pour Bongrain, 341,54 € pour Sénagral ou 337,70 € pour Danone). Sénagral a même franchi une nouvelle étape en lançant un nouvel indice « produits frais MDD » qui impacte le prix de base.
Délicat dans ces conditions (sans parler de la loi qui les en empêche) de voir, comme avant, les entreprises et les producteurs d'une même région autour d'une table en fin d'année pour reconstituer un prix de base commun sur lequel appliquer les indicateurs de l'année suivante. Ce principe vole véritablement en éclat cette année, poussé par les relations contractuelles que développent les industriels privés avec leurs producteurs mais aussi par les conseils d'administration des coopératives. Ces changements dans la façon de définir le prix du lait induisent pour l'avenir, et dès cette année, un changement dans la façon de juger des évolutions annuelles du prix entre les laiteries.
UN PRIX DU LAIT PLUS FAIBLE EN BRETAGNE-PAYS DE LA LOIRE
Difficile de continuer à s'en tenir à la comparaison par rapport à un prix de base 38/32 hors flexibilité, unique au sein de chaque région. Et pour cause : il y en a désormais autant ou presque que de laiteries. Impossible aussi d'en rester au volume A, quand des laiteries comme Sodiaal ou Danone jouent sur du lait B.
C'est dans ce contexte que s'inscrit notre observatoire lancé il y a un an, afin de contribuer à un peu plus de transparence et d'objectivité autour du prix du lait.
Le prix du lait standard y est calculé sur la base d'un cas type, identique pour les principales laiteries de neuf régions (voir infographie). Deux qualités de lait à 42 de TB et 33 de TP y sont simulées : du « super A » et du lait de qualité « moyenne ». Du premier découle le prix maximum payé, qu'un nombre restreint de producteurs touche en réalité. Le second simule une situation dans laquelle beaucoup se retrouveront : celle de germes sous contrôle avec une flambée de cellules de deux mois en été, suivie de deux mois d'hiver très bons, et des butyriques assez bien maîtrisés mais rarement sous les 800 spores.
Le prix du lait calculé intègre toutes les primes mensuelles (interprofessionnelles ou maison) et les compléments annuels. Y compris, pour les coopératives, les ristournes versées en 2013 au titre de 2012. Les subtilités des laiteries pratiquant un double prix y sont aussi simulées. Exemple pour Sodiaal où la part de volume B est passée de 4 % en 2011-2012, à 8 % en 2012-2013, et à 10 % actuellement. L'absence de lait B de juillet à septembre en 2012 et d'août à octobre en 2013 est aussi prise en compte.
Premier constat qui, comme l'an dernier, saute aux yeux : le moindre prix du lait payé en Bretagne-Pays de la Loire. Sodiaal qui, dans cette région, est l'entreprise qui a le mieux rémunéré le lait en 2013 à 364,08 €/1 000 l (33/42 en super A), arrive tout juste au niveau de Sénagral qui paye le moins dans le bassin grand Est à 364,20 €/1 000 l.
LE BONUS ENTREPRISE FAIT LA DIFFÉRENCE POUR LA FROMAGERIE ERMITAGE
Notre observatoire confirme aussi sans surprise une progression un peu plus importante au cours de l'année chez Sodiaal que chez Lactalis. Et cela dans toutes les régions : + 2,85 € dans le grand Est, 3,20 € dans le Sud-Ouest, 3,80 € dans le Sud-Est et près de 3,87 € en Bretagne-Pays de la Loire. Les 2,50 €/1 000 l de complément versés par Sodiaal sur le lait de décembre sont passés par là. Résultat : le n° 1 de la coopération qui, l'an dernier, jouait mano a mano avec Lactalis, passe devant un Lactalis qui figure désormais très souvent en bas de classement.
Concernant ces deux géants du lait, gare aux interprétations trop rapides sur leur augmentation du prix du lait, sensiblement supérieure à celles des autres laiteries ! En effet, ils ont bénéficié, en 2012, d'une flexibilité nettement négative devenue positive en 2013, phénomène qui les avantage dans notre comparaison par rapport aux entreprises ne pratiquant pas de flexibilité (Sénagral, Maîtres laitiers, Alsace lait, Danone) ou moins qu'eux (Bongrain). Autre élément qui dope leur apparente performance, les - 5 €/1 000 l qu'ils ont pratiqués fin 2012, sur quatre mois pour Sodiaal, trois pour Lactalis. Gommés ces deux effets, la hausse de prix chez Sodiaal est ramenée d'une fourchette de + 30,70 € à + 32 €/1 000 l à une plage de + 25,45 € à + 26,75 €/1 000 l. De même, chez Lactalis où l'on passe de + 26,80 € à 28,90 € à seulement + 22 € à + 24,15 €/1 000 l.
Dans les entreprises ayant le mieux payé, on retrouve en tête, comme l'an dernier, deux fromagers de taille régionale : la coopérative Ermitage dans le grand Est et la fromagerie Bresse Bleu, gérée par Bongrain dans le Sud-Est. Le bonus maison y fait la différence. Chez les adhérents de l'Union laitière vitteloise, qui contrôle l'Ermitage, il atteint, 20 €/1 000 l en qualité super A avec du lait à 384 €/1 000 l (bonus de 12 €/1 000 l en qualité moyenne à 373 €/1 000 l) . Sur la troisième marche du podium, on trouve Danone Basse-Normandie. Le super A y est payé 381 € avec 16,90 € de bonus entreprise (369,13 €/1 000 l en qualité moyenne avec un bonus de 12,20 €).
UNE ENQUÊTE DE LA RÉDACTION
L’Europe cède sa place à l’Amérique du Sud sur le marché des broutards au Maghreb
Au Gaec Heurtin, l’ensilage de maïs 2025 déçoit avec seulement 9 t/ha
John Deere, Claas, made in France… À Innov-Agri, il pleut aussi des nouveautés
Maïs fourrage : « Un silo mal tassé monte rapidement à 15 % de freinte »
Le marché du lait Spot s’agite avec la rentrée
« Pas d’agriculture sans rentabilité ! », rappelle la FNSEA
La « loi Duplomb » est officiellement promulguée
Quelle évolution du prix des terres 2024 en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
L’Iddri suggère de briser « l’ambivalence » des chambres d’agriculture en matière de transition agroécologique
L’agriculture biologique, marginalisée d’ici 2040 ?