
Malgré ses nombreux atouts, la France laitière semble douter de son avenir. Quelques signes montrent toutefois que certains éleveurs et industriels y croient et investissent.
LES MARCHÉS PORTEURS À L'EXPORT NE FONT PAS RÊVER la filière française. Alors que l'Europe du Nord ne cache pas son intention d'augmenter sa production après 2015, une morosité tenace s'installe en France, pourtant réputée pour avoir l'un des meilleurs potentiels laitiers de l'Union européenne. Les laiteries privées bloquent les perspectives avec des contrats contraignants. Les coopératives ne s'apprêtent à lâcher la bride qu'en contrepartie d'un partage des risques liés à la volatilité des marchés. Et des producteurs se découragent, regardant avec envie les modes de vie et les revenus des céréaliers.
Le tableau serait-il si noir ? La fin des quotas n'offrirait-t-elle pas de perspectives de développement ? Il est vrai que la persistance d'une sous-réalisation ne reflète guère une confiance en l'avenir. Après une remontée en 2011, la collecte a de nouveau fléchi en 2012 (voir infographie). Les revenus sont en baisse, ce qui entretient la démotivation. En cause la hausse des charges et la baisse des prix sur le second semestre. Le recul des volumes joue aussi. Comme en 2009, les éleveurs ont réagi à la hausse des prix des intrants en réduisant leur production, souvent faute de trésorerie. Mais ceci les a empêchés de diluer les charges fixes. Une erreur de gestion qui montre qu'ils n'ont pas encore tous intégré la volatilité des prix. Croire au lait suppose être prêt à encaisser périodiquement des niveaux de rentabilité très faibles, voire nuls.
LES ALÉAS DES MARCHÉS PAS ENCORE BIEN INTÉGRÉS
Il est vrai aussi que les contrats des industriels privés s'apparentent à un maintien du contingentement après 2015, ce qui n'est guère motivant. En réalité, les éleveurs bénéficieront de redistribution au fi l des arrêts des autres. Mais cette gestion des volumes issus des cessations sera faite par les entreprises, éventuellement avec les OP. Les industriels qui ont investi à l'international se développent davantage à partir de ces implantations qu'en exportant du lait français.
Heureusement, des initiatives montrent que des transformateurs croient au développement. Ainsi, Lactalis a démarré en début d'année une tour de séchage dédiée à la poudre infantile en Mayenne. « Nous ne nions pas les difficultés du moment, mais nous ne craignons pas de manquer de lait », affirme Claude Trévillot, directeur des approvisionnements du groupe. Laïta investit également. « Nous rationalisons nos outils pour être plus performants, précise Guy Le Bars, président de la coopérative d'Even, l'un des membres de Laïta. Nous augmentons également nos capacités de transformation. » On pourrait aussi citer Isigny, Bongrain (p. 16 et 18), Sodiaal et d'autres qui investissent de leur côté. Cela ne suffit pas à convaincre les éleveurs de l'existence d'une réelle dynamique. Pour investir, ils ont besoin d'une visibilité que les industriels n'affichent pas suffisamment. Au-delà du discours ambiant, les intentions des éleveurs restent difficiles à cerner. Les enquêtes réalisées par les laiteries montrent qu'il existe une volonté de développement, mais les réponses sont liées à la conjoncture.
MIGRATION ENGAGÉE DU LAIT VERS LE GRAND OUEST
L'analyse de l'évolution des cheptels donne des indications, même si les livraisons dépendent aussi de la conduite alimentaire. Les chiffres de la BDNI (base d'identification nationale des bovins) montrent qu'entre juin 2008 et juin 2012, le nombre de femelles laitières de plus de deux ans a baissé de 3,4 %. Néanmoins, dans le croissant laitier (grand Ouest, Nord et Est), la baisse se limite à 2,4 %. Elle n'est même que de 0,8 % dans le grand Ouest. En d'autres termes, le poids de ces régions dans le cheptel national progresse. Sans perdre de vue que la hausse de la productivité des vaches compense la baisse de l'effectif. Même constat pour les génisses : leur nombre augmente dans les zones laitières et tend à baisser là où on peut faire des céréales. De la même façon, le rapport entre le troupeau laitier et le troupeau allaitant reste, en moyenne, stable en France durant cette période. Mais il progresse dans le Nord-Ouest. Il y a donc bien un transfert des moyens de production vers le lait sur certaines exploitations mixtes. Le potentiel n'est pas négligeable car plus de la moitié des élevages laitiers de Basse-Normandie et des Pays de Loire produisent également des bovins viande.
Autre indicateur positif, la production laitière est celle qui enregistre la plus forte dynamique de renouvellement. Selon le recensement de 2010, 26 % des éleveurs laitiers ont moins de 40 ans et 81 % d'entre eux ont bénéficié d'aides à l'installation. La Bretagne, les Pays de la Loire et la Franche-Comté sont les régions où la proportion d'installations aidées est la plus forte. Un gage de solidité car ces jeunes sont mieux formés que la moyenne. Les diversités régionales s'affirment également quand on observe les demandes d'aides à la cessation (Acal). C'est dans le Sud-Ouest qu'elles sont les plus importantes en volume. En 2012, les demandes ont augmenté partout, sauf dans le grand Ouest (- 3 %). Cette tendance à la migration du lait vers le grand Ouest n'est pas une surprise. Les conditions pédoclimatiques y sont plus favorables, et les alternatives au lait moins nombreuses. Si les contraintes environnementales pèsent localement sur la capacité de développement, les arbitrages entre les productions pourraient donner un peu d'air. « Sur notre zone, l'environnement constitue un frein réel. Mais beaucoup disposent de plusieurs ateliers et pourront en sacrifier un au bénéfice du lait », précise Guy Le Bars.
LA CONCENTRATION, SYNONYME DE DYNAMISATION
De plus, des travaux menés par l'Esa d'Angers montrent que la concentration est plus un facteur dynamisant qu'un frein. « Dans les zones à forte densité laitière, la pression foncière et les contraintes environnementales ne suffi sent pas à contrer la concentration. Et cette tendance bénéficie à la productivité », précise Nejla Ben Arfa, enseignant- chercheur à l'Esa d'Angers. Ainsi, les effets positifs liés à la densité pèsent plus que les inconvénients.
Le lent mouvement de concentration du lait dans les bassins du croissant laitier, notamment du grand Ouest, est donc bel et bien engagé. C'est là que se font aujourd'hui les investissements et les rapprochements d'entreprises. Et même si, ponctuellement, peu d'éleveurs affichent leur envie de parier sur le développement de leur production, les outils se mettent en place sur les exploitations.
PASCALE LE CANN
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