« Nous passons du temps à mesurer mais les vaches nous le rendent bien »

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La salariée Angélique Lamy et son collègue Simon Pelleray consacrent au total l’équivalent d’une demi-journée par semaine à réaliser les analyses. C’est un choix d’entreprise de Cédric Bérard (à droite) et de son frère Maxime. (© C.Hue)

Mesurer pour éviter les problèmes, c’est la politique de la SCEA Bérard de Cavernaux. Le pH urinaire durant le tarissement et les taux de calcium et de corps cétoniques dans le sang en début de lactation sont les marqueurs de prévention de la fièvre de lait et de l’acétonémie. Ça marche.

À la SCEA Bérard de Cavernaux, à La Mesnière,dans l’Orne, l’alimentation de précision passe par le monitoring. « Nous vérifions par des mesures hebdomadaires la conduite alimentaire de nos vaches. Cela permet de la corriger s’il y a besoin et ainsi d’éviter les problèmes », explique Cédric Bérard, associé avec son frère Maxime et qui est en charge du troupeau. Deux salariés, Angélique Lamy et Simon Pelleray, les aident dans le pilotage des 200 vêlages et des 150 vaches traites par trois robots. « Nos laitières sont à 40 kg de lait moyens par jour et à près de 12 000 kg par vache. Ce sont des marathoniennes qui nécessitent un suivi rigoureux. Mesurer est rassurant », ajoute-t-il. 

Cette politique débute par les vaches taries et les fraîches vêlées pour prévenir en parti­culier les fièvres de lait et l’acétonémie. « Dans les élevages, ce sont les deux principales maladies métaboliques en début de lactation. Leur expression est principalement subclinique », pointe Yann Martinot, responsable Innovations d’Elvup, qui accompagne depuis plus de dix ans la SCEA. « La fièvre de lait subclinique se traduira par un vêlage moins tonique, une mauvaise délivrance du placenta, par moins d’appétit ou encore par moins de déplacements. Elle touche de 10 à 20 % des primipares et de 30 à 40 % des multipares. » L’acétonémie subclinique, elle, affaiblit l’immunité et favorisera, là aussi, les non-délivrances, métrites, retournements de caillette, etc.

Préparation au vêlage : le pH urinaire chaque semaine

La prévention des fièvres de lait est bien connue. Elle repose sur l’acidose métabolique, appelée aussi acidification sanguine, pour mobiliser le calcium osseux de la vache tarie et ainsi répondre à la forte demande de son organisme au moment du vêlage. « La baisse du pH sanguin est contrecarrée par la libération du calcium osseux grâce à la parathormone, dont la mission est de réguler le taux de calcium dans le sang », explique Yann Martinot. L’abaissement du pH est obtenu par une ration à bilan électrolytique alimentaire neutre à légèrement négatif (BEA). Pour rappel, le BEA est l’équilibre sanguin acido-basique et se calcule selon la formule (sodium + potassium) - chlore, exprimée en milliéquivalents/kg de MS. Même si la Baca (balance alimentaire cation anion) – l’équivalent international du BEA – est plus connue, le bilan des cations et anions des fourrages français est calculé, lui, à partir de la formule du BEA établie par la recherche française.

Concrètement, dans bon nombre de troupeaux, à partir de trois semaines avant le vêlage, un déficit nutritionnel est créé en distribuant moins de 60 g de calcium par vache par jour. « Cette acidification partielle de la ration n’est pas totalement efficiente, en particulier dans les troupeaux à plus de 10 000 kg par vache, souligne le nutritionniste, mais elle est adaptée aux élevages qui ne disposent pas de la contention nécessaire à la réalisation de prélèvements sur vache tarie. »

Ce n’est pas le cas des taries de la SCEA qui sont sur aire paillée avec cornadis. Depuis huit ans, elle applique l’acidification totale de la ration, plus en phase avec sa philosophie. En effet, la distribution de sels anioniques, en plus du complément minéral, exige la mesure du pH urinaire qui est statistiquement fortement corrélé au BEA. Il faut savoir qu’une acidification trop élevée libère un peu plus de calcium que nécessaire. Au vêlage, le risque est une baisse d’ingestion et d’immunité, avec des acétonémies, métrites ou mammites à la clé. « Nous l’évitons en mesurant une fois par semaine le pH urinaire de toutes les vaches en préparation au vêlage, indique Cédric. Nous visualisons ainsi les variations d’une semaine à l’autre. Le premier contrôle est effectué entre deux et sept jours au maximum après le début de la ration à BEA légèrement négatif. L’objectif est un pH urinaire à 6, avec une fourchette entre 5,5 et 6,5. Si la tendance dégagée par les taries analysées est dans cette plage, rien n’est changé. Sinon, le dosage des sels anioniques est modifié, à raison de 25 à 50 g en plus ou en moins. »

Un groupe WhatsApp avec le vétérinaire et Elvup

La règle est d’apporter 200 g de sels anioniques par point de pH à baisser. Grâce à leur expérience de plusieurs années, les Bérard corrigent avec moins (voir les détails dans l’infographie).

Ces relevés hebdomadaires permettent également d’apprécier l’effet du changement de fourrages (paille, maïs ensilage), qui a lieu tous les trois mois. « Le BEA des fourrages varie en fonction de leur teneur en potassium liée aux conditions de récolte. Les animaux y sont sensibles, intervient Angélique Lamy. Un pH en dessous ou au-dessus de la fourchette recommandée est une alerte. » Les corrections sont décidées en concertation avec Elvup et le vétérinaire du troupeau. L’éleveur et les deux salariés suivent en effet un protocole établi avec eux. « Grâce au groupe WhatsApp que nous avons créé, nous échangeons de façon très réactive sur les résultats de la semaine. J’apprécie beaucoup ce mode de communication simple et efficace », se félicite Cédric.

Mesurer à heure fixe

L’organisation est bien huilée. Les vêlages étant étalés sur l’année, il y a en permanence huit à dix vaches en préparation de vêlage. C’est la tendance dégagée par l’ensemble du lot qui oriente les ajustements. Chaque mercredi, à 15 heures, Simon (ou Angélique quand il n’est pas disponible) prend un échantillon d’urines (voir les photos Préparation au vêlage) et mesure le pH. « Il est pris plusieurs heures après le gros repas du matin, mais surtout il doit l’être à heure fixe pour une bonne comparaison des résultats d’une semaine sur l’autre, précise Angélique. Le pH urinaire varie selon le moment de la journée. » La société s’est équipée d’un pH-mètre (150 €) qu’il juge plus précis que les bandelettes à couleurs de papier pH. « La contrepartie est son réétalonnage tous les deux ou trois mois pour assurer la fiabilité des résultats. »

La SCEA Bérard de Cavernaux a mis plusieurs années avant de trouver la distribution simple mais efficace du complément minéral et des sels anioniques pour une acidification totale de la ration. Le premier est fait sur mesure par un fabricant. Sa dose de 500 g/vache est apportée dans un fond de bouteille pesé. Les seconds le sont par un gobelet mesureur. (© C.Hue)

En amont, la conduite en acidification totale exige une ration homogène. Dans ce but, l’exploitation a acheté un broyeur à paille il y a deux ans. Et le complément minéral et les sels anioniques sont préparés la veille dans deux bacs en plastique. « De cette façon, ils ne sont pas remplis dans l’urgence. C’est ­l’assurance d’une complémentation correctement apportée », assure Cédric. Le lendemain, ils sont vidés dans la distributrice pour un dernier mélange qui a été allongé de 2 à 3 minutes. « Les vaches ne trient pas ce qu’elles mangent. Amers, les sels anioniques sont ainsi plus facilement consommés. »

Le plasma sanguin analysé en début de lactation

La SCEA Bérard de Cavernaux ne s’arrête pas à la préparation au vêlage pour prévenir les fièvres de lait. Depuis un an et demi, elle analyse le taux de calcium dans le sang trois jours après le vêlage pour évaluer après coup la conduite et tirer les leçons d’éventuelles erreurs. Pour cela, elle s’est équipée d’une centrifugeuse fournie par Elvup (130 €) qui sépare le plasma du sang. « Une goutte de plasma est ensuite placée dans un lecteur d’analyse. S’il affiche au moins 2,2 millimoles de calcium par litre, la vache est dans une bonne trajectoire. La conduite de sa “prépa vêlage” est une réussite, décrypte Angélique Lamy, qui est responsable des prises de sang. Nous n’analysons que les multipares fraîches vêlées.Sont principa­lement ciblées les vaches qui présentent un doute métabolique », ajoute-t-elle.

D’après Yann Martinot, la prise de sang trois jours après le vêlage est le bon délai. « Dans les premières vingt-quatre heures, l’organisme de la vache est très sollicité, surtout si elle est une haute productrice. Logiquement, son taux de calcium baisse. Mais soixante-douze heures après, le niveau doit être revenu à un minimum de 2,2 millimoles/litre. » À l’instar des pH urinaires, les résultats sont communiqués sur le groupe WhatsApp, ce qui permet un suivi vétérinaire. Coût de l’analyse : 8 €. Ce protocole de contrôle vient d’être complété par l’achat d’un réfractomètre numérique d’évaluation du colostrum (250 €).

Contre le propylène glycol systématique

La salariée est également en charge de la détection des vaches en acétonémie les trois premières semaines de leur lactation. Elle débute dès la première semaine. Une bandelette imbibée d’une goutte de sang est introduite dans un appareil. « S’il affiche plus de 1,2 mmol de beta-hydroxybutyrate/litre, dans la foulée, j’utilise un autre type de bandelette pour analyser la glycémie. L’appareil est conçu pour lire la teneur en corps cétoniques et le taux de glycémie. » Là aussi, la situation des vaches repérées est discutée avec le vétérinaire et Elvup via WhatsApp. Le protocole de traitement mis en place par le premier est appliqué en fonction du taux de BHB et de glycémie (a minima apport de propylène glycol). La semaine suivante, les laitières détectées sont de nouveau contrôlées ainsi que, si nécessaire, la semaine d’après. « Nous n’utilisons pas plus de 200 litres de propylène glycol par an pour 200 vêlages », affiche, réjoui, Cédric Bérard.

Sur un cahier de format A3, pour chaque vache, sont notées par les éleveurs et les salariés l’ensemble des observations et mesures relatives au tarissement (durée, pH urinaire), au vêlage (aide ou pas, délivrance du placenta ou pas), au colostrum (qualité) et au début de lactation (calcium, BHB, glycémie, fièvre de lait, retournement de caillette). « Une colonne “état d’engraissement” y figure mais nous n’avons pas encore commencé à noter les animaux. C’est le projet des prochaines semaines. »

En dix mois, sept fièvres de lait pour 168 vêlages

Ces dix derniers mois, sur 168 vaches, la SCEA Bérard de Cavernaux a seulement enregistré dix non-délivrances, sept fièvres de lait sur des vaches à cinq lactations et plus et… deux retournements de caillette. De quoi lui donner satisfaction. De plus, elles produisent en moyenne 40 litres par jour avec des débuts de lactation dynamique. « Les salariés consacrent au total l’équivalent d’une demi- journée à effectuer les analyses. C’est un choix de la SCEA », précise Cédric. « Et, pour nous, salariés, c’est plus motivant, ajoute Angélique. Elles donnent du sens à ce que nous faisons. Et, lorsque nous appelons le vétérinaire, ce n’est pas pour rien. »

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

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