« EN PRÉSERVANT LES QUALITÉS DU SOL, NOUS GAGNONS EN AUTONOMIE ALIMENTAIRE »

Laurent effectue régulièrement le test de la bêche. Il s'agit d'abord d'observer les traces de vie et les plantes en surface, puis de prélever une motte de terre pour examiner la structure et la population. © P.L.C.
Laurent effectue régulièrement le test de la bêche. Il s'agit d'abord d'observer les traces de vie et les plantes en surface, puis de prélever une motte de terre pour examiner la structure et la population. © P.L.C. (©)

Depuis qu'il a adopté les pratiques de l'agriculture de conservation des sols, il y a une dizaine d'années, Laurent Terrien a aussi modifié son assolement et sa ration. La productivité reste élevée et la charge de travail a diminué.

ELEVEUR EN VENDÉE, LAURENT TERRIEN A ADOPTÉ LES TECHNIQUES CULTURALES SIMPLIFIÉES il y a une dizaine d'années. En EARL avec son épouse Catherine, il souhaitait à la fois mieux respecter l'environnement et réduire le nombre d'heures de tracteur. « Je préfère laisser faire la nature dans les champs et me consacrer à mes animaux », précise-t-il.

Mais en abandonnant le labour, Laurent s'est rendu compte qu'il devait multiplier les passages d'outils à dents pour travailler son sol. À la clé, beaucoup d'heures de tracteur et une forte consommation de gasoil. Cela ne lui plaisait pas. Il est donc passé au semis direct, ce qui a entraîné toute une réflexion sur le travail d'amélioration de la structure du sol.

Depuis, il a évolué vers l'agriculture de conservation des sols. L'idée est de s'appuyer sur les plantes et sur les êtres vivants pour faire fonctionner le sol. Cela suppose d'abandonner le travail mécanique, d'assurer une couverture permanente et de privilégier les rotations longues. Si cette logique se rapproche du bio, elle vise cependant un haut niveau de productivité. Pour Laurent, la prairie représente la tête d'assolement idéale. Encore faut-il pouvoir la détruire !

« D'ABORD DÉTRUIRE LA PRAIRIE AU GLYPHOSATE, DONC SANS LABOUR »

Car la Pac a figé la situation en transformant les prairies de plus de cinq ans en prairies permanentes devant rester en place. En agriculture de conservation des sols, la prairie est détruite au glyphosate, donc sans labour. Laurent sème ensuite un méteil à l'automne puis un maïs, ou du maïs directement. Une céréale suit avant le retour d'une prairie.

Pour vérifier la qualité de la structure du sol et de la population qui s'y développe, Laurent effectue le test de la bêche. « Pour moi, il s'agit d'un indicateur technique essentiel », souligne-t-il. Il le pratique régulièrement, quand le sol est humide. Le test commence par une observation de la surface : quelle est la densité des plantes ? Quels sont les signes de présence animale ? Ensuite, Laurent creuse avec sa bêche, et laisse tomber la motte d'une hauteur de 1 m pour qu'elle éclate sur une bâche. Il observe comment elle se défait, repère d'éventuels signes de tassement. Il cherche la faune aussi : vers de terre, scarabées, limaces, taupins, tipules...

« J'AI BANNI INSECTICIDES ET FONGICIDES »

C'est sur la base de ces observations qu'il choisit ses couverts végétaux. « Je vois le type d'enracinement qui permettra le mieux d'améliorer la structure du sol. » Dans cette région qui peut connaître des périodes très sèches en été, Laurent constate que lorsque les orages reviennent, ses terres absorbent bien la pluie. Leur structure aérée les rend plus poreuses et les plantes en profitent. Les risques d'érosion sont également réduits.

L'analyse de la faune n'est pas simple. Pour qu'elle vive et fasse son travail, il faut lui offrir les meilleures conditions. Mais comment favoriser le meilleur équilibre entre les auxiliaires souhaités et les prédateurs des cultures ? Certains vers de terre creusent des galeries verticales très profondes dans lesquelles les racines s'engouffrent, bénéficiant d'un accès beaucoup plus facile à l'eau par la suite. Mais les limaces ne sont pas vraiment des amies, même si elles participent à la digestion de la matière organique. Et en les détruisant, on affecte d'autres populations. Certains champignons sont aussi très bénéfiques à la vie du sol et des plantes (mycorises) et doivent donc pouvoir se développer.

Laurent a banni les insecticides et les fongicides pour favoriser la vie du sol. Il joue sur le choix des variétés pour réduire la sensibilité aux prédateurs et aux maladies. Ses cultures sont saines. « Je sème parfois un peu de colza avec le maïs. Les limaces en raffolent et délaissent momentanément le maïs. » En revanche, ces animaux peuvent se montrer redoutables dans les semis de légumineuses. Laurent doit parfois ressemer. « Je vais assister à une journée de formation pour tout savoir sur les limaces. J'espère y trouver des idées pour mieux les maîtriser. »

« LES HERBICIDES RESTENT NÉCESSAIRES SUR LE MAÏS »

Les prairies ne reçoivent aucun traitement herbicide. Entre le pâturage, la fauche et le broyage des refus, l'éleveur parvient à maîtriser l'évolution de la flore. En revanche, il peut difficilement se passer d'herbicides sur le maïs. « En agriculture de conservation des sols, les PSD (panic, sétaire, digitaire) sont plus difficiles à gérer. Le sol se réchauffe plus doucement au printemps. Les levées d'adventices sont plus étalées. »

L'IFT (indice de fréquence de traitement) de l'exploitation est à 0,7, un niveau plutôt bas, mais l'éleveur voudrait le réduire encore.

Laurent cherche la solution dans le semis de maïs sous couvert vivant. « Je fais partie de l'Apad (Association pour la promotion de l'agriculture durable) Centre Atlantique et nous réfléchissons ensemble. Le groupe est très précieux dès lors qu'on adopte des pratiques différentes des autres. » L'avantage d'un couvert vivant permanent est de garder un sol couvert tout au long de l'année, et donc de réduire les invasions d'adventices. Laurent s'est renseigné : le semis de céréale sous couvert de trèfle ou de luzerne semble bien fonctionner. C'est plus délicat avec du maïs car il existe un risque de concurrence entre les espèces pour l'eau. Laurent est encore en réflexion sur ces sujets. Outre la réduction de l'utilisation des phytos, ces pratiques permettent d'optimiser la production fourragère.

L'agriculture de conservation des sols aboutit aussi à un enrichissement en matière organique : le taux est passé de 2,5-3 à 3,5-4,5 selon les parcelles. Cependant, les besoins du sol en azote ont augmenté. « Je laisse beaucoup de végétation et donc de carbone à terre. Ce paillage limite la pousse des adventices, mais il consomme de l'azote pour se transformer. » Ces besoins accrus sont finalement compensés par la présence de légumineuses. Les achats d'azote sont restés autour de 15 tonnes par an.

Laurent estime qu'il n'est pas utile d'apporter du potassium et du phosphore en plus des effluents. Il va également arrêter de fournir du calcium car les déchets verts en produisent.

En matière de rendements, l'éleveur est satisfait. Ils sont restés au même niveau qu'auparavant, soit 18 tonnes de matière sèche en maïs irrigué, 50-60 quintaux en grand épeautre et 60 q en triticale. Le méteil est semé dans la luzerne. Laurent récolte 6 à 7 t de ce fourrage. Il irrigue ensuite si nécessaire et réalise trois coupes de luzerne (3-4 t/coupe), soit une production de 18-20 t de MS pour ces parcelles. La luzerne est parfois fanée mais plus souvent ensilée et stockée avec le maïs dans un silo sandwich pour simplifier la distribution du fourrage.

« LES ACHATS DE SOJA ONT BAISSÉ DE MOITIÉ »

Les couverts végétaux sont systématiquement récoltés. « Nous avons dû réaliser une mise aux normes très coûteuse car la proximité des voisins nous a obligés à tout reconstruire. Il n'est donc pas question de réduire la production laitière et l'effectif. Nous avons besoin d'un haut niveau de productivité, et donc de beaucoup de fourrages de qualité. »

Les modifications d'assolement dues à l'agriculture de conservation des sols ont un impact sur la ration du troupeau. Avec la luzerne, la disponibilité en protéines est plus importante. Elle bénéficie d'abord aux vaches en production. Les méteils sont valorisés en priorité par les génisses et les vaches taries. L'éleveur sème un mélange de pois, vesce, féverole, céréale (triticale ou épeautre) trèfle incarnat et trèfle d'Alexandrie. « Ce fourrage est équilibré, fibreux et encombrant. S'il n'est pas assez performant pour les laitières, il est parfait pour les génisses et les taries, même sans complémentation. »

Ce changement de système fourrager permet donc de mieux couvrir les besoins en protéines. Les achats de soja sont tombés de 50 à 25 t/an. L'éleveur n'achète plus de pulpe de betterave pour enrichir la ration des génisses. Et le niveau de production des vaches est resté stable autour de 10 000 kg. D'ailleurs, l'éleveur travaille avec son groupe à la création d'un GIEE (groupement d'intérêt économique et écologique) axé sur l'autonomie en protéines.

Pour augmenter la productivité des prairies, Laurent commence à mettre en place des paddocks journaliers en prairies multi-espèces, suivant la technique néo-zélandaise. Grâce à un mélange de plantain lancéolé, chicorée, ray-grass anglais et trèfle blanc et à une gestion différente du pâturage, il espère augmenter ses rendements de 30 % et monter à 10 t de MS/ha. « Si j'y parviens, j'aurais moins besoin du méteil. Je pourrais le laisser au sol quand je sème un maïs derrière. Cela réduira les levées d'adventices et j'utiliserai moins d'herbicides. »

Les besoins en mécanisation ont logiquement baissé. Un tracteur de 100 ch suffit pour semer le maïs avec un semoir à huit rangs. « Je suis gagnant sur les besoins en matériel, mais le semoir que j'utilise est beaucoup plus coûteux. » Pour les céréales par exemple, le semoir adapté au semis direct coûte le double d'un outil classique. Il l'a acheté avec un voisin. De même, le semoir à maïs est partagé à trois. Laurent s'étonne au passage de l'importance de l'inflation sur ce type d'outils !

« UN BILAN POSITIF SUR LE PLAN DU TRAVAIL »

Ce changement de système n'a pas eu d'impact sur le niveau de l'EBE. À l'instar des achats de soja, les besoins en carburant ont considérablement baissé, passant de 8 000-10 000 l/an à 4 500 l. L'amélioration de l'autonomie alimentaire représente un avantage dans un contexte de volatilité. Les coûts de mécanisation ont baissé, malgré la fréquence plus élevée des semis (luzerne, couverts végétaux). Le coût d'amortissement des semoirs frise les 35 €/ha, et l'entretien se situe autour de 100 € par semoir et par an pour Laurent.

À l'avenir, les coûts de mécanisation vont encore baisser, car avec un tracteur qui tourne 300 heures par an, le renouvellement sera moins fréquent.

Quant au temps de travail, Laurent estime qu'il est gagnant. Et puis, il a réduit les heures de tracteur, pour passer plus de temps à observer son sol et ses animaux, des tâches qui l'intéressent. Ce temps gagné, il l'investit dans sa formation. Il se consacre aussi à l'Apad.

PASCALE LE CANN

Pour améliorer la productivité des prairies, Laurent Terrien a implanté un mélange de chicorée, plantain lancéolé, ray-grass anglais et trèfle blanc. Il a constitué des paddocks pour une journée, suivant la technique néo-zélandaise.

© P.L.C.

© P.L.C.

Laurent observe régulièrement la structure du sol et l'évolution de la faune et de la flore.

© P.L.C.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
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Maladies
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« La prairie multi-espèce a étouffé le ray-grass sauvage »

Herbe

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