« FACE À LA CRISE, NOUS TENTONS L'ARRÊT DU CORRECTEUR AZOTÉ AU PRINTEMPS »

Benoît et Patrick Delahaye ont prolongé le pâturage jusqu'à la mi-décembre pour profiter de l'automne clément. Il a permis un bon démarrage des prairies au printemps.
Benoît et Patrick Delahaye ont prolongé le pâturage jusqu'à la mi-décembre pour profiter de l'automne clément. Il a permis un bon démarrage des prairies au printemps. (©)

Le Gaec Delahaye active tous les leviers de bonne gestion du pâturage pour se passer du tourteau de colza jusqu'en juin.

RENONCER AU TOURTEAU DE COLZA pendant la pleine pousse d'herbe du printemps, c'est ce que programment Benoît et Patrick Delahaye, associés en Gaec. Ce sera une première pour ces éleveurs chez qui le pâturage est l'un des piliers du système fourrager. Leur lait est valorisé en appellation d'origine camembert de Normandie. Son cahier des charges fixe la part des prairies pâturées à 25 ares par vache. « À cette saison, nous continuons de distribuer du maïs-ensilage aux vaches en abaissant sa quantité à 5 kg de MS par vache. Il sécurise la ration fourragère. Comme le silo reste ouvert toute l'année pour notre atelier de jeunes bovins, ce serait dommage de s'en passer. » Cet apport limité au printemps n'est pas une contrainte pour le père et le fils. Une désileuse automotrice en Cuma distribue tous les matins les rations aux différentes catégories d'animaux. « L'an passé, de la mi-avril à la mi-juin, le tourteau de colza a été apporté à raison de 1,5 à 1,7 kg par vache. Certaines semaines, nous sommes même descendus à 1 kg. » Le dernier pas à franchir pour supprimer le correcteur azoté est donc minime.

Par crainte de pénaliser les vaches en début de lactation, qui sont alimentées en ration complète comme le reste du troupeau, ils ne l'ont pas fait en 2015. « Avec du recul, nous aurions pu, confient-ils. Les taux d'urée mesurés en avril et mai 2015 montrent un gaspillage d'azote. Ils étaient de 254 g/kg de lait en avril et de 320 g en mai contre 160 g en mars. » En juin, il est retombé à 190 g avec une part de maïs remontée à 7 à 8 kg de MS par vache. « Nos sols sur schistes résistent mal au temps plus sec », précisent-ils.

« DES CHEMINS BITUMÉS POUR PÂTURER LE PLUS TÔT ET TARD POSSIBLE »

Benoît et Patrick en sont conscients. La contrepartie à la suppression du correcteur azoté est une plus grande optimisation du pâturage. Pour cela, ils ne partent pas de zéro. Vingt-quatre hectares sont accessibles des bâtiments, sans que les vaches aient besoin de traverser la route. Sept autres hectares peuvent éventuellement renforcer la surface. Les sols portants permettent une mise à l'herbe dès début mars si les conditions le permettent. Cette année, elle a eu lieu le 14.

Surtout, l'an passé, ils ont investi 40 000 euros dans l'aménagement des chemins d'accès et dans des points d'eau enterrés. Quatre cents mètres de chemins sont depuis le printemps dernier bitumés. Les canalisations d'eau sont posées jusqu'à la parcelle la plus éloignée, à 800 mètres de la stabulation. « Nous avons tardé à réaliser cet investissement, regrette Patrick. Il est onéreux mais indispensable pour exploiter convenablement l'herbe. Dès que les sols sont portants, nous n'hésitons pas à sortir les vaches. » L'apparition de la mortellaro il y a deux ans, les chemins caillouteux composés d'argillite ou glissants car en pente mettaient en difficulté les vaches. « Les glissades ne sont pas totalement résolues. Nous sommes parfois obligés d'épandre de la paille sur les parties très en pente (photo ci-dessus), mais globalement, les vaches vont et viennent entre la pâture et le bâtiment dans de bonnes conditions. »

« EMPÊCHER LES VACHES DE REVENIR LE MATIN À LA STABULATION »

Sur les conseils de la chambre d'agriculture de l'Orne, l'autre amélioration 2015 est la création, avec des fils électriques, de 4 paddocks d'environ 1,75 ha, à l'intérieur de deux parcelles de 7 à 8 ha. Ils sont conçus pour un pâturage de deux jours en pleine pousse d'herbe au printemps, et bien sûr en fonction de l'abreuvement. Cela correspond à 2 ares par vache sur deux jours, nuit et jour, pour 75 à 80 vaches. De quoi trouver le bon équilibre entre ingestion maximale d'herbe et paddock bien exploité aux termes des deux jours. « Auparavant, les deux parcelles étaient divisées en deux. L'herbe devenait trop haute au printemps. Il fallait retirer des prairies du circuit de pâturage. » Malgré cette nouvelle organisation, les deux associés ont tout de même eu recours au débrayage l'an passé. C'est que les parcelles n'étaient pas fermées. Liberté était laissée aux vaches de rejoindre la stabulation... ce qu'elles faisaient le matin en entendant la désileuse automotrice distribuer vers 11 heures le complément de ration à l'auge. « Même si elles sont lâchées le ventre vide le matin après la traite, nous constatons que cette habitude pénalise la consommation d'herbe pâturée. » Les éleveurs veulent aller jusqu'au bout de leur démarche d'optimisation. Depuis la mise à l'herbe mi-mars, ils ferment le paddock. « Elles "gueulent" mais nous ne cédons pas. Nous voulons aller chercher les 1 à 2 kg de MS par vache par jour nécessaires pour compenser l'arrêt du correcteur azoté que nous espérons de la mi-avril à la mi-juin (voir infographie page précédente). »

« MIEUX GÉRER LES DÉBUTS DE LACTATION AVEC LA RATION SEMI-COMPLÈTE ? »

Sans doute l'analyse, pour la première fois cette année, de l'herbe fraîche par la méthode AgriNir, d'Orne Conseil Elevage, les rassurera-t-elle sur la valeur alimentaire de l'herbe.

Ils craignent surtout une incidence sur les performances des laitières - à 80 % des normandes - en début de lactation. Sous l'impulsion de la nouvelle grille de prix de la fromagerie Gillot-Fléchard qui encourage le lait d'été, la part des vêlages va augmenter en mars et avril 2017. « Nous réfléchissons à remettre en service notre Dac avant la fin de l'année pour mieux adapter la complémentation à cette catégorie d'animaux au printemps et en été, et plus globalement toute l'année. Nous ferons des économies en concentré mais seront-elles suffisantes pour rentabiliser l'achat des colliers ? Nous ne sommes pas encore allés jusqu'au bout de l'analyse économique. » Le Gaec Delahaye travaille à la conduite d'un système économe qui soit également productif. De mars 2015 à février 2016, ils ont produit 633 400 litres à un coût alimentaire « vaches » de 85 €/1 000 l, dont 46 €/1 000 l de concentré.

« DES MÉLANGES POUR LE PÂTURAGE ESTIVAL »

Le test de quatre associations graminées et légumineuses va dans ce sens. Elles sont implantées dans quatre des huit nouveaux paddocks (une par paddock). Objectif : sur leurs terres séchantes, maintenir à partir de la mi-juin la quantité et la qualité des prairies pâturées via des mélanges adaptés. Au paddock témoin ray-grass anglais et trèfle blanc sont comparées trois associations : ray-grass anglais, trèfle blanc et fétuque élevée dans la première, auxquels sont ajoutés de la luzerne dans la deuxième, de la luzerne et du dactyle dans la troisième association. Cette comparaison est réalisée dans le cadre du GI2E (Groupement d'intérêt économique et environnemental) porté notamment par l'Union des producteurs bas-normands sous appellation d'origine, dont les associés sont membres.

CLAIRE HUE

En pente, ce chemin est bitumé depuis l'an passé pour faciliter l'accès au pâturage. Des glissières d'autoroute protègent le talus car les vaches ont tendance à monter, provoquant l'éboulement.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
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Maladies
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Herbe

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