Proposer le gîte et le couvert aux insectes auxiliaires

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Le maillage de haies est reconstitué grâce à l’abandon du broyage en bords de champs (ici prairie de fétuque avec féverole) et la repousse spontanée d’espèces autochtones d’arbres et arbustes. (© N.Tiers)

Depuis dix ans, Denis Colineau s’efforce de densifier le maillage paysager de son parcellaire à l’aide de haies spontanées et de bandes enherbées. Il s’appuie aussi sur l’agriculture de conservation des sols et les couverts végétaux pour favoriser des sols vivants.

«Au printemps 2022, en fauchant les prairies de fétuque élevée dans lesquelles nous sursemons des légumineuses comme la féverole, le tablier de la faucheuse était couvert de coccinelles », raconte Denis Colineau, du Gaec des Émeraudes, à Erdre-en-Anjou (Maine-et-Loire), en montrant la photo sur son smartphone. La préservation des insectes auxiliaires est depuis une dizaine d’années une préoccupation de l’éleveur. Le déclic s’est produit lors d’une journée sur le thème de la biodiversité fonctionnelle organisée en 2013 sur sa ferme par le réseau Base, qui met en œuvre l’agriculture de conservation des sols (ACS). Car le Gaec des Émeraudes pratique la simplification du travail du sol depuis le début des années 2000 et l’ACS depuis 2016. «Lors de cette journée, j’ai pris conscience de l’importance pour les auxiliaires de disposer du gîte et du couvertpour s’installer dans les parcelles agricoles », résume Denis Colineau. À l’époque, l’agriculteur a accès, via sa coopérative, à des contrats de production de blé sous la charte Lu Harmony, prévoyant de consacrer 3 % de la surface cultivée à des plantes à fleurs favorables aux insectes pollinisateurs.

Denis Colineau : « Je suis le premier à bénéficier de la biodiversité présente sur mon exploitation. » ( © N.Tiers)

Créer des corridors écologiques

Plutôt que d’implanter cette surface « dans un coin de l’exploitation ne servant à rien », Denis Colineau décide de créer 3 000 m2 de bandes enherbées de trois mètres de large servant de corridors écologiques entre des réservoirs de biodiversité déjà présents sur l’exploitation (bois, chemins bordés de haies). « J’ai choisi des mélanges de trèfles et de graminées car je voulais que ces surfaces soient pérennes et faciles à entretenir, explique-t-il. Aujourd’hui, je n’ai plus de contrat Lu Harmony, mais j’ai gardé ces bandes et j’en ai même ajoutées. Elles sont broyées une fois par an en fin d’été.» Dans la foulée de la journée Base de 2013, Denis Colineau rejoint le réseau Arbre (Agriculteurs respectueux de la biodiversité et des richesses de l’environnement) créé en 2011 dans le Maine-et-Loire par plusieurs partenaires : chambre d’agriculture, fédération des chasseurs, CPIE Loire Anjou, école supérieure des agricultures (ESA), conseil départemental.

Cette bande enherbée pérenne de trèfles et graminées a été mise en place en 2014. Elle sert de corridor écologique entre le bois (au fond à droite) et un chemin bordé de haies. ( © N.Tiers)

« Ne pas dépasser 6 hectares de maille bocagère »

Un diagnostic est réalisé sur l’exploitation dans le but de mettre en place un plan d’actions. Les agriculteurs adhérant au réseau Arbre s’engagent en effet pour la conservation, la bonne gestion, la densité et la diversité des habitats, ainsi que la connectivité de ces habitats entre eux, comme source de biodiversité et de résilience des systèmes. « Nous avons arrêté de broyer les bords de champs pour laisser les haies repousser spontanément avec des espèces autochtones plus résistantes que les plantations, déclare l’éleveur. L’objectif était de reconstituer progressivement un maillage paysager favorable à la biodiversité sur notre parcellaire. On considère que les insectes auxiliaires se déplacent jusqu’à 80 mètres d’une haie ou d’une bande enherbée. Aujourd’hui, avec plus de dix kilomètres de haies sur l’exploitation et l’objectif de ne pas dépasser 6 ha de maille bocagère, la presque totalité de nos 90 ha est couverte. »

Nuée de coccinelles lors de la fauche de la prairie de fétuque élevée sursemée en légumineuses. Le traitement des blés de l’exploitation contre le puceron de l’épi a été abandonné grâce à l’action de ces auxiliaires. ( © D.Colineau)

Un inventaire réalisé en 2015 a montré la présence sur l’exploitation de dix espèces de coccinelles et onze espèces de syrphes : une diversité jugée modérée et majoritairement imputable à la présence de haies en bon état de conservation. S’il est attentif aux aménagements paysagers, Denis Colineau a une autre conviction. « Selon moi, l’agriculture de conservation des sols est un facteur primordial en faveur des organismes vivants dans et sur le sol, affirme-t-il. Le semis direct sans travail du sol perturbe peu leur milieu de vie et les couverts végétaux leur fournissent un habitat et de la nourriture. » À partir du test bêche, l’effectif de vers de terre ,par exemple, est estimé à 400 individus par mètre carré, contribuant à une structure des sols favorable, une bonne portance et à la correction d’éventuels phénomènes de compactage.

Abandon des antilimaces sur céréales

Malgré sa sensibilité au sujet de la biodiversité, Denis Colineau demeure un éleveur conventionnel, qui utilise des produits phytosanitaires. « Nous voulons produire parce que c’est notre boulot, revendique-t-il. C’est pour cela qu’on ne s’interdit pas les traitements même si on en fait le moins possible et que l’on choisit des produits sélectifs. On ne se considère pas comme des pollueurs. Les observations montrent que les insectes auxiliaires et les vers de terre sont présents sur l’exploitation. Sans doute que les aménagements paysagers et l’absence de travail du sol compensent les effets négatifs des produits phytosanitaires. » L’éleveur en veut pour preuve l’abandon depuis quelques années des produits antilimaces sur les céréales d’hiver implantées dans les couverts : l’œuvre, selon lui, des carabes et staphylins, prédateurs des mollusques.

Sur maïs, l’antilimace reste nécessaire dans certains cas. Denis Colineau a banni aussi les insecticides contre le puceron de l’épi sur céréales, grâce à l’action des coccinelles. À l’automne, en revanche, bien que l’éleveur s’efforce d’avoir des couverts en fleurs à proximité des blés pour attirer les syrphes, cela suffit rarement à réguler les pucerons et éviter le traitement. Sur colza, il surveille les méligèthes à l’aide d’une cuvette jaune et fait régulièrement l’impasse si la pression est faible. Les herbicides sont employés sur toutes les cultures, dont le glyphosate une fois par an (1,5 litre/ha), notamment contre les graminées indésirables. « Cela permet de repartir d’une parcelle propre et je ne vois pas d’impact sur la vie du sol chez moi, observe Denis Colineau. Sans doute que la couche de végétaux sur le sol protège les auxiliaires. »

L’abandon du travail du sol associé aux couverts végétaux est source d’une forte présence de turricules de vers de terre, d’une structure de sol résistante au compactage avec une bonne réserve en eau, d’enrichissement en matière organique, et de stockage de carbone. ( © N.Tiers)

Balance en faveur de l’ACS

Pour l’éleveur, la balance est de toute façon en faveur de l’ACS : sol vivant ; gain d’un point de matière organique en dix ans (entre 3 et 4,5 % selon les parcelles) synonyme de fixation de carbone et d’un meilleur stockage de l’eau ; économie significative d’azote minéral grâce au relargage par le sol ; cultures en bonne santé et plus résilientes aux aléas.

C’est en participant aux réseaux Base, puis Arbre, que Denis Colineau a pu avancer sur la voie de l’agriculture de conservation des sols et de la préservation de la biodiversité. « Ces réseaux sont importants, surtout au début pour savoir comment s’y prendre, reconnaît-il. Aujourd’hui, c’est à mon tour de partager mon expérience auprès de groupes d’agriculteurs, et d’étudiants d’Angers qui viennent faire des observations et des comptages. Ça m’apporte toujours beaucoup et j’aborde à chaque fois les actions que nous menons dans le cadre du réseau Arbre. La biodiversité, je suis le premier à en bénéficier. »

Dix gestes simples pour favoriser la biodiversité sont à retrouver sur le nouveau site créé par les chambres d’agriculture, agriconnaissances.fr. À l’aide de nombreuses ressources (guides techniques, vidéos, témoignages, outils en ligne), il vise à apporter des réponses concrètes aux agriculteurs pour la mise en œuvre d’aménagements et de pratiques favorables à la biodiversité.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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