
Installé hors cadre familial, en Gaec, sur une exploitation de polyculture-élevage avec un troupeau montbéliard à haute valeur génétique, Vincent Fernandes s’est retrouvé seul avec un salarié après le départ de ses trois associés. Pour adapter la charge de travail et améliorer la marge de l’atelier lait, il a opté en 2019 pour l’IGP gruyère de France. Un choix stratégique qui s’est révélé payant.
Venu à l’élevage par la passion de la génétique montbéliarde, Vincent Fernandes a intégré en 2011 un collectif en polyculture-élevage laitier. Bien connue pour sa génétique, l’exploitation gérait 430 hectares de SAU, dont 200 ha de cultures de vente. Conduit en système maïs-herbe et zéro pâturage huit mois sur douze, le troupeau produisait plus d’un million de litres de lait avec des montbéliardes à 9 000 kg par vache et par an.
Les deux premiers associés de Vincent sont partis à la retraite en 2014 et 2016. Le troisième, qui n’avait pas la fibre de l’élevage, s’est retiré en 2017 avec 115 ha de cultures. « À chaque départ, j’ai dû racheter 150 000 à 200 000 € de parts sociales, précise Vincent Fernandes. C’est une situation que j’ai subie mais que je ne regrette pas pour autant. Si j’avais démarré seul, je n’en serais pas là. J’ai pu façonner par ailleurs la structure à ma façon et prendre les décisions stratégiques qui me semblaient les meilleures. Il n’est pas sûr que mes associés aient été d’accord pour partir comme je l’ai fait en 2019 en lait IGP gruyère. »

Ce choix a été entériné quand le jeune éleveur a su qu’il allait se retrouver seul. « Il fallait que j’augmente la marge de l’atelier lait pour pouvoir rembourser les parts sociales de mes anciens collègues. »Une alternative aurait été d’intensifier le lait standard en système maïs-herbe en augmentant les volumes produits à 1,2 million de litres de lait. Mais, à deux, avec un salarié embauché pendant la phase de séparation avec le dernier associé, la charge de travail et les risques sanitaires semblaient trop importants.


Vincent a recentré l’exploitation sur le lait en développant unsystème foin-regain-pâturage tournant dynamique. Deux ans avant la transition vers le lait IGP, 30 ha de cultures situées autour des bâtiments ont été retournés et semés en prairies (mélanges suisses). L’objectif était d’assurer l’autonomie du système fourrager et de réduire les charges (phytosanitaires et engrais).
Apprendre à gérer les transitions alimentaires
Le système fourrager a été modifié pour tenir compte du cahier des charges IGP de la jeune filière gruyère de France (pas d’aliment fermenté ni d’OGM, 150 jours par an de pâturage obligatoire). Le maïs-ensilage a été supprimé au bénéfice de fourrages secs. Outre du maïs en vert (4,5 ha par an), des betteraves ainsi que du maïs micronisé, plus digeste, ont été introduits dans l’alimentation des laitières. « Microniser le maïs[c'est-à-dire broyer extrêmement fin du grain] par un prestataire est plus coûteux que de l’aplatir, mais cela contribue à l’amélioration des performances », souligne l’éleveur. Lactogène, source d’énergie et complémentaire du maïs et de l’orge (autoproduits et incorporés à la ration), la betterave est cultivée depuis six ans.
Sélection génétique avec des mères à taureaux montbéliards
Les deux premières années, avec une technique et une ration encore mal maîtrisées, la production laitière a chuté à 6 000-6 300 kg de lait par vache et par an. Il a fallu recaler la ration, apprendre à gérer les transitions alimentaires au printemps et à l’automne, et être plus vigilants sur les préparations au vêlage. Ce travail a payé. La moyenne d’étable est remontée à 8 000 kg. « Depuis un an et demi, nous avons passé un cap avec la chance de l’avoir fait l’année où le prix du lait IGP a été fortement augmenté (+ 75 € les 1 000 l), se félicite Vincent.L’objectif est désormais d’arriver à 8 500 kg en améliorant la qualité du lait et les taux. Même si j’aime bien les vaches qui font du lait, revenir au niveau initial d’avant la transition vers l’IGP (9 000 kg) n’est pas une fin en soi. Le but est d’être le plus efficace économiquement. »

Changer de système n’a pas nui pour autant à la valeur génétique du troupeau (132 d’Isu en avril dernier), que Vincent continue à améliorer avec le génotypage, le transfert embryonnaire et son œil d’éleveur. « On a juste des animaux un peu différents physiquement, moins lourds », observe-t-il. Chaque année, 120 vaches et génisses sont inséminées (95 % avec des semences sexées, 5 % en semences conventionnelles) et dix vaches sont engagées dans le schéma « mâles Umotest ». L’objectif de Vincent est d’aller chercher la meilleure génétique que le troupeau soit capable d’atteindre avec des animaux qui produisent longtemps (3,5 à 4 lactations par vache contre 3 actuellement).

« Une carte à jouer est la longévité, considère-t-il. En système foin, les vaches avancées en lactation expriment mieux le lait qu’une génisse de 27 mois. Si les génisses font 25-27 kg au premier contrôle, les multipares doivent faire 40 kg en quatrième lactation. » Autre critère : la persistance de lactation. Sur 85 génisses élevées chaque année, Vincent en garde 25. Le reste part à l’export, idéalement avant 24 mois. « Cette filière nous donne la possibilité économique de prendre le temps pour mieux sélectionner. L’atelier est très complémentaire du lait. Il nous permet de valoriser des ressources fourragères excédentaires, même si le bilan fourrager est plus serré depuis quelques années avec le changement climatique. On vendait jusqu’à 120 tonnes de foin par an. Moins désormais. Alors que nous avons des surfaces importantes d’herbe à faire en foin (100-120 ha par an en balles rondes), les génisses nous permettent de déprimer les parcelles entourées de bois qui sèchent tardivement et donc de retarder les dates de fauche au-delà de la mi-juin quand les journées sont plus chaudes. »
Malgré une trésorerie tendue, Vincent est satisfait de ses choix et de sa vie d’éleveur. « L’extensification de la production IGP correspond à mon état d’esprit et commence à payer économiquement. Je ne pensais pas faire autant de lait en changeant de système. »
Une réussite collective
Le nouveau système est cohérent par rapport au potentiel de l’exploitation : toutes les parcelles de culture à faible potentiel sont en herbe aujourd’hui. Toutes les céréales produites dorénavant sont autoconsommées, à l’exception des 120-130 tonnes de blé vendues chaque année. C’est une réussite collective que Vincent attribue à la qualité des relations qu’il entretient avec ses techniciens et conseillers.


« Que ce soit pour l’aliment ou pour la génétique, je travaille avec des gens de confiance. Je ne suis qu’un instigateur. J’ai aussi eu la chance de m’insérer dans la jeune filière gruyère de France qui, depuis sa reconnaissance en IGP en 2013, n’a connu que de la croissance et des prix du lait en hausse. En 2019, je suis passé d’emblée de 280 € les 1 000 litres en lait standard à 410 € les 1 000 litres en lait IGP. » Et, cette année 2024, laperspective de prix est de 545-550 € les 1 000 litres.

Venus du Portugal et d’Italie, les parents de Vincent sont fiers du parcours de leur fils. « Il est parti de rien », souligne son père. Anciens infirmiers, ils ont eux aussi pris goût aux vaches et viennent aider Vincent à la traite le soir. C’est en accompagnant des amis sur les concours, en rencontrant de grands sélectionneurs (dont Patrick Husson, un de ses anciens associés) et en travaillant comme inséminateur à Génélevage coop IA 70(devenu Geniatest) de 2003 à 2008 que Vincent s’est passionné pour l’élevage. « Le milieu et le collectif m’ont attiré. J’ai fait mon apprentissage de BTS PA dans une ferme voisine de celle où je suis aujourd’hui. » Un sacré parcours…

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