« Un autre monde et vite... dès 2015 »

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U n autre monde, cette Europe du Nord »... L'édito de décembre a le mérite d'être clair. Je résume : on vit dans un monde où le seul marché décide, un monde où il n'y a pas de place pour les hésitants et les rêveurs. Décidément, notre revue nous offre de drôles de cadeaux de Noël ! L'an dernier, en mettant en vedette une étable à deux millions de litres pour un bonhomme. Cette année, en vantant ces Allemands du Nord avec des projets à 200 ou 500 vaches pour l'après-2015. Sans dire un mot des montagnes de poudre qui se forment déjà et du prix du lait plombé avant la fin des quotas !

Il aura suffi d'une bonne année fourragère alliée à un bon prix du lait pour que l'Europe accroisse ses livraisons de 6 millions de tonnes de lait, soit le quart de la collecte française. Ce surplus aurait pu être le double si tous les pays encore bridés par leurs quotas, tels l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Irlande et d'autres, avaient pu appuyer à fond sur l'accélérateur. Et comme le prix du lait a aussi dépassé les 400 €/t en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, ces deux gros fournisseurs du marché mondial ont eux aussi produit plus de lait et de poudre. Ce qui se traduit par un surplus de 20 % pour un marché mondial qui ne peut en absorber que quelques pourcentages. Celui-ci s'est même rétréci cet été : ayant fait ses stocks en début d'année, la Chine a nettement ralenti ses achats et l'embargo russe nous prive de notre premier client ! Crise totalement imprévisible ou petit problème d'ajustement temporaire ? Demain, d'autres causes produiront les mêmes effets, avec une volatilité des prix de plus en plus incontrôlable, donc une insécurité alimentaire croissante. Ce serait le prix à payer pour nous permettre d'exporter 10 % de notre production sur le marché mondial ! Cela se traduit déjà par un même prix du lait à la ferme en Europe et en Nouvelle-Zélande, alors que nous transformons 90 % de notre lait en produits laitiers à bonne valeur ajoutée et dont les prix à la distribution sont rarement à la baisse. À qui profite cette réforme ? À l'évidence, ni aux producteurs ni aux consommateurs européens.

Le prix du lait à la ferme a plongé de 40 % dès juin en Nouvelle-Zélande et une nouvelle baisse de 12 % a été annoncée. Le marché affiche des prix inférieurs à 2 000 €/t pour les poudres de lait et pour le beurre, y compris pour les ventes à terme jusqu'en mai 2015. Soit une valorisation à moins de 200 €/tonne de lait ! À ce prix, les Néo-Zélandais continuent à produire (+ 5 % depuis juin), mais pas les Européens ! Et ce n'est pas le filet de sécurité de l'intervention à 215 € qui les sauvera, car beaucoup trop bas et trop limité en volume. Les « meilleurs » s'en sortiront peut-être en s'agrandissant, avec toujours plus de vaches... et moins de voisins. Est-ce ainsi que l'on veut préserver l'avenir de la filière, installer des jeunes et garder des campagnes vivantes ? « C'est la loi du marché », nous dit la Commission ! Au nom de ce même « réalisme » à courte vue, on ne pourrait pas empêcher la signature du traité de libre-échange avec les États-Unis, champions du dumping social et environnemental(1) ! Face à ces enjeux majeurs, il n'y aurait rien à dire, rien à faire ?

Eh bien si, un autre monde est possible, avec des citoyens, des consommateurs, des éleveurs, tous ensembles, responsables et solidaires. La loi du marché veut mettre le monde entier en compétition sur une même autoroute, les uns à pied, les autres en 4 x 4... dans une course absurde, à contresens de l'avenir de nos enfants. La contractualisation n'y change rien. Elle a été imposée en France par un ministre trop pressé, avec des contrats sans prix, des OP trop nombreuses, trop liées aux entreprises.

Les coopératives ont aussi leur part de responsabilité en s'exonérant de la maîtrise de la production et en misant sur la poudre pour l'export. Tout cela apparaît extrêmement fragile, sans garantie de marché ni de revenu pour les éleveurs. Alors une vraie régulation de l'offre redevient crédible. Elle va même s'imposer lorsque les éleveurs seront dans la rue, à Rennes ou à Paris, mais surtout à Bruxelles et à Strasbourg, tous ensemble, calmes et déterminés. Car ils ont des propositions convaincantes(2) qui ne coûtent pas cher au budget européen, tout en préservant notre sécurité alimentaire, l'avenir de la filière et l'équilibre des territoires. Certes, en 2015, le prix du lait va plonger...

Mais cette crise doit aussi réveiller le Parlement européen et le Conseil pour contrer la dérive libérale de la Commission depuis deux décennies. Aux dépens des éleveurs et de bien d'autres secteurs. Alors malgré la crise, 2015 serait... une bonne année.

Auteur de « Europe laitière : valoriser tous les territoires pour construire l'avenir ». Editions France Agricole 2010.

ANDRÉ PFLIMLIN

(1) Le Farm Bill 2014-2018 prévoit une garantie de marge sur coût alimentaire pour tous, y compris les feedlots laitiers à plusieurs milliers de vaches, souvent sans bâtiment ni collecte d'effluents et avec des Mexicains sous-payés.(2) Notamment le projet de l'EMB (2014), qui propose des mesures volontaires ou/et obligatoires selon le niveau de crise, en reprenant des éléments de la proposition Dantin et de la version initiale du Farm Bill laitier (lire p 20).

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
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Herbe

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