« J’ai changé la conduite de mes prairies pour ne plus manquer de fourrages »

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Cyrille Létard gère les prairies pâturées avec l'herbomètre qui est relié en bluetooth à une application sur son smartphone. Elle calcule directement la quantité d'herbe sur pied. L'éleveur bas-normand établit ensuite manuellement le calendrier de pâturage des 36 paddocks des laitières. (©C.Hue)

En sols séchants, après avoir subi plusieurs étés caniculaires, Cyrille Létard a décidé d’adapter l’effectif de son troupeau au potentiel fourrager de son exploitation et de mieux articuler la gestion des prairies et des stocks fourragers. Complété de 8 hectares de maïs, son système herbager conduit sur seulement 84 hectares l’oblige à optimiser chaque parcelle.

L’année 2024 très pluvieuse a rendu la conduite des prairies délicates pour bon nombre d’exploitations laitières. Éviter leur « matraquage » par les vaches et les génisses et réagir rapidement aux courtes fenêtres météo pour les ensilages et les foins ont fait partie des soucis de l’an passé. Il faut tenir compte de ces mauvaises conditions pour préparer la nouvelle saison de pâturage. Chez Cyrille Létard, éleveur à La Ferté-Macé (Orne), secondé par son employé Baptiste Barbé, c’est plutôt l’inverse. En Suisse normande, réputée séchante, ses 84 ha sont des terres superficielles filtrantes, sablo-limoneuses sur granit ou limoneuses sur grès. Pour cet éleveur qui vise 60 % de la ration annuelle des vaches en lactation assurée par le pâturage, une année pluvieuse est une bonne nouvelle. Agréé bio, il est également engagé dans l’appellation d’origine camembert de Normandie.

(© C.Hue)
La ration fourragère est composée de 75% d’ensilage d’herbe et de 25% de maïs-ensilage. Tous deux sont conservés dans le même silo pour faciliter le travail de distribution. Cyrille Létard n’est pas équipé de mélangeuse. Du foin est également mis à disposition. (© C.Hue)

« La saison 2024 de pâturage et de fauche est la meilleure depuis mon installation en 2020 : de 8,5 à 9 t de MS/ha sur les 24 ha pâturés par les vaches en lactation, dont 6 ha débrayés au printemps. Elle n’est pas seulement due aux conditions climatiques favorables à l’exploitation. J’ai tiré les leçons des canicules des années passées et adapté le système fourrager au risque de sécheresses récurrentes », dit le jeune éleveur. En 2022, il a dû acheter du maïs épi pour consolider les stocks fourragers insuffisants. Et surtout, il a préféré décaler de plusieurs années son projet d’investissement dans un robot de traite, le temps de consolider son système de production.

Le seuil critique à 6 t/ha de matière sèche

Cyrille Létard a calé la conduite de l’élevage à partir des difficultés rencontrées il y a trois ans. « 2022 est mon seuil critique. Les prairies ont fourni 3 t de MS/ha de moins qu’en 2024. J’ai déterminé l’effectif du troupeau à partir de ce potentiel bas, en tenant compte bien sûr de mon objectif de niveau d’étable, 6 500 kg par vache, car je souhaite des vaches relativement productives. Sur cette base, j’ai besoin toute l’année d’au moins 900 kg de MS par jour de fourrages. »

En 2023, il comptait 55 vaches présentes. Les conditions de 2024 ont permis de les augmenter à 59.

Pâturage d’automne : pas avant 2 feuilles

Le soin apporté au déprimage et au pâturage d’automne fait partie de la sécurisation fourragère. Des étés précédents, l’éleveur a compris qu’il peut compter sur une pousse d’herbe automnale. « Hormis l’an passé, j’ai appris à patienter pour laisser le temps à la prairie permanente de redémarrer. » Les pieds des graminées et des trèfles ne sont pas abîmés, ce qui préserve leur potentiel pour la saison suivante. Les laitières ne dépriment pas les parcelles avant le stade 2 feuilles des graminées. Cyrille estime que la création de 36 paddocks de 55 à 80 ares par jour en 2021 favorise également la repousse d’automne grâce au rythme de rotation que cela impose. « Lorsque le pâturage durait deux à trois jours sur la même parcelle, j’avais tendance à raccourcir le temps de retour des animaux, pénalisant ainsi la biomasse disponible. »

En hiver, la ration 100% à l’auge ne dure que trois mois. Les vaches en lactation ont été rentrées en stabulation le 20 novembre l’an dernier et mises à l’herbe cette année fin février. (© C.Hue)

Les sols porteurs autorisent un pâturage jusqu’à la mi-décembre quand l’herbe est au rendez-vous. « Sans trop de risque de les “marquer” par l’enfoncement des sabots car les vaches changent chaque jour de parcelle, précise-t-il. L’automne dernier, je les ai rentrées le 20 novembre à cause des chemins devenus trop humides. Je suis en projet d’aménagement. »

Réensemencer par du foin épié

Les génisses et les vaches taries sont mises à contribution pour le dernier passage automnal. Elles nettoient les paddocks les plus éloignés de la stabulation laitière (800 m à 1 km). De même, sur les zones moins garnies en herbe, généralement là où la roche affleure, elles consomment du foin épié qui y a été déployé. « C’est une technique simple et efficace pour réensemencer les ronds, assure-t-il . Je la préfère au resemis qui fait remonter les cailloux. Je l’ai apprise d’un collègue qui fait partie de mon groupe Civam. » Il insiste sur l’importance du réseau des Civam normands dans la refonte de son système herbager. L’échange avec les collègues et les formations suivies l’ont fait progresser. L’autre avantage des sols filtrants est une mise à l’herbe précoce, autour du 20-25 février, pour organiser un déprimage décroissant sur les 36 paddocks jusqu’au 1er avril.

2 tonnes de MS/ha sur pied pour déclencher le déprimage

L’herbomètre est le bras armé de Cyrille. Il est relié en bluetooth à une application sur son smartphone qui transforme la hauteur d’herbe en quantité de matière sèche disponible. Il s’appuie sur un repère simple : laisser de 1 500 kg à 1 600 kg de MS/ha de stock sur pied à la sortie des vaches du paddock, « ce qui correspond à 6 cm de hauteur d’herbe. La mise à l’herbe est prévue fin février à 1 800-1 900 kg de MS/ha. Les laitières en consomment 500 kg sur 1 ha, soit l’équivalent d’un quart à un tiers de ration fourragère sur 50 à 80 ares, calcule-t-il. J’ajuste toutes les semaines la ration à l’auge en fonction de l’herbe disponible. » S’il observe un peu trop de matières mortes, il emmène le troupeau directement au paddock après la traite du matin pour un pâturage actif. La ration est alors distribuée en deuxième partie de journée. En pleine pousse d’herbe, l’objectif est de fermer le silo, là aussi en laissant 1 500 à 1 600 kg de MS/ha résiduels à la fin du pâturage du paddock. Une fois par semaine, pour actualiser ses repères, l’éleveur mesure les hauteurs d’herbe à pâturer les jours suivants, ceux qui viennent d’être pâturés et ceux consommés deux semaines avant.

Silo fermé au printemps : sous conditions

L’herbomètre n’est pas son seul juge de paix. Formé à la méthode néo-zélandaise du pâturage tournant dynamique, il observe également le stade botanique des graminées : entre 2 et 3 feuilles, gage pour lui d’une valeur alimentaire équilibrée en énergie et azote. Le taux d’urée dans le lait et l’écart entre les TP et TB complètent ce pilotage pour corriger, s’il le faut, la ration. Au-delà de 230 mg d’urée/l et de 1,5 point de taux, 500 g à 1 kg/vache de méteil grains sont ajoutés aux 2 kg/vache (triticale + avoine + pois fourrager) exclusivement apportés.

Une année pluvieuse comme celle de 2024 est idéale pour les sols filtrants de l’exploitation. Les stocks d’ensilage d’herbe étant largement constitués, l’éleveur a choisi de récolter 2 ha de maïs en épi stocké en balles enrubannées, sur les huit semés. (© C.Hue)

Fin mars, Cyrille fait également le bilan de ses stocks fourragers au silo et enrubannés pour se préparer à une éventuelle sécheresse estivale qui réduit à néant toute possibilité de valorisation prairiale. « Il me faut trois mois d’avance pour une éventuelle alimentation 100 % à l’auge. Le temps d’un complément fourrager l’été et d’un affouragement exclusivement hivernal est révolu. » Les 8 ha de mélange triticale + avoine + trèfle incarnat cultivés en dérobée du maïs sont la variable d’ajustement, donc pas nécessairement ensilés. Si les trois mois sont assurés, ils sont fauchés début avril pour libérer plus tôt la réserve utile destinée à la culture du maïs. « La biomasse est restituée sous forme de matière organique au sol. »

Les déjections, l’or marron

Les producteurs bas-normands se soucient du maintien de la fertilité des terres, qui est un des enjeux majeurs des exploitations en agriculture biologique. Les déjections des animaux sont donc précieusement utilisées, là aussi avec des repères bien cadrés. Avant d’attaquer le déprimage, le lisier fabriqué par les vaches pendant leurs trois mois en stabulation est épandu après le 15 janvier sur les 36 ha de prairies qui sont autour. Il complète la fertilisation organique déjà apportée via les restitutions des animaux au pâturage. Le fumier des génisses et des vaches taries, lui, est destiné aux prairies plus éloignées et aux champs cultivés. 

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