
Défendre « la souveraineté alimentaire » de la France : derrière cette revendication au cœur de la mobilisation agricole, en particulier contre l'accord de libre-échange UE-Mercosur, apparaissent d'autres dépendances d'une agriculture française en crise.
Echanges mondialisés, France en repli
Alors que les échanges mondiaux de produits agricoles et agroalimentaires s'intensifient, le bilan est globalement positif pour l'Union européenne, 2e zone excédentaire au monde, derrière le Brésil.
Mais dans cet ensemble, la France voit elle son excédent commercial se détériorer, à 4,9 milliards d'euros en 2024.
« C'est un décrochage de la France à l'intérieur de l'Europe », décrit Vincent Chatellier, économiste à l'Inrae. Des filières déficitaires, comme les fruits et légumes dont un sur deux est désormais importé, le « sont de plus en plus », souligne l'expert. Pour lui, « on a besoin de mieux cibler les produits pour lesquels une relance de la production serait nécessaire ».
Il cite notamment la volaille, dont le commerce international n'a jamais été aussi important. Pourtant la production française a reculé de 30 % depuis 1997 quand celle de la Pologne quadruplait.
Certains secteurs sont mieux lotis, mais menacés : les vins et spiritueux (conflit commercial avec les Etats-Unis, désamour des consommateurs) ou le blé (concurrencé par les grains russes mais aussi roumains).
Une concurrence d'abord européenne
Alors que les syndicats agricoles bataillent contre le projet d'accord de l'Union européenne avec des pays du Mercosur, Vincent Chatellier souligne que « la concurrence intra-européenne est plus problématique que celle des pays tiers ».
Résultat de la montée en puissance de certains Etats, la France, 2e exportatrice européenne en 2000, n'est plus qu'à la 6e place, loin derrière les Pays-Bas (45 milliards d'excédent), la Pologne, l'Espagne (en pointe sur le porc, le vin, les fruits et légumes).
Les interdépendances rendent complexes l'appréciation de la souveraineté.
Par exemple, la France produit environ 1,3 million de tonnes de blé dur - près de 150 % de sa consommation - mais importe près des deux tiers des pâtes (fabriquées à base de blé dur) qu'elle consomme, essentiellement d'Italie pour les haut de gamme et d'Espagne pour les marques des distributeurs.
Dépendances cachées
Dans sa recherche de « souveraineté », l'agriculture doit aussi s'interroger sur des dépendances moins visibles qu'elle subit du fait de ses modes de production, estiment des chercheurs. Par exemple, les carburants des machines ou les engrais azotés - produits avec du gaz hier venu de Russie, aujourd'hui de Norvège ou des Etats-Unis.
Depuis la guerre en Ukraine, les prix des engrais dans l'UE ont crû de 30 %, répercutés sur les prix alimentaires.
Côté élevage, l'augmentation, souhaitable au vu de la demande, de la production de poulets en France, s'accompagnerait d'un accroissement des importations de soja (notamment du Brésil).
La question de l'eau est aussi centrale : en 40 ans, 14 000 captages ont disparu en France, à 41 % du fait de pollutions agricoles (pesticides, engrais), avec pour conséquence une augmentation du prix de l'eau potable, liée au coût de son traitement, note Harold Levrel, professeur d'économie au Muséum d'histoire naturelle.
« On estime qu'on est aujourd'hui autour d'un milliard de dépenses par an » pour traiter l'eau, avec des systèmes complexes de filtration utilisant « des charbons actifs importés de Chine ou des Etats-Unis », ce qui accentue encore les dépendances françaises, relève-t-il.
La souveraineté, un héritage et des solutions
Désormais pensée comme un « réarmement » face aux chocs géopolitiques, la souveraineté alimentaire est originellement une notion issue des luttes paysannes altermondialistes, définie par l'ONU comme le droit des populations de choisir leurs systèmes alimentaires et agricoles.
Soulignant l'interdépendance entre activité agricole et nature (pollinisateurs, fertilité des sols...), Harold Levrel défend une approche écosystémique, à la recherche d'une souveraineté qui serait aussi un legs « pour les générations futures ».
Selon une étude de l'Inrae menée dans un réseau de fermes expérimentales, dans 59 % des exploitations, on peut réduire les pesticides de 42 % sans diminuer productivité et revenu, rappelle le chercheur.
« La puissance publique pourrait appuyer une transition visant à augmenter notre souveraineté : protéger les agriculteurs de règles commerciales inégales, aider les maraîchers, éleveurs ovins et producteurs de fruits », plaide-t-il, ce qui signifierait « réorienter » certaines subventions : « On a besoin de subventions qui ne soient plus uniquement indexées sur les surfaces ».
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