Dermatose : la colère agricole est celle « d'un monde qui se voit mourir »

Pour François Purseigle, « c'est une multitude de coups, qui expliquent que la colère prend encore plus ».
Pour François Purseigle, « c'est une multitude de coups, qui expliquent que la colère prend encore plus ». (©Stéphane Leitenberger/Adobe Stock)

Près de deux ans après les grandes manifestations agricoles, parties d'Occitanie, le nouvel épisode de colère agricole en cours dans le Sud-Ouest est celui d'un modèle « d'agriculture familiale » qui « se voit mourir », estime le sociologue François Purseigle.

Après une première étincelle dans le Doubs, la contestation de la stratégie sanitaire basée sur l'abattage des troupeaux de bovins touchés par la dermatose nodulaire contagieuse a pris de l'ampleur avec la découverte de premiers cas dans le quart Sud-Ouest, où des agriculteurs bloquent plusieurs axes routiers depuis vendredi soir.

« Le sentiment de désespoir des agriculteurs s'est amplifié, passant de 5 % à 20 % en 30 ans, mais il est beaucoup plus grand dans le Sud-Ouest que dans le reste de la France », relève M. Purseigle, directeur de l'école d'ingénieurs agronomes AgroToulouse, qui codirige l'enquête Vox Agri menée chaque année avec le Cevipof auprès d'un millier d'exploitants agricoles.

Dans cette région où le modèle de « polyculture-élevage » reste dominant, les « outils industriels », comme les abattoirs, les laiteries, les ateliers de transformations, « ont petit à petit délaissé le territoire », tandis que « les contrats » avec des coopératives « se sont réduits », observe le sociologue.

Pour l'auteur du livre « Une agriculture sans agriculteurs », qui relate l'effondrement du modèle agricole familial historique au profit d'une agriculture dominée par les grosses structures, les associations entre exploitations et la sous-traitance, « tout ce qui permettait à une exploitation de taille moyenne, voire petite, d'être résiliente devient défaillant ».

« Crises à répétition »

« Jusqu'à présent ça tenait parce que les familles se sacrifiaient sur l'autel de l'exploitation. Mais on voit aujourd'hui les fragilités de l'exploitation familiale », couplées au vieillissement des agriculteurs, explique M. Purseigle, qui note dans son ouvrage que ce modèle « ne tient plus qu'à un fil », avec un chef d'exploitation travaillant en réalité seul, dans 42 % des fermes.

Contrairement à la Bretagne ou au nord de la France, où la majorité des exploitations ont été « restructurées » ou « adossées à une industrie agro-alimentaire forte », les outils agricoles « n'ont pas été repensée » dans le Sud-Ouest ou « trop faiblement ».

« On a alors le sentiment d'être abandonnés, que la puissance publique ne fait pas suffisamment et on subit des crises, notamment climatiques, à répétition. » Aux sécheresses et aux épisodes de grêle à répétition s'ajoutent d'autres épizooties animales, comme la grippe aviaire qui a durement touché les filières canards et volailles ou encore la crise viticole, particulièrement intense dans le Bordelais et le Languedoc.

« C'est une multitude de coups, qui expliquent que la colère prend encore plus », raconte le sociologue, coréalisateur du documentaire « Rural », prochainement diffusé en salles et consacré à l'éleveur Jérôme Bayle, figure des grandes manifestations agricoles spontanées de l'hiver 2024 après le blocage d'une autoroute près de Toulouse.

« Ce qui caractérise la colère agricole du Sud-Ouest, c'est une quête de reconnaissance identitaire. On a beaucoup d'agriculteurs qui sont en colère parce qu'ils veulent être reconnus socialement. Ils ne veulent pas conquérir le monde mais juste y exister. Et c'est un monde qui se voit mourir », conclut M. Purseigle.

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