L'équilibrage des aides aux dépens des laitiers de plaine va-t-il les fragiliser ?
Vincent Chatellier : D'ici à 2019, la France appliquera une convergence des aides découplées de 70 %, surdotera les cinquante-deux premiers hectares via la transparence Gaec, revalorisera l'ICHN, etc. Sans entrer dans les détails, les simulations de l'Inra et de l'Institut de l'élevage donnent une perte d'aides directes, par exploitation en 2019, de 7 000 € pour les lait + cultures à un gain de 8 000 € pour les spécialisés lait herbagers de montagne et piémont. Dans la réalité, cela ne se passera pas de cette façon pour les « perdants ». Avec une restructuration d'environ 5 % par an, leur montant d'aides directes augmentera. Surtout, ces aides ne seront jamais un élément structurant. Un retournement des marchés des intrants, du lait, du blé ou de la viande a plus d'effet sur le revenu.
Le couplage de l'aide à la vache laitière a-t-il un intérêt ?
V. C. : Les arbitrages viennent d'allouer un budget de 140 M€, soit une prime à la vache d'à peine 40 € en zone de plaine. Cela a-t-il un intérêt ? Non. Cela contribue à polluer le débat sur l'avenir du lait en France. Si son objectif est de le maintenir sur tout le territoire, ce n'est pas avec ce faible niveau qu'il sera atteint, surtout là où il est en concurrence avec les céréales. Les aides découplées pèsent bien plus dans la balance. Une fois le débat sur la Pac achevé, des questions plus fondamentales sur la structuration du secteur se poseront. La capacité à capter une partie de la demande mondiale en est une.
Les marchés mondiaux sont-ils la seule voie d'avenir pour les éleveurs ?
V. C. : Le marché français continuera de capter 70 % de la production nationale, mais il est vrai qu'accéder à des volumes de lait en plus passera par les marchés mondiaux. La FAO et l'OCDE estiment que la demande mondiale des produits laitiers va croître de 15 à 20 % entre 2013 et 2023 contre moins de 4 % pour l'Union européenne. L'enjeu pour la filière française est de mieux se positionner hors Europe. Avec 6,6 milliards d'euros à l'export en 2012, elle est le second exportateur européen. Seulement, elle reste trop exclusivement orientée vers les pays voisins.
Pour être compétitif sur le marché mondial, quelle taille et quel modèle de production faut-il viser d'ici à dix ans ?
V. C. : Que les producteurs se rassurent ! Ce n'est pas à eux seuls qu'incombe la réussite du positionnement sur les marchés mondiaux. Les industriels doivent travailler à la constitution de groupes de taille suffisante pour concurrencer les exportateurs allemands et nord-européens. À eux de mettre l'innovation au centre de leur démarche. Ces stratégies d'entreprise ne pourront être déployées avec les producteurs que dans le cadre d'une bonne cohérence de filière. Cela signifie accepter, chez les uns et les autres, de discuter de la création de la valeur et non plus seulement du partage de la valeur elle-même. Je pense par exemple à la saisonnalité.
Quels défis doivent relever les producteurs français ?
V. C. : A court terme, la meilleure des stratégies est la saturation des outils et la maîtrise des coûts. Des rations moins dépendantes d'intrants au prix fluctuant, des investissements centrés sur la création de valeur ajoutée et non plus sur la fiscalité y concourront. À quinze mois de la fin des quotas, définir ses objectifs à l'horizon sur dix ans devient aussi nécessaire. Certains opteront pour une croissance des volumes et l'investissement qui va avec. La structuration de la main-d'oeuvre sera l'une des clés : acquisition de technologies modernes, recours au salariat, regroupements de fermes, etc. D'autres valoriseront l'existant avec des coûts minimisés. La cohésion du monde laitier passera par une bonne compréhension des choix des uns et des autres.
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