Une timide réduction de leur utilisation dans les élevages

Une timide réduction de leur utilisation dans les élevages

Le démantèlement récent d'une filière illégale d'antibiotiques à haute dose dans des centaines d'élevages d'Auvergne a mis en lumière des abus que les autorités tentent d'enrayer, tandis que des éleveurs évoluent de plus en plus vers des pratiques de soins alternatives qu'ils jugent aussi efficaces, plus respectueuses de leur métier et moins onéreuses.

Veaux prim'holsteins
Pour expliquer les nombreuses diarrhées des veaux alors que leur mère leur fournit naturellement le stock d'enzymes pour digérer, Jean-Pierre Siméon, vétérinaire, indique qu'une  vache laitière haute productrice donne un lait riche en albumine et globulines, mais presque dénué de caséine. (© Terre-net Média)

« Le ministère de l'Agriculture a une ambition, faire de la France le leader de l'agro-écologie » clamait fin 2012 Stéphane Le Foll lors d'un colloque intitulé "Évaluer la consommation d'antibiotiques à usage vétérinaire et la réduire". Le ministre mettait en avant le plan "Ecoantibio 2017" dont le but est de réduire de 25 % en cinq ans l'usage des antibiotiques dans les élevages, source d'une préoccupation bien plus globale touchant à l'antibiorésistance chez les animaux et les hommes.

Vœu pieux ? « Aujourd'hui on utilise des céphalosporines de 4e génération (dits antibiotiques critiques) qu'on devrait garder pour nos enfants le jour où ils ont une méningite et on s'en sert pour soigner des veaux qui ont la diarrhée, c'est galvauder la médecine », s'insurge Jean-Pierre Siméon, vétérinaire en Bourgogne et formateur au Gie (Groupement d'Intérêt économique) Zone Verte fondé en 2002 par un collectif de vétérinaires ruraux défendant une agriculture paysanne.

Salmonella Kentucky

Les céphalosporines de 3e et 4e génération et les fluoroquinolones constituent une des seules alternatives pour le traitement de certaines maladies infectieuses chez l'homme. Or, ces deux classes de molécules sont disponibles en médecine vétérinaire depuis une quinzaine d'années. « Certaines filières ont pris conscience du problème et se sont imposées un moratoire sur l'utilisation de ces familles d'antibiotiques, notamment en élevage porcin », affirme Isabelle Tourette, vétérinaire conseil pour Gds France (Fédération Nationale des Groupements de Défense Sanitaire), en charge de l'animation de la mesure 1 du plan Ecoantibio.

« Parfois on ne peut pas se passer des antibiotiques, il s'agit alors de bien les utiliser en réalisant par exemple des antibiogrammes pour cibler au mieux le traitement ». Mais sur le terrain, « ce n'est pas encore un réflexe », concède la spécialiste.

D'après le suivi des ventes d'antibiotiques réalisé par l'Agence nationale du médicament vétérinaire, la consommation a diminué de 23 % entre 1999 et 2010. L'exposition aux antibiotiques diminue aussi globalement depuis 2008 dans les élevages. Mais, nuance-t-elle encore, « on note une augmentation régulière de l'exposition aux antibiotiques d'importance critique (fluoroquinolones et céphalosporines de 3e et 4e génération) avec une stabilisation depuis quelques années ».

Porcelets
Pour les porcelets, l'important est de respecter l'âge du
sevrage c'est-a-dire 40 à 50 jours selon le Dr. Siméon.
(© Terre-net Média)
Rien que le 29 mai dernier, l'Institut Pasteur a lancé une alerte sur l'émergence d'une salmonelle hautement résistante, la "Salmonella Kentucky", responsable d'infections alimentaires risquant de s'implanter dans les élevages : « Si cette implantation devait s'étendre, la conséquence serait une menace d'épidémies au sein de l'Europe » avertit Pasteur. La transmission de l'antibiorésistance est possible de l'animal vers l'homme et vice-versa : « Elle semble marginale par le biais de la chaîne alimentaire, la transmission homme/animal se faisant a priori plutôt par contact entre l'éleveur et ses animaux », indique la responsable de chez Gds. Elle peut se faire via des bactéries de la flore intestinale non pathogènes mais potentiellement porteuses de gêne de résistance, ces gènes pouvant ensuite passer à une bactérie pathogène.

Pour Jean-Pierre Siméon, le vétérinaire qui pratique les médecines alternatives « le problème n'est pas de les substituer à la médecine conventionnelle mais plutôt de changer les modes d'élevage en respectant la physiologie des animaux ». Pour illustrer ses propos, il cite les veaux laitiers qui ont pratiquement tous la diarrhée à quelques jours, alors que leur mère leur fournit naturellement le stock d'enzymes pour digérer. « Encore faut-il qu'elle produise du bon lait. Nourrie comme un porc (farines et tourteaux en excès) la vache laitière haute productrice donne un lait riche en albumine et globulines, presque dénué de caséine ».

Porcelets vaporisés aux huiles essentielles

Et de relater une expérience vieille d'une dizaine d'années : « avec un ami qui possédait un laboratoire de phytothérapie, on avait tenté de soigner à l'aide d'huiles essentielles (en les vaporisant) des porcelets victimes de la "diarrhée grise" ». Le remède avait été aussi efficace que les antibiotiques. Mais le Dr Siméon avoue que si c'était à refaire, il ne le ferait plus : « l'important est de respecter l'âge du sevrage c'est-a-dire 40 à 50 jours comme cela se pratique en élevage bio ». « Les porcs industriels sevrés à 21 jours voire moins, n'ont aucune immunité, et on nous fait croire que l'on est obligé d'incorporer systématiquement des antibiotiques à leur alimentation », ajoute le vétérinaire.

Dans son exploitation située dans le parc naturel régional des volcans d'Auvergne, Bruno Gourdon, 42 ans, possède 30 vaches laitières sur 50 ha de pâturages. Il est passé à l'homéopathie il y a un an et s'est lui-même confectionné 254 remèdes. Désarmé devant des kératites (inflammation de la cornée) de ses vaches causées par des piqûres de mouches, il faisait souvent appel à son vétérinaire qui prescrivait systématiquement antibiotiques et pommades à la cortisone. Face à ces traitements lourds et chers, il a trouvé une solution alternative avec un remède homéopathique, alors qu'il n'y croyait pas : « 48 heures après mes vaches étaient guéries, et il n'y a pas de délai d'attente pour le lait », alors qu'avec les antibiotiques il doit être jeté pendant plusieurs jours. Aujourd'hui ses animaux sont rarement malades et ses frais de vétérinaires ont fondu, passant de 3.000 euros par an il y à 5 ans à 950 euros en 2012, et quasiment aucun frais depuis six mois.

Christophe Meunier, éleveur de vaches laitières dans les monts du Forez (Loire), est lui passé ponctuellement aux huiles essentielles pour traiter des mammites : « On n'est plus dans un système comme il y a 20 ans où on donnait toujours des antibios, même en préventif », dit-il.

L'utilisation des antibiotiques comme facteur de croissance est interdite en Europe depuis 2006, mais elle ne l'est pas dans de nombreux autre pays comme les Usa.

Conflit d'intérêt des vétérinaires

Le statut même du vétérinaire se retrouve aussi pointé du doigt. Contrairement au médecin, il possède une double compétence de prescripteur et distributeur de médicaments que d'aucun estime sources de dérives, comme celle de mi-avril où trois d'entre eux avaient été mis en examen pour avoir écoulé de grandes quantités d'antibiotiques sans justificatifs.

Dans un tel cas, un vétérinaire peu scrupuleux va sillonner les campagnes et proposer aux éleveurs une liste de médicaments moins chers que chez leur vétérinaire traitant. « Il va avoir des remises arrière et dépoter des médicaments », déplore Jacques Monet, président du conseil régional de l'ordre des vétérinaires d'Auvergne. Les recommandations européennes vont donc plutôt dans le sens du découplage, mais ce n'est pas gagné car « le maintien du maillage vétérinaire sur le territoire est en jeu » : « Si le vétérinaire ne délivre plus de médicaments il sera obligé d'augmenter le tarif de ses actes pour dégager des ressources décentes, l'éleveur devra aussi s'acquitter du prix des médicaments auprès d'une autre structure », selon Jacques Monet.

La loi sur l'avenir et la modernisation de l'agriculture qui vient d'être repoussée à début 2014 entend interdire les marges arrières sur les antibiotiques et veiller à « un encadrement plus strict de la prescription des antibiotiques critiques », annonce Isabelle Tourette. En attendant, elle défend « une approche préventive plutôt que curative » tandis que les vétérinaires de Zone Verte ne cessent de dénoncer « l'élevage concentrationnaire » où l'alimentation est inadaptée et source de nombreuses maladies.

A lire aussi :

Traitements antibiotiques - Mammites, problèmes au vêlage et boiteries en tête des motifs

Plan Ecoantibio 2017 - Stéphane Le Foll : « Utiliser moins d’antibiotiques pour les utiliser mieux »

Prix des médicaments vétérinaires - Pascal Gortais dénonce le conflit d’intérêts des « vétérinaires-vendeurs »

Débat autour des frais vétérinaires - Dr Eric de Vaulx, vétérinaire (35), souhaite rétablir certaines réalités

 

Réagir à cet article
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

Tapez un ou plusieurs mots-clés...