
En Lozère, Rémi Bessière et son frère Paul ont maintenu la ferme de leur père à son décès. Ils ont cherché à finir leurs études tout en réfléchissant à l’avenir de l’exploitation. Produire du lait en AOP laguiole est vite apparu comme une évidence.
« Produire du lait, c’est une remise en question permanente. Impossible de rester sur ses acquis ! », répond, sans appel, Rémi Bessière, 22 ans, au pourquoi de son installation en lait. Il est assis à côté de son frère Paul, 20 ans, sans qui le maintien de la ferme familiale et l’installation de Rémi n’auraient pas été possibles. Paul compte aussi s’installer en janvier prochain. Indéniablement, les deux frères sont proches. Basée à Le Buisson, en Lozère, la ferme est dans la famille depuis trois générations, tenue dernièrement par Denis, leur père, jusqu’à son décès brutal à l’été 2020. Il a laissé quatre enfants, dont Rémi, alors âgé de 19 ans, l’aîné, qui avait la ferme intention de s’installer. Denis était à la tête d’un cheptel d’une cinquantaine de vaches de race aubrac sur 120 ha, avec un bâtiment datant de 1998, mais en avance pour l’époque puisqu’en stabulation libre.

La volonté de valoriser le territoire
« J’ai échangé avec mon négociant, Franck Boulard. Je lui ai demandé ce que je pourrais faire, explique Rémi. Nous avons réfléchi aussi avec Paul. Aucune décision n’a été prise sans se concerter tous les deux ! Ce qui ne me plaît pas dans l’allaitant, c’est que notre territoire n’est pas valorisé. Le broutard part se faire engraisser en Italie et il n’y a pas de valeur ajoutée sur le territoire. Le veau est vendu aussi cher qu’en plaine alors que nous avons des conditions de production bien différentes avec des hivers rudes et des étés secs. Mon père faisait des génisses IGP Fleur d’Aubrac, mais il avait arrêté en 2018. Et la chance qui s’est présentée – et que nous avons saisie – a été que l’aire de l’AOP laguiole s’agrandisse. Notre commune est rentrée dedans. Pour nous deux, cela a été une évidence ! »
Il évoque également la pression foncière avec 25 agriculteurs sur la commune. « Pour vivre en allaitant, il fallait doubler le cheptel avec 250 ha. Cela n’était tout simplement pas possible », continue-t-il. Rémi rédige sa lettre de motivation pour intégrer la coopérative. Il s’installe après le décès de son père avec l’appui de la chambre d’agriculture de Lozère et du dispositif Agir Ensemble.
Bien plus qu’un apprentissage, un savoir-faire a été transmis
« Pendant trois ans, j’ai continué avec des allaitantes pour pouvoir finir nos études, avec Paul, et rembourser mes frères du fait du partage », déclare-t-il. Durant cette période, Rémi finira son BTS production animale et enchaînera avec un certificat de spécialisation (CS) bovin lait réalisé chez Serge Franc, éleveur laitier en AOP laguiole. « Cela a été bien plus qu’un apprentissage. Il a été vraiment pédagogue. Il m’a transmis un savoir-faire et, pendant un an, il m’a expliqué le cahier des charges de l’AOP avec les saisons », rapporte Rémi. Pendant ce CS, Paul a tenu les astreintes de la ferme. Il achevait de son côté un BTS analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole (Acse), en apprentissage à mi-temps à la ferme de Rémi. « L’apprentissage a été rendu possible durant mon BTS grâce à notre voisin, Christian Salles, qui m’a pris également à mi-temps », précise Paul. Il s’engagera ensuite dans un CS mécanique de six mois, toujours dans l’idée de gagner en compétence technique. Le travail n’a donc pas manqué durant cette période. Rémi a pu reprendre les baux de son père assez facilement. Les parcelles sont réparties en trois îlots. Le plus éloigné, à 2 km du bâtiment, est de 10 ha et les deux plus proches sont de 45 ha (un tiers de prés de fauche et deux tiers de pâtures) et 30 ha (deux tiers de prés de fauche et un tiers de pâtures).
Un projet réfléchi en fonction de l’environnement
« Le reste du parcellaire est plein de petits morceaux de 2,5 à 3 ha », souligne Rémi. Rémi commence à produire du lait au 3 janvier 2023 pour la coopérative Jeune Montagne. Pour acheter son cheptel de 22 vaches simmentals, toutes issues du même élevage pour des questions sanitaires, il a revendu presque la moitié de ses allaitantes. Il conduit son troupeau pour répondre au cahier des charges de l’IGP tomme fraîche de l’Aubrac et à celui de l’AOP laguiole. Ce dernier est d’ailleurs en révision auprès de l’Inao. Ses vaches produisent un peu plus de 6 000 litres actuellement, mais leur potentiel génétique pourrait leur permettre de faire plus. « Il est possible d’avoir un complément de prix avec du lait de race aubrac, autorisé dans le cahier des charges. Aussi avons-nous acheté récemment une petite génisse, issue d’une souche plus facile à traire, pour essayer », explique Rémi. Le foin doit être issu à 100 % de la zone AOP, amenant une contrainte économique.

Il ne souhaite pas de séchage en grange, même si cela aurait pu améliorer la qualité de sa récolte, « car le bâtiment ne s’y prête pas et [il a] tout le matériel pour des balles rondes ». Il évoque une réflexion en cours quant à un cahier des charges de l’AOP plus adapté aux évolutions climatiques actuelles et à la génétique des animaux. « Chez certains éleveurs, la simmental produit jusqu’à 11 000 l par an. Ce sont de bonnes productrices adaptées à notre territoire », relève Rémi. Ses vaches sont toutes inséminées, 15 vaches en race pure et 12 en semences sexées.
Les aubracs croisées avec du chalorais
« Le schéma génétique simmental répond bien à tous les systèmes de production avec des taureaux améliorateurs en taux, sans baisse de conformation. La partie bouchère n’est pas à négliger. De mon côté, je ne prends que des taureaux français. Je cherche de bons aplombs. Je veux des vaches qui marchent bien. À ce sujet, je n’ai d’ailleurs quasiment pas de pathologies de pieds », continue-t-il. Le génotypage est une avancée énorme pour lui, qui voit bien la différence avec les races allaitantes. Il croise ses vaches de race aubrac avec du charolais et n’en garde que cinq en race pure. « C’est sentimental », reconnaît-il.
Côté matériel, il s’appuie sur la Cuma et il n’hésite pas à déléguer certains travaux à des entrepreneurs, comme les épandages (chaux, lisier) ou les labours, semis, etc. En propre, il possède le matériel de fenaison et la tonne à lisier. La fosse à lisier, qui sera remise aux normes avec l’installation de Paul, est trop petite. Du coup, les épandages sont réguliers sur les parcelles. « Je stocke un peu de fumier mais je m’appuie sur mon lisier (35 m3/ha) et je n’hésite pas rajouter de l’engrais (23 % d’azote et 40 % de soufre) », explique-t-il. Cela lui revient à environ 220 €/ha, mais comme il n’a pas beaucoup d’hectares, « il faut qu’ils produisent ». En amendement, il utilise de la scorie épandue sur toutes les parcelles de fauche, soit 25 ha (1 t/an). L’année dernière, il a récolté 5 t de MS/ha de foin en première coupe. « Beaucoup mais pas du bon du fait de la météo », résume-t-il. Il sème 4 ha d’orge, autoconsommé, mais réfléchit au blé, plus digestible.

Côté pathologie, il ne prend pas de risques et vaccine tout le monde, mères et veaux, en préventif : FCO, entérotoxémie, coccidiose, rotavirus, etc. « Il ne faut pas que nous ayons une perte, vu le nombre d’animaux que nous avons », soulignent de concert Paul et Rémi. Ils constatent que la tique se développe particulièrement, même à cette altitude, avec des cas de piroplasmoses bien présents sur les vaches, heureusement pris à temps.

À l’avenir, Paul va rejoindre Rémi pour constituer un Gaec. À deux, ils ont réfléchi à installer des panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments et pour cela constituer une SAS, également un GFA pour le foncier. Et envisagent de rénover les tapis des logettes. « À tout moment, notre structure doit pouvoir être rachetable. Nous ne voulons pas d’une installation précipitée et nous réfléchissons déjà pour notre départ à la retraite. Nous étudions et prenons le temps. La maladie de notre père nous a appris beaucoup », conclut Rémi.


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