« Nous avons développé le lait à la place de l’allaitant »

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Rémi Bessiere, à gauche, et son frère Paul ont défini clairement leurs objectifs de production : « avoir du temps et réaliser un travail de qualité, avec un suivi de nos parcelles aux petits oignons ». Ils se fixent un objectif de rémunération de 1 600 €/mois, « mais si dans 5 ans, nous pouvons aller chercher les 2 000 €, nous irons ! » (©E.Durand)

En Lozère, Rémi Bessière et son frère Paul ont maintenu la ferme de leur père à son décès. Ils ont cherché à finir leurs études tout en réfléchissant à l’avenir de l’exploitation. Produire du lait en AOP laguiole est vite apparu comme une évidence.

« Produire du lait, c’est une remise en question permanente. Impossible de rester sur ses acquis ! », répond, sans appel, Rémi Bessière, 22 ans, au pourquoi de son installation en lait. Il est assis à côté de son frère Paul, 20 ans, sans qui le maintien de la ferme familiale et l’installation de Rémi n’auraient pas été possibles. Paul compte aussi s’installer en janvier prochain. Indéniablement, les deux frères sont proches. Basée à Le Buisson, en Lozère, la ferme est dans la famille depuis trois générations, tenue dernièrement par Denis, leur père, jusqu’à son décès brutal à l’été 2020. Il a laissé quatre enfants, dont Rémi, alors âgé de 19 ans, l’aîné, qui avait la ferme intention de s’installer. Denis était à la tête d’un cheptel d’une cinquantaine de vaches de race aubrac sur 120 ha, avec un bâtiment datant de 1998, mais en avance pour l’époque puisqu’en stabulation libre.

Le bâtiment marque deux générations d’éleveurs. La partie centrale construite en 1988, en stabulation libre, a été agrandie en 2003 pour les génisses vers le fond et la salle de traite en amont a été installée en 2022. L’objectif de Rémi et Paul est de couvrir l’ensemble de panneaux photovoltaïques. (© E.Durand)

La volonté de valoriser le territoire

« J’ai échangé avec mon négociant, Franck ­Boulard. Je lui ai demandé ce que je pourrais faire, explique Rémi. Nous avons réfléchi aussi avec Paul. Aucune décision n’a été prise sans se concerter tous les deux ! Ce qui ne me plaît pas dans l’allaitant, c’est que notre territoire n’est pas valorisé. Le broutard part se faire engraisser en Italie et il n’y a pas de valeur ajoutée sur le territoire. Le veau est vendu aussi cher qu’en plaine alors que nous avons des conditions de production bien différentes avec des hivers rudes et des étés secs. Mon père faisait des génisses IGP Fleur d’Aubrac, mais il avait arrêté en 2018. Et la chance qui s’est présentée – et que nous avons saisie – a été que l’aire de l’AOP laguiole s’agrandisse. Notre commune est rentrée dedans. Pour nous deux, cela a été une évidence ! »

Habituellement, les vaches ne traversent pas la route. Elles empruntent un chemin à travers le parcellaire pour arriver à la salle de traite. Mais l'excès d'eau de ces derniers temps a obligé les éleveurs à changer leur parcours. La traversée, facilitée par des fils, ne dure pas plus de 5 minutes. (© E.Durand)

Il évoque également la pression foncière avec 25 agriculteurs sur la commune. « Pour vivre en allaitant, il fallait doubler le cheptel avec 250 ha. Cela n’était tout simplement pas possible », continue-t-il. Rémi rédige sa lettre de motivation pour intégrer la coopérative. Il s’installe après le décès de son père avec l’appui de la chambre d’agriculture de Lozère et du dispositif Agir Ensemble.

Bien plus qu’un apprentissage, un savoir-faire a été transmis

« Pendant trois ans, j’ai continué avec des allaitantes pour pouvoir finir nos études, avec Paul, et rembourser mes frères du fait du partage », déclare-t-il. Durant cette période, Rémi finira son BTS production animale et enchaînera avec un certificat de spécialisation (CS) bovin lait réalisé chez Serge Franc, éleveur laitier en AOP laguiole. « Cela a été bien plus qu’un apprentissage. Il a été vraiment pédagogue. Il m’a transmis un savoir-faire et, pendant un an, il m’a expliqué le cahier des charges de l’AOP avec les saisons », rapporte Rémi. Pendant ce CS, Paul a tenu les astreintes de la ferme. Il achevait de son côté un BTS analyse, conduite et stratégie de l’entreprise agricole (Acse), en apprentissage à mi-temps à la ferme de Rémi. « L’apprentissage a été rendu possible durant mon BTS grâce à notre voisin, Christian Salles, qui m’a pris également à mi-temps », précise Paul. Il s’engagera ensuite dans un CS mécanique de six mois, toujours dans l’idée de gagner en compétence technique. Le travail n’a donc pas manqué durant cette période. Rémi a pu reprendre les baux de son père assez facilement. Les parcelles sont réparties en trois îlots. Le plus éloigné, à 2 km du bâtiment, est de 10 ha et les deux plus proches sont de 45 ha (un tiers de prés de fauche et deux tiers de pâtures) et 30 ha (deux tiers de prés de fauche et un tiers de pâtures).

Rémi est le président de l’association de race Simmental de Lozère. Il réalise avec son frère des concours départementaux. Il travaille la génétique de ses animaux. « Nous avons fait beaucoup de sacrifices et cela commence à se voir », constate-t-il. (© E.Durand)

Un projet réfléchi en fonction de l’environnement

« Le reste du parcellaire est plein de petits morceaux de 2,5 à 3 ha », souligne Rémi. Rémi commence à produire du lait au 3 janvier 2023 pour la coopérative Jeune Montagne. Pour acheter son cheptel de 22 vaches simmentals, toutes issues du même élevage pour des questions sanitaires, il a revendu presque la moitié de ses allaitantes. Il conduit son troupeau pour répondre au cahier des charges de l’IGP tomme fraîche de l’Aubrac et à celui de l’AOP laguiole. Ce dernier est d’ailleurs en révision auprès de l’Inao. Ses vaches produisent un peu plus de 6 000 litres actuellement, mais leur potentiel génétique pourrait leur permettre de faire plus. « Il est possible d’avoir un complément de prix avec du lait de race aubrac, autorisé dans le cahier des charges. Aussi avons-nous acheté récemment une petite génisse, issue d’une souche plus facile à traire, pour essayer », explique Rémi. Le foin doit être issu à 100 % de la zone AOP, amenant une contrainte économique.

Les stocks sont essentiels. Cette année, il reste environ 200 bottes d’avance mais de qualité moyenne. Les vaches rentrent au 15 octobre et ressortent début avril. Le bâtiment et ses évolutions permettent de travailler totalement à l’intérieur, un avantage lors des grands froids. (© E.Durand)

Il ne souhaite pas de séchage en grange, même si cela aurait pu améliorer la qualité de sa récolte, « car le bâtiment ne s’y prête pas et [il a] tout le matériel pour des balles rondes ». Il évoque une réflexion en cours quant à un cahier des charges de l’AOP plus adapté aux évolutions climatiques actuelles et à la génétique des animaux. « Chez certains éleveurs, la simmental produit jusqu’à 11 000 l par an. Ce sont de bonnes productrices adaptées à notre territoire », relève Rémi. Ses vaches sont toutes inséminées, 15 vaches en race pure et 12 en semences sexées.

La salle de traite est le plus gros investissement de l’installation de Paul (325 000 €). Elle est une 2x8 places, « un peu grand non pour 25 vaches ? », ironise Rémi. Il l’a réfléchi dans un objectif de 45 vaches et 20 minutes de traite matin et soir à l’avenir afin de « faire passer un grand nombre de vaches en même temps pour ne pas perdre de temps ». Il s’alterne avec Paul, lui le matin et Paul le soir, mais sans organisation spéciale. Il n’a pas pris de week-end depuis son installation. (© E.Durand)

Les aubracs croisées avec du chalorais

« Le schéma génétique simmental répond bien à tous les systèmes de production avec des taureaux améliorateurs en taux, sans baisse de conformation. La partie bouchère n’est pas à négliger. De mon côté, je ne prends que des taureaux français. Je cherche de bons aplombs. Je veux des vaches qui marchent bien. À ce sujet, je n’ai d’ailleurs quasiment pas de pathologies de pieds », continue-t-il. Le génotypage est une avancée énorme pour lui, qui voit bien la différence avec les races allaitantes. Il croise ses vaches de race aubrac avec du charolais et n’en garde que cinq en race pure. « C’est sentimental », reconnaît-il.

Les Aubracs étaient présentes depuis plusieurs générations sur la ferme. Avec l’AOP Laguiole, elles gardent leur place car une prime est donnée en cas de production de lait de cette race, même en faible quantité (pourcentage de vaches aubracs laitières dans la totalité du cheptel laitier). Le principal obstacle est de trouver les vaches aptes à donner leur lait facilement. (© E.Durand)

Côté matériel, il s’appuie sur la Cuma et il n’hésite pas à déléguer certains travaux à des entrepreneurs, comme les épandages (chaux, lisier) ou les labours, semis, etc. En propre, il possède le matériel de fenaison et la tonne à lisier. La fosse à lisier, qui sera remise aux normes avec l’installation de Paul, est trop petite. Du coup, les épandages sont réguliers sur les parcelles. « Je stocke un peu de fumier mais je m’appuie sur mon lisier (35 m3/ha) et je n’hésite pas rajouter de l’engrais (23 % d’azote et 40 % de soufre) », explique-t-il. Cela lui revient à environ 220 €/ha, mais comme il n’a pas beaucoup d’hectares, « il faut qu’ils produisent ». En amendement, il utilise de la scorie épandue sur toutes les parcelles de fauche, soit 25 ha (1 t/an). L’année dernière, il a récolté 5 t de MS/ha de foin en première coupe. « Beaucoup mais pas du bon du fait de la météo », résume-t-il. Il sème 4 ha d’orge, autoconsommé, mais réfléchit au blé, plus digestible.

Paul, fort de son CS mécanique, a un hangar atelier pour réparer et préparer. L’exploitation possède un automoteur et deux tracteurs, l’un de plus de 20 ans (10 000 heures) et l’autre date de 2016 (4 600 heures). (© E.Durand)

Côté pathologie, il ne prend pas de risques et vaccine tout le monde, mères et veaux, en préventif : FCO, entérotoxémie, coccidiose, rotavirus, etc. « Il ne faut pas que nous ayons une perte, vu le nombre d’animaux que nous avons », soulignent de concert Paul et Rémi. Ils constatent que la tique se développe particulièrement, même à cette altitude, avec des cas de piroplasmoses bien présents sur les vaches, heureusement pris à temps.

« Tout a été réfléchi pour une seule personne », explique Rémi. Ici l’inséminateur peut travailler tout seul avec ce système de barre bloquante. Lorsqu’il arrive, il peut attacher et bloquer rapidement la vache seule pour réaliser l’insémination (IVV de 406 jours et IV-1ere IA de 73 jours). Un tableau à l’entrée du bâtiment explique la demande des « frangins » comme Paul et Rémi s’appellent eux-mêmes. (© E.Durand)

À l’avenir, Paul va rejoindre Rémi pour constituer un Gaec. À deux, ils ont réfléchi à installer des panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments et pour cela constituer une SAS, également un GFA pour le foncier. Et envisagent de rénover les tapis des logettes. « À tout moment, notre structure doit pouvoir être rachetable. Nous ne voulons pas d’une installation précipitée et nous réfléchissons déjà pour notre départ à la retraite. Nous étudions et prenons le temps. La maladie de notre père nous a appris beaucoup », conclut Rémi.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

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