ZÉRO CONCENTRÉ POUR RÉSISTER À LA CRISE N'EST PAS SANS RISQUE

Avec une alimentation sans concentré de production, la ration de base, préalablement équilibrée en azote et énergie, doit être apportée à volonté. Des refus à l'auge sont observés le lendemain matin.©  CLAUDIUS THIRIET
Avec une alimentation sans concentré de production, la ration de base, préalablement équilibrée en azote et énergie, doit être apportée à volonté. Des refus à l'auge sont observés le lendemain matin.© CLAUDIUS THIRIET (©)

Supprimer totalement les concentrés ouvre la voie à des problèmes métaboliques. En revanche, si la trésorerie est très dégradée, l'arrêt du concentré de production peut être temporairement envisagé mais avec quelques précautions.

FAUTE DE TRÉSORERIE APRÈS DÉJÀ UN AN DE CRISE, ou pour éviter le dépassement de leur référence contractuelle le mois dernier, des éleveurs choisissent d'arrêter la distribution de tous les concentrés aux vaches en lactation. Cette stratégie technique et économique radicale est-elle la plus adaptée à ces deux situations ? Quels sont les risques pour la santé des animaux ?

RATION NON ÉQUILIBRÉE : GARE À L'AMAIGRISSEMENT

« Un déficit très élevé de la ration en énergie ou en azote provoque un amaigrissement de la vache laitière, une baisse de lait et de TP, avec un risque d'acétonémie pour les vaches en début de lactation », avance Yann Martinot, d'Orne Conseil Élevage. Sans concentré, face à un régime herbe excédentaire en azote (ensilage enrubanné...), l'animal puise dans ses réserves corporelles pour compenser le déficit énergétique et éliminer l'azote en excès. Cela se traduit par une baisse du TP et du lait. Cela aura d'autant plus d'impact que la situation initiale était forte en concentrés et les fourrages de qualité moyenne. De même, une ration très excédentaire en énergie (maïs-ensilage) entraîne une sous-digestion des aliments et donc induit un déficit énergétique. « Un maïs à 0,9 UFL sera en fait valorisé à 0,7, avec logiquement une baisse de production journalière de plusieurs kilos de lait et d'un gramme de TP », déclare Yann Martinot.

Dans les deux cas, les animaux fragilisés résisteront mal à une attaque pathogène. « Au final, la suppression des concentrés risque de coûter plus cher que leur distribution. » Pour le nutritionniste, ces problèmes sont évités en fournissant une ration de base équilibrée en azote et en énergie. Cette cohérence s'exprime par un ratio PDI/UFL entre 95 et 100.

- Sans concentré, peut-on distribuer une ration fourragère équilibrée d'ensilages de maïs et d'herbe ?

« C'est possible si les fourrages sont de très bonne qualité, avec le ratio PDI/UFL évoqué précédemment », répond-il. Toute la difficulté est d'obtenir un ensilage d'herbe d'au moins 16 % de matière azotée totale et 0,9 UFL. Sur cette base, il faut viser une ration à 12-13 % de MAT. « Cela signifie au moins 50 % d'ensilage d'herbe dans ce type de ration qui sera plus encombrante, avec une baisse d'ingestion et des performances laitières. » Cette stratégie est plus adaptée aux troupeaux à potentiel laitier plus faible, autour de 6 000 kg par vache. Elle ne l'est pas pour des vaches à potentiel plus élevé. Leur métabolisme programmé pour des niveaux de production élevés est difficile à freiner. Elles auront tendance à puiser dans leurs réserves, avant de baisser en lait.

- Le 100 % pâturage en pleine période de pousse de l'herbe satisfait-il aux besoins des laitières ?

« Même sans concentré, l'herbe pâturée au printemps est une ration complète naturelle, confirme Luc Delaby, chercheur à l'Inra. À cette saison, elle fournit 0,9 à 1,0 UFL par kilo de matière sèche, 100 g de PDIE, et 120 à 140 g de PDIN. La difficulté n'est donc pas la valeur alimentaire de l'herbe pâturée. Elle est sur le niveau d'ingestion que les vaches peuvent assumer. Si une prim'holstein à 40 litres de lait par jour tombe à 32 litres, ce n'est pas dû à la qualité, mais à la quantité d'herbe offerte et ingérée insuffisante. »

En d'autres termes, le 100 % pâturage et le zéro concentré ne s'improvisent pas. « Il faut s'entourer de conseils, estime-t-il. L'expertise existe en chambre d'agriculture et organisme de conseil en élevage. Il ne faut pas hésiter à faire appel à eux. »

AUCUN CONCENTRÉ DE PRODUCTION : SOUS CONDITIONS

Comme Yann Martinot, Luc Delaby souligne la nécessité de maintenir une ration de base équilibrée en azote et énergie via des correcteurs azotés et concentré énergétique. « Au-delà, on peut se passer de concentré de production, mais il faut en assumer les conséquences. Par kilo de concentré de production supprimé, on perd de 0,8 à 1,2 kg de lait par vache par jour. » Le concentré non distribué induit une augmentation de consommation de la ration de base équilibrée, à raison de 0,4 kg de matière sèche par kilo de concentré supprimé. « Cela suppose donc de distribuer la ration de base à volonté... et donc d'accepter des refus à l'auge le lendemain matin. » Si cette stratégie est conduite durant trois à quatre semaines, il n'y aura pas d'effet rémanent. La laitière retrouve son niveau de production initial.

- La suppression de l'aliment de production durant plus de six semaines a-t-elle des conséquences ?

« Oui, répond le chercheur. Il y aura ce qu'on appelle un arrière-effet. L'animal augmente sa production mais ne retrouve pas la totalité du niveau antérieur. L'amplitude de l'arrière-effet dépend de la durée de la suppression du concentré, de l'écart entre le niveau alimentaire de la ration de base équilibrée et le potentiel animal, et enfin de la quantité de concentrés enlevée. » Ainsi, la suppression de 2 kg n'aura pas de conséquence si la ration de base est bien équilibrée et à volonté. Avec une réduction de 6 à 8 kg, la vache récupérera 3 à 4 kg de lait. La mamelle aura perdu de sa capacité à produire et la vache orientera une partie de l'énergie fournie pour reconstituer ses réserves corporelles. « Mieux vaut ne pas abuser de cette stratégie en début de lactation si la distribution de l'aliment est supérieure à 4 kg. Plutôt que la suppression totale, on peut réduire de moitié. » En revanche, il n'y a pas de conséquence notable sur la reproduction. Il faudrait pour cela une réduction drastique sur une longue période. Si la trésorerie le permet encore, Yann Martinot défend une autre stratégie : fabriquer son concentré de production à partir des matières premières azotées et énergétiques aujourd'hui à des prix attractifs. « L'objectif est de produire sa référence et de viser la marge "prix du lait-coût alimentaire". »

CLAIRE HUE

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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