
Benoit Haquet, installé à Bosville, en Seine-Martime, aurait pu arrêter le lait au moment du départ de son père pour ne gérer que les cultures et les taurillons. Motivé, il a préféré embaucher. Depuis un an, il est seul aux manettes, secondé par trois salariés.
À 41 ans, Benoit Haquet aborde une nouvelle étape de sa carrière de polyculteur-éleveur. Son père, François, avec qui il a été en Gaec puis en SCEA durant treize ans, est parti à la retraite il y a un an. Il a fait le choix de rester seul aux commandes de l’exploitation. « Je suis dans la continuité de ce que nous avons construit ensemble. Bridés pendant des années par les quotas laitiers et betteraviers, nous nous sommes efforcés de trouver des solutions de développement », dit Benoit Haquet. À son installation en 2009, l’exploitation comptait 115 ha de SAU et 250 000 litres de quotas. Elle a depuis doublé en surface et plus que triplé en référence laitière. Il faut la gérer avec de la main-d’œuvre salariale. Celle-ci équivalait à 1,2 UTH avant le départ du père. Elle est à 2,5 UTH depuis cet été.
Saturer la stabulation laitière
Pour Benoit, il n’est en effet pas question de réduire la voilure, d’autant plus qu’il a donné un coup d’accélérateur ces dernières années. « Une entreprise sans projet recule », résume-t-il. Au nord de la Seine-Maritime, dans un terroir que l’on pourrait qualifier de « béni des dieux », il surfe sur le marché porteur du lin textile. Il lui réserve désormais un cinquième des 226 ha de la SAU. « Les préconisations techniques sont plutôt sur une rotation de six à sept ans. Grâce à nos sols limoneux profonds et leur entretien en matière organique par l’apport régulier de fumier, je la descends à quatre ans. » Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il poursuit la récolte de graines de lin, qui se fait parallèlement à la moisson l’été, une fois la culture arrachée et déposée au sol.


L’activité élevage a également pris de l’ampleur. La référence laitière en 2015 s’élevait à 500 000 litres. L’achat de deux contrats de 100 000 et 150 000 litres après les quotas, puis, en 2022 et 2023, la demande de volumes supplémentaires à l’OP Caplait et Danone pour un total de 85 000 l, la porte aujourd’hui à 835 000 l. Au départ de son père, Benoit n’a pas envisagé d’arrêter le lait. Bien au contraire. Son objectif est de saturer la stabulation des vaches en lactation qui compte 90 logettes. « Produire du lait est plus stimulant que produire des céréales. Ce n’est jamais routinier. » Pour ce faire, il agrandit progressivement le troupeau : 85 vaches présentes en 2020-2021, 89 en 2021-2022, 98 en 2022-2023 et, au dernier contrôle laitier de décembre, 109. « La stabulation peut accueillir encore quelques laitières pour produire toute ma référence. Leur nombre oscille entre 84 et 87, selon les mois. »
À l’occasion de l’installation d’un robot racleur en juin prochain, il réfléchit à étendre le bâtiment d’une travée de 2 x 5 logettes dos à dos. « À condition d’avoir un prix incitatif, demander du lait supplémentaire à Danone n’est pas un problème. »

Des taurillons pour absorber les dépassements de référence
Ce n’était pas le cas il y a cinq ans. L’industriel réduisait sa collecte pour coller strictement à ses besoins. Le volume contractuel de ses livreurs haut-normands avait même été rogné de quelques pour cent. « L’absence de perspectives laitières en volume et prix et la demande en viande des opérateurs à des prix intéressants nous ont incités, mon père et moi, à développer l’atelier des taurillons [135 vendus en 2022-2023, Ndlr]. Cette décision résolvait également nos dépassements réguliers de référence. »
En plus de l’ensemble des veaux mâles élevés, des veaux laitiers de race montbéliarde sont achetés dans trois élevages voisins et – c’est original – allaités par des vaches nourrices. « Le lait en trop est ainsi valorisé autrement. » Leur nombre est monté jusqu’à quinze en 2022 à raison de deux à trois vaches par case pour cinq à six veaux, pour redescendre à six en 2023, Benoit n’étant plus exposé au dépassement.
Bien évidemment, il est impossible de mener seul l’ensemble de ces activités. Jusqu’en décembre 2022, deux salariés à temps partiel contribuaient au bon fonctionnement de l’exploitation. L’un des deux est parti à la retraite en même temps que François Haquet. Il a fallu les remplacer.
Deux embauches en un an
Benoit souscrit donc en 2022 un contrat d’apprentissage de deux ans avec Valentin Jeanne, qui est en Bac pro agricole, et embauche Déborah Béchet en juillet 2023 sur la base de 39 heures hebdomadaires (dont 4 heures supplémentaires). Les trois salariés totalisent l’équivalent de deux temps pleins et demi, heures supplémentaires comprises.
Déborah est en charge de la traite du matin et du soir et du soin des veaux. Alexandre Auvrayassure l’alimentation des vaches, le paillage et les travaux des champs trois jours par semaine. Tous deux sont payés entre 14 et 15 € nets par heure. Valentin, présent deux semaines par mois, est polyvalent. « Mon épouse Mathilde suit ma comptabilité. Elle sera rémunérée 25 heures par mois à partir de janvier. » L’établissement des bulletins de salaire est assuré par la MSA. En plus du recours classique aux ETA pour les betteraves et les ensilages, Benoit délègue le semis du maïs. Hormis deux semaines de vacances et quelques week-ends, il ne prévoit pas de s’absenter de l’exploitation en 2024. « J’assure deux week-ends d’astreinte, Déborah et Valentin les deux autres à partir du samedi après-midi. » Il s’estime heureux d’avoir recruté relativement facilement la jeune femme par l’intermédiaire de la contrôleuse laitière. La Seine-Maritime agricole ne fait pas exception à la difficulté de trouver des salariés. « Je n’ai plus d’associé pour absorber les imprévus et les pointes de travail. À moi de faire en sorte qu’ils se plaisent sur l’exploitation. »
L’éleveur veut améliorer leurs conditions d’accueil par un local dans la ferme équipé d’un coin cuisine et de sanitaires. « Des sanitaires sont accessibles dans mon habitation par une entrée indépendante mais ce n’est pas pratique. » Les bons de livraisons y seront conservés. Un tableau de consignes y sera fixé. Il en existe déjà un à l’entrée de la salle de traite.
Réduire la pénibilité du travail de la salariée
De même, pour soulager le travail de Deborah, il vient de commander un taxi lait (8 000 €) complété par trois cellules de 15 m3 de stockage d’aliments (7 500 €) et une brouette distributrice électrique (10 000 €, pesée incluse), déjà réceptionnées. « Elle portera beaucoup moins de seaux. Je projette également d’investir dans un chien électrique pour le parc d’attente car Deborah est seule durant une bonne partie de la traite. J’essaie d’adapter les postes aux attentes des salariés et à leurs capacités physiques. »
Son caractère posé l’aide à trouver le bon équilibre entre écoute et consignes fermes et cadrées. « Je m’inspire de mon expérience de gestion des saisonniers embauchés pour la récolte de graines de lin l’été. J’ai appris à organiser le travail de personnes que je ne connais pas. Il faut s’adapter à leur personnalité. » Il n’hésite pas non plus à proposer des formations. « Elles donnent du sens à mes consignes et font passer les messages par un autre canal. »
Une prime de fin d’année
La rémunération des deux salariés et de l’apprenti est complétée par une prime en fin d’année : aux premiers, de l’ordre d’un treizième mois pour un équivalent temps plein et douze mois sur l’exploitation ; au second, quelques centaines d’euros. Benoit fixe trois critères d’évaluation : respect des horaires, qualité du travail (détection des mammites, nettoyage de la salle de traite, etc.) et souplesse. « Tous les trois répondent toujours présents à mes sollicitations durant les pointes de travail. Il est normal de récompenser leur disponibilité. » La grille d’évaluation des apprentis et la charte des bonnes pratiques d’élevage sont ses supports d’échanges. « En plus des compétences technico-économiques nécessaires, la stabilité et la pérennité de mon exploitation reposent sur ma capacité à bien manager les salariés et à les rémunérer correctement. Elle a été longtemps bridée par des quotas et des contrats de production. Elle l’est désormais par la difficulté à recruter des salariés. »
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