L’approche « travail » a été le fil rouge du développement depuis plus de vingt ans du Gaec du Fournoulet, dans l’Aveyron. Alexandre Saurel et Patrick Déléris avec Anthony, leur salarié, produisent environ 500 000 l de lait bio. La baisse du prix du lait soulève de nouvelles questions.
Alexandre Saurel a repris, en 1999, la ferme de son père, à Lescure-Jaoul, dans l’Aveyron. Après deux ans en Nouvelle-Calédonie puis un travail d’animateur à la FDSEA locale, il s’est installé en Gaec avec son père Francis, alors âgée de 55 ans, sur 54 hectares (288 000 l de quota), sachant déjà qu’il lui faudrait trouver un autre associé. « Mon idée était d’avoir vraiment une approche centrée sur l’organisation du travail sur la ferme », rapporte-t-il. Et cette idée le suivra tout au long de son parcours, avec le développement de l’exploitation. Ancien élève de l’école d’ingénieur de Purpan, à Toulouse, il a pu faire des stages et se souvient d’une ferme où « ils étaient quatre associés avec une entrée “travail” très forte. Ils avaient des vacances et s’organisaient pour les congés. Je voulais faire des choses dans cet esprit-là ». En 2001, un voisin le contacte pour reprendre sa ferme (47 ha et 105 000 l de quota) à la suite de l’abattage total de son troupeau : un cas de vache folle avait été détecté. L’éleveur d’une cinquantaine d’années souhaitait partir en préretraite. Au même moment, Patrick Déléris, technico-commercial à la coopérative Unicor et ancien formateur pour adulte qui réfléchit à s’installer, tape aussi à la porte. Pour reprendre la ferme du voisin et garder le quota, il faut installer un jeune. Le temps presse. Patrick s’associe à Alexandre, d’abord en contrat de parrainage, ce qui permet aux futurs associés de se tester. Et, en février 2002, il intègre le Gaec, qui passe alors à trois.
Un relais en douceur sur le plan économique
Francis prend sa retraite fin 2004. Entre donation, rachats de parts sociales et réévaluation du capital en 2007, le passage se fait sans heurts. « L’idée de cette réévaluation était d’être plus égalitaire et d’améliorer la trésorerie », explique Alexandre. En 2005, ils participent à un groupe de suivi à la chambre d’agriculture avec des réunions régulières d’octobre à mars sur différentes structures. L’année d’après, ils se lancent dans une mise aux normes avec construction de la stabulation actuelle (45 x 20 m). C’est en 2009 que l’animatrice de la chambre les amène à réfléchir à un passage en agriculture bio.
Sodiaal cherchait des éleveurs en bio
« Passer en bio parce qu’il y a des aides n’était pas la bonne approche pour nous. Alors nous avons travaillé une simulation sans aides, sans travail supplémentaire avec un EBE constant », explique Alexandre. Cinq hypothèses de travail sont émises. « Si techniquement nous n’étions pas à la rue, nous devions tenir l’EBE. Nous avons beaucoup diminué les engrais et les phytosanitaires et repensé l’organisation du pâturage », rapporte Patrick. En parallèle, Sodiaal cherchait à lancer une tournée en bio et deux ou trois éleveurs avaient déjà franchi le pas. « Un jour, le commercial qui nous vendait l’ammonitrate nous annonce qu’ilpeut nous le réserver mais pas nous donner le prix. Le marché était trop volatil à ce moment-là. Et nous nous sommes lancés pour être exonérés de ce type de problème ! »
La conversion débute en 2010. « Le plus gros du travail a été de revoir les cultures et les rotations. Nous avons eu moins de souci sur le troupeau que ce que nous craignions. De 8 000 l, nous sommes passés à 7 000 l, avec un taux protéique qui a baissé de deux points », affiche Patrick. En 2015, le Gaec atteint un rythme de croisière avec un EBE de 150 000 €. À force de prendre des stagiaires, Alexandre et Patrick se posent la question de recruter un salarié. « Nous aurions pu investir dans un beau tracteur mais nous avons préféré prendre un salarié », lance Alexandre. Nous avions essayé d’avoir du revenu pour deux et du travail pour un, là nous voulions du revenu pour trois et du travail pour deux ! » Lors des entretiens d’embauche, ils n’ont pas cherché « un bourreau de travail mais une personne respectueuse des animaux, des relations avec les voisins et capable de gérer l’imprévu, ce qui représente environ 30 % de [leur] temps de travail. À trois, l’un gère l’imprévu, les deux autres continuent leur travail. L’idée était d’apporter du confort. » Anthony Marty a ainsi rejoint l’aventure en 2015.
Du croisement pour la rusticité
« Dans les faits, chacun est interchangeable et il y a une multitude de tableaux pour communiquer », indique Alexandre. Après la traite, entre 8 h 30 et 9 heures, ils prennent le café ensemble et s’organisent. Anthony est annualisé. Passionné d’élevage, il ne se voyait pas s’installer seul et assume pleinement son statut de salarié.
Côté organisation, le parcellaire est réparti dans quatre sites. Sur près de 110 ha, une quarantaine jouxte la stabulation et la salle de traite. Trois îlots de parcelles sont situés à moins de 10 km les uns des autres. Une trentaine d’hectares ne sont pas mécanisables et un autre bâtiment (35 x 18 m), situé sur l’ancienne ferme reprise au voisin, Michel, lors de l’installation de Patrick, héberge les génisses de 6 mois à 2 ans. Michel les surveille d’ailleurs toujours. Les vaches sortent du 15 avril au 30 juin en pâturage intégral, avec une rotation des parcelles tous les deux ou trois jours. Elles sont ensuite complémentées la nuit. Et, à partir de la mi-juillet, « commence un deuxième hiver », souligne Alexandre, avec un affouragement (ensilage d’herbe). Les vaches rentrent en décembre car « l’objectif est de maximiser le pâturage ». « Nous jouons toujours avec la météo, mais nos parcelles supportent mal le piétinement. »
Faire le dos rond, mais jusqu’à quand ?
Côté génétique, toutes les vaches sont inséminées en croisement depuis 2007. « Je voulais faire du trois voies », reconnaît Patrick, qui gère plus particulièrement la génétique du troupeau. Il a croisé avec de la rouge scandinave, de la montbéliarde, de la jersiaise et de la fleckvieh. Le croisement brune-holstein lui convient bien, même s’il induit une chute en production laitière (- 300 l), mais une hausse de 2 points dans les taux de matières grasses et de matières protéiques. « Nous avons aussi beaucoup moins de souci de mammites et de boiteries », souligne Patrick. Avant le rainurage du béton dans la stabulation (2020), il se souvient que les holsteins étaient le plus souvent à terre, et souvent aussi atteintes de mammites (de 4 à 6 mammites par an). Aujourd’hui, l’exploitation est en rythme de croisière, avec peu d’investissements. Pour faire face à la baisse du prix du lait en bio en 2022 et à la hausse des charges, les éleveurs ont pris sur la trésorerie pour maintenir la même organisation. « Nous pouvons faire le dos rond un peu mais si le prix du lait reste aussi bas ou si la production de fourrage n’est pas de qualité suffisante pour tenir nos 500 000 l, il faudra revoir le système », estime Alexandre. Anthony, assis à côté, en a parfaitement conscience. « Si nous travaillons avec les contraintes de l’agriculture en bio mais que nous ne sommes payés que très légèrement plus qu’en conventionnel, cela signifiera un emploi en moins, donc des conditions de travail dégradé », confirme Patrick, qui sera à la retraite dans huit ans. Alexandre doit lui attendre encore dix-sept ans, avec un fils peut être intéressé. « Si vraiment, je dois galérer, je serais prêt à changer de travail », relève Alexandre. Une mesure agro-environnementale (MAE) dans la prochaine Pac permettrait de maintenir un maximum de surface en prairies et de soutenir le revenu. Essai de la monotraite, instauration de plantain, chicorée et trèfle blanc, utilisation de mélanges suisses ou de mélanges composés par les éleveurs, le Gaec teste. « À partir du moment où nous sommes passés en bio, nous avons commencé à tester et nous aimons ça ! » L’une des solutions imaginées par le Gaec en cas de difficulté financière serait de basculer tout le troupeau en allaitantes.
Au cœur d’Agritechnica, la France à l’honneur et des nouveautés en pagaille
Forte tension sur les engrais azotés : les prix flambent en Europe
La sélection génétique à la croisée des chemins
Jean-François, un ancien éleveur qui s’épanouit au milieu des machines
Les anomalies génétiques qui impactent le troupeau laitier français
L'Union européenne veut renforcer le soutien aux jeunes agriculteurs
Savencia et Eurial réduisent ensemble leur empreinte carbone
Comment inciter les éleveurs à se lancer en bio ?
Qui sont les gagnants et les perdants de la Pac 2023-2027 ?
« Mieux vaut bien négocier la future Pac que craindre l’accord avec le Mercosur »