
COINCÉS PAR UNE SURFACE TROP JUSTE, LAURENCE ET SIMON GLATRE PEINENT À DESSINER DES PROJETS D'AVENIR. ILS VEULENT PRÉSERVER UN SYSTÈME QUI FAIT SES PREUVES EN TERME DE RENTABILITÉ.
ENTRE LES RACHATS DE TSST ET LES RALLONGES OFFICIELLES, le quota de Laurence et Simon Glatre a progressé de 100 000 l en cinq ans. Une évolution appréciable après des années de stabilité à un niveau inférieur au seuil du PAD. Mais désormais, l'outil est saturé et pour avancer sur d'autres projets, le couple doit augmenter sa surface. Revenons en 1996, à l'époque où Simon s'installe sur l'exploitation familiale. Titulaire d'un BTS Tage, il a travaillé comme technicien commercial en nutrition animale avant de s'installer. « Cela m'a permis de voir beaucoup d'exploitations avec une grande variété de systèmes, une bonne école. »
L'exploitation produit alors 170 000 l de lait sur 26 ha en location. « C'était petit. J'étais au forfait, mais j'ai gagné de l'argent avec ce système. » Au départ, son épouse Laurence travaillait à l'extérieur. Puis, elle a suivi une formation agricole et est venue le rejoindre en 2000. Ils ont repris 7 ha et elle a « bénéficié » d'une rallonge de quota de 40 000 l ! « À l'époque, les conjointes étaient très peu reconnues », regrette-t-elle.
« NOUS PRIVILÉGIONS L'AUTOCONSTRUCTION »
En 2005, la mise aux normes s'impose. Elle s'effectue dans le cadre du PMBE (plan de modernisation des bâtiments) et du PMPOA2. En mars, Simon met à terre son vieux bâtiment avec l'objectif de reconstruire avant l'hiver. Pari gagné au prix d'un travail intense, presque fou. L'installation est simple mais fonctionnelle. Les vaches disposent de soixante places en aire paillée avec une litière accumulée et un couloir d'alimentation raclé au tracteur. Les génisses sont en système 100 % fumier. La salle de traite a été équipée de 2 x 3 postes. Depuis, elle est passée progressivement à 2 x 5 avec un décrochage automatique.
En choisissant l'autoconstruction, le couple devait toucher 50 % de subventions sur l'achat des matériaux. Mais ces aides n'ont pas toutes été perçues. Le département avait consommé son budget et les 5 % supplémentaires alloués aux JA n'ont pas été versés. Un épisode au goût amer pour les éleveurs qui en retirent une certaine méfiance vis-à-vis des contrats avec les pouvoirs publics.
Alors qu'au départ, le troupeau était en race holstein, Simon a amorcé un virage vers la montbéliarde en 1999. « J'ai une véritable passion pour cette race. À l'époque, je trouvais qu'elle allait dans le sens d'une certaine extensification en permettant une réduction du coût de production. Et comme je privilégie toujours l'économie, cela me plaisait bien », raconte l'éleveur. Il s'est heurté à la difficulté de construire un bon troupeau en vivant loin du bassin de la race. Ils sont passés par un centre d'alottement d'Ille-et-Vilaine, qui appartient à la Socobem, un groupement de producteurs du Doubs. Mais ils reconnaissent qu'ils n'ont pas trouvé les meilleurs animaux. Néanmoins, le troupeau est passé en douze ans de vingt-cinq holsteins à cinquante-cinq montbéliardes.
Dans les années 2000, les éleveurs sont restés à l'affût des opportunités de reprise de terre afin de conforter leur exploitation. Plus tard, ils ont acheté des quotas dans le cadre des TSST. Et ils ont profité des rallonges depuis cinq ans. Ceci leur a permis de donner à l'exploitation sa configuration actuelle : 50 ha et 384 000 l de référence.
Ils ont mis en place un système qu'ils qualifient d'« économe et intensif », cherchant à optimiser l'utilisation de la surface en jouant sur les qualités de la montbéliarde. Trentecinq hectares sont accessibles aux vaches, sachant que des déplacements d'un kilomètre vers les pâtures ne font pas reculer les éleveurs. Sur les 26 ha d'herbe, 2 à 4 ha sont retournés chaque année. L'essentiel est ensemencé en RGATB mais on trouve aussi 3 ha de RGH-TB et 6 ha de fétuque- TB. Des cultures dérobées sont implantées chaque fois que cela est possible. Les vaches disposent ainsi au printemps de 4 à 5 ha de RGI semé après les céréales.
« LES MONTBÉLIARDES AIMENT PÂTURER »
Le pâturage se fait au fil avant. « Le travail est plus exigeant mais cela permet une bonne valorisation de l'herbe et donc une réduction des besoins en soja », justifie Simon. Les laitières consomment en moyenne 800 kg de concentré/vache/ an. Les charges opérationnelles ne représentent que 28 % du produit.
La mise à l'herbe a lieu fin février début mars, la rentrée s'effectue en novembre. « Les montbéliardes aiment sortir en pâture, mais il faut que les prairies se reposent deux mois en hiver. » Simon apprécie la capacité des vaches à raser les parcelles et il n'a pas besoin de broyer les refus. En revanche, dès que l'herbe manque, il donne un accès à l'auge pour éviter le surpâturage.
Cette année, avec une pousse abondante au printemps, Simon a fermé le silo pendant deux mois, ce qui n'était pas le cas en 2010 et 2011. Mais il s'interroge sur le bien-fondé de cette pratique. « À cause de la pluie, l'herbe manquait d'appétence. On a perdu 6 000 l de lait en deux mois et 3 points de TP en juin. » Depuis l'ouverture du silo en juillet, le lait a remonté de 300 l/jour.
La rusticité de la race donne les résultats escomptés. Le nombre de mammites n'excède pas cinq par an. 90 % des comptages cellulaires sont inférieurs à 300 000 cellules et seulement 2 % dépassent 800 000. La reproduction fonctionne bien avec un intervalle moyen de 394 jours entre deux vêlages. 67 % des vaches sont fécondées à la première insémination. Curieusement, les résultats sont un peu moins bons chez les primipares (65 %). Les frais vétérinaires se limitent à 78 €/vache.
Il y a quelques années, les éleveurs ont eu beaucoup de diarrhées et de mortalité des veaux. Ils ont résolu le problème en adoptant la technique du lait yoghourt. « Cela exige de la minutie mais je ne reviendrai pas en arrière », affirme Laurence, en charge de l'élevage des veaux.
Le taux de réforme est de 25 % et les vaches réalisent 4,2 lactations avant de partir. En règle générale, les réformes ne sont pas engraissées avant leur départ, faute de fourrages. « Nous décidons selon le prix de la viande. Cette année, nous avons fini plusieurs vaches parce que les cours étaient bons. »
Laurence ne trouve qu'un défaut à la montbéliarde, sa nervosité. Cela rend parfois la traite pénible en été.
Tout ceci permet une bonne rentabilité. Les éleveurs sont satisfaits de leurs résultats économiques (voir tableau).
« LE TRAVAIL EN COUPLE NOUS CONVIENT »
Néanmoins, la surface de l'exploitation est un peu juste pour faire face aux besoins du troupeau. Dans les années sèches, comme en 2010 et 2011, l'élevage a dû acheter 3 ha de maïs ensilage. « Je préfère cette solution à la réduction de la surface en céréales, surtout quand les prix du grain sont élevés », précise Simon.
L'exploitation aurait besoin d'une dizaine d'hectares supplémentaires pour améliorer son autonomie. Mais les opportunités sont rares. « Nous ne cherchons pas à nous agrandir davantage, et surtoutpas à nous regrouper », précise Laurence. Le couple tient à sa liberté dans son organisation comme dans la prise de décisions. Mais l'astreinte est parfois pesante, notamment le week-end. « L'idéal serait de trouver un couple qui travaille comme nous afin d'échanger des remplacements en fin de semaine », poursuit Laurence. Pour l'instant, ils jouent sur les horaires de traite quand ils veulent se libérer. Il leur arrive de traire à 5 h puis à midi le dimanche. La perte de lait est minime et les vaches se comportent bien. La famille part en vacances huit à dix jours par an. Le plus souvent, c'est un stagiaire venu en cours d'année qui prend le relais. Les augmentations de quotas ont permis de conforter le système de l'exploitation en optimisant l'utilisation des moyens de production. Aujourd'hui comme pour après 2015, produire plus de lait n'est pas un objectif. Et en pratique, cela est difficile à réaliser. En effet, il faudrait réussir à augmenter la surface fourragère. Or, Simon tient à conserver des céréales dans la rotation.
La seule voie d'augmentation réside dans la hausse de la productivité individuelle des animaux. Mais elle ne se fera pas avec plus de concentrés. Cette stratégie va à l'encontre de la recherche d'autonomie. Et elle semble risquée du fait de la forte volatilité des prix des céréales et du soja.
Les éleveurs ont commencé à axer leur sélection génétique sur le développement du potentiel laitier. L'idée est de disposer d'un troupeau capable de réagir vite le jour où le marché demandera des volumes supplémentaires. « Mais il faudra que ce lait soit correctement payé », précise Simon. Cette stratégie peut aussi permettre de produire le même volume de lait avec moins de vaches. L'objectif est de passer progressivement de 7 000 à 8 000 kg de lait/vache, sans augmenter le coût de production.
Par ailleurs, produire plus de lait impliquerait aussi de travailler davantage. Et le couple estime que la charge actuelle est suffisante. Reste la contrainte environnementale, qui risque de brider le développement de la production.
Les opportunités d'augmentation dépendront encore de la laiterie. Le lait est collecté par la Silav, une petite entreprise appartenant à Senoble et Laïta à 50/50. Un contrat a été proposé et une association d'éleveurs continuait de négocier certaines clauses en juillet. Simon est sceptique face à la sécurité dont les producteurs sont supposés bénéficier grâce aux contrats. « Les éleveurs qui travaillent avec le volailler Doux ont tous signé un contrat. Et ils attendent d'être payés. »
La laiterie, dirigée par Laïta, a adopté un système de prix et volumes différenciés. Sur les derniers mois, l'écart entre les deux tourne entre 30 et 35 €/1 000 l. Cette stratégie n'incite pas les éleveurs à produire plus de lait.
« CERTAINS ANIMAUX SONT DESTINÉS AU CROISEMENT INDUSTRIEL »
« Avec le risque de baisse du prix du lait, il nous semble intéressant de chercher à gagner sur le produit viande. » Désormais, les éleveurs conservent vingt vaches et autant de génisses pour assurer le renouvellement. Elles seront accouplées avec des taureaux au potentiel laitier élevé. Les autres seront destinées au croisement industriel avec des taureaux blanc-bleu-belges. Cela permettra de mieux valoriser une trentaine de veaux. Aujourd'hui, ce type de croisé se négocie à 380 € contre 150 € pour un montbéliard.
Le bâtiment des génisses, qui accueille aussi les taries, offre 38 places. C'est un peu juste en hiver. Laurence et Simon envisagent de l'agrandir. Ils pourront ainsi constituer des lots d'animaux en fonction de leur âge et optimiser la conduite. L'aménagement du bâtiment des vaches en logettes est une autre évolution en cours de réflexion. « Nous n'avons pas de pénalités pour la qualité du lait, mais je passe beaucoup de temps à nettoyer les mamelles en hiver », souligne Laurence. Dans ce cas, les éleveurs devraient construire une fumière alors qu'actuellement, le fumier de litière accumulée est stocké au champ.
Au moment d'aborder la quarantaine, le couple est un peu désabusé par ce manque de perspectives. Ils aimeraient avoir des projets. Les annuités des prêts diminuent. Il restera 20 000 € (annuités et frais financiers) en 2015, 9 400 € en 2016. Mais hormis les adaptations mentionnées plus haut, Laurence et Simon ne voient qu'une ligne directrice : continuer à travailler comme ils le font depuis une dizaine d'années.
PASCALE LE CANN
Simon ne rechigne pas à passer du temps pour valoriser le pâturage au fil avant.
Laurence et Simon ont réalisé des plantations pour aménager les abords des bâtiments.
Laurence a adopté la technique du lait yoghourt pour nourrir les veaux. Les diarrhées ne sont plus un problème. Et même si cela exige un travail minutieux, elle ne regrette pas cette option.
Si les éleveurs apprécient les qualités des montbéliardes, Laurence regrette néanmoins leur nervosité, surtout pendant la traite en été.
La distribution de la ration se fait très simplement. À la désileuse d'abord, puis Simon donne le complément manuellement.
Laurence et Simon consacrent du temps à la réflexion, notamment en étudiant les résultats et en discutant des projets avec leur conseiller, Robert Flohic, de BCEL Ouest.
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