« LA COURSE À LA VALEUR AJOUTÉE PLUTÔT QU'AUX VOLUMES »

PHOTOS : JEAN-BERNARD LAFFITTE
PHOTOS : JEAN-BERNARD LAFFITTE (©)

POUR DÉGAGER DEUX REVENUS SUR UNE PETITE EXPLOITATION, FANNY ET JEAN-BAPTISTE FERRAND ONT CHOISI DE TRANSFORMER LEUR LAIT ET DE VENDRE EN DIRECT.

EN 1998, LORSQUE FANNY ET JEAN-BAPTISTE FERRAND SE SONT RENCONTRÉS À L'ENESAD*, ils avaient déjà choisi de s'installer. Ils ont alors commencé à réfléchir à un projet commun. Les parents de Fanny avaient une petite exploitation dans le Sud-Ouest, sur laquelle ils produisaient du lait et des poulets. « Nous voulions travailler ensemble. Mais pour dégager deux vrais revenus, il fallait doubler le troupeau. Au cours de nos stages respectifs, nous avions observé que lorsqu'on ne maîtrise ni le prix du lait ni celui des intrants, la course aux volumes apparaît vite comme la seule solution. Nous n'avions pas envie de nous lancer dans cette voie, nous cherchions plutôt comment récupérer de la valeur ajoutée », raconte Fanny.

« UNE TRANSMISSION PROGRESSIVE »

Intéressée par les rencontres et les échanges, elle souhaitait ouvrir l'exploitation sur l'extérieur. De son côté, Jean-Baptiste, originaire de Savoie, était attiré par la fabrication fromagère. « Nous avons conjugué tout cela et décidé de nous lancer dans la transformation, la vente directe et l'accueil à la ferme. Nous pourrions ainsi construire nos débouchés et fixer nos prix de vente, à charge pour nous de bien gérer pour obtenir des résultats », affirme-t-elle.

L'installation s'est faite en plusieurs étapes. C'est Jean- Baptiste qui a franchi le pas le premier début 2003, en prenant le relais du père de Fanny qui partait à la retraite. Tout en l'aidant sur la ferme, Fanny a conservé l'emploi qu'elle avait trouvé en 1999 dans un centre d'insémination. Avec une dotation jeune agriculteurs de 10 000 € complétée par des prêts bonifiés, Jean-Baptiste a financé les 50 000 € de rachat du troupeau et du matériel. Les 33 ha de terres ont été repris en fermage. Les trente prim'holsteins produisaient 170 000 l. En tant que jeune agriculteur, Jean- Baptiste a pu porter le quota à 260 000 l. Durant les premières années, tout le lait a été livré au groupe 3A car la priorité était de moderniser l'outil de travail. « La stabulation datait de 1986. Nous l'avons mise aux normes et agrandie pour loger les veaux, stocker les fourrages et accueillir la future fromagerie », détaille Fanny. Il a aussi fallu construire une fumière de 250 m3, bétonner l'aire du silo de maïs et stabiliser les abords du bâtiment. L'investissement a atteint 250 000 € avec 80 000 € de subventions. « Nous avons réalisé nous-mêmes les travaux en plusieurs années. En même temps, nous avons fait évoluer notre système d'élevage. C'était indispensable de bien le caler avant de nous lancer dans la transformation », souligne Jean- Baptiste. Ils ont d'abord décidé de changer de race. « Les prim'holsteins utilisent très bien l'amidon de la ration pour faire des volumes, mais ce n'est pas ce dont nous avons besoin. Nous les avons remplacées par des normandes. Leur lait riche en kappa caséine caille facilement, les taux sont mieux équilibrés et le rendement fromager est excellent », précise-t-il.

Les premières génisses, achetées en Normandie à deux mois, sont arrivées en 2002. Elles ont eu le temps de s'adapter au climat du Sud- Ouest avant de commencer à produire, en 2005. Mais Fanny et Jean-Baptiste n'avaient pas prévu qu'après la race, il faudrait changer la ration.

« LA LUZERNE REMPLACE LE MAÏS »

« Nous avions des problèmes de mammites à répétition. La situation s'était améliorée avec l'introduction de luzerne déshydratée à brins longs, mais restait fragile », raconte Fanny. En 2005, elle s'est à nouveau dégradée. Avec un ensilage de maïs d'une qualité très moyenne, la plupart des vaches se sont retrouvées en acidose chronique. « Nous avons alors constaté que si les prim'holsteins continuaient à produire malgré tout, ce n'était pas le cas des normandes ! » Leur production a chuté brutalement et les problèmes d'aplomb se sont multipliés. Les deux éleveurs ont essayé de distribuer du foin fibreux avant l'ensilage, sans succès. Pour le faire accepter, il aurait fallu l'intégrer au reste de la ration. Plutôt que d'investir dans une mélangeuse, ils ont préféré tester la ration sèche. En 2006, ils ont vendu leur ensilage pour acheter du foin et du mash. « Cela nous a coûté très cher, et nous n'avons pas obtenu l'augmentation de 1 000 l par vache annoncée par le vendeur d'aliment, car le foin acheté n'était pas de bonne qualité ! », relève-t-elle.

Les 21 hectares de maïs étaient installés sur des terres irrigables. Dans les coteaux, 6 ha de terres plus séchantes fournissaient du foin et 6 ha servaient de parcours sur lesquels les vaches prenaient l'air. Fanny et Jean-Baptiste ont décidé de tout changer et de mettre l'herbe dans les meilleures terres. « Nous avons réduit progressivement les surfaces en maïs et implanté de la luzerne à la place. En même temps, nous avons développé le pâturage en reprenant 7 ha de bonnes terres », précise Fanny.

Aujourd'hui, il n'y a plus de maïs sur l'exploitation. La luzerne couvre 12 ha. « En quatre coupes, nous arrivons à récolter 10 t de MS/ha. Cela suffit à constituer le stock de foin dont nous avons besoin », souligne Jean-Baptiste. Le maïs produisait 16 t de MS/ha. Mais il nécessitait cinq à six tours d'eau contre seulement un à deux pour la luzerne, et nettement plus d'engrais.

« Sur la luzerne, nous apportons seulement du fumier composté tous les deux ou trois ans, et du calcaire broyé pour maintenir le pH à 6,5 », précise-t-il. Pour maîtriser le rumex et ne plus avoir à désherber, ces luzernes ont été sursemées avec du raygrass et, pour les prochaines implantations de prairies de fauche, elles seront associées à du dactyle et de la fétuque. Pour avoir de l'herbe à pâturer du 1erSur la luzerne, nous apportons seulement du fumier composté tous les deux ou trois ans, et du calcaire broyé pour maintenir le pH à 6,5 mars au 1erSur la luzerne, nous apportons seulement du fumier composté tous les deux ou trois ans, et du calcaire broyé pour maintenir le pH à 6,5 novembre, Fanny et Jean-Baptiste ont installé 22 ha de prairies multi-espèces. Des stocks d'herbe sur pied permettent de passer l'été, et un à deux tours d'eau assurent la repousse s'il fait trop sec. Le foin et l'herbe constituent désormais la base de la ration, qui est bien valorisée par les normandes. La production moyenne par vache était descendue de 7 500 l à 4 500 l durant la période de transition. Aujourd'hui, elle est remontée à 6 000 l. L'état sanitaire s'est amélioré. Le passage de la stabulation paillée aux logettes, en 2006, y a contribué aussi. « Nous n'avons plus que deux ou trois mammites par an, contre une soixantaine auparavant », constate Fanny. Les quantités de tourteau utilisées ont chuté grâce à l'introduction des légumineuses. « En 2010, pour 22 laitières, nous en avons utilisé seulement 4 t en complément de 30 t de mash, de maïs, d'orge et de pulpe de betterave », précise Jean-Baptiste.

« SE FORMER AVANT DE TRANSFORMER »

Ces premières années ont été difficiles sur le plan économique. Il a fallu réformer les vaches qui ne s'adaptaient pas aux changements, et accepter de voir l'effectif et la production baisser. « Heureusement que je rentrais un salaire ! », relève Fanny, qui s'est installée à son tour en janvier 2007. Avec une DJA de 15 000 € et des prêts bonifiés, elle a pu investir 80 000 € dans l'aménagement de la fromagerie qui a été dimensionnée pour 80 000 l. Jean-Baptiste avait déjà effectué des stages de transformation. « Pour que nous puissions nous remplacer, je me suis formée à mon tour. J'ai découvert un travail passionnant qui fait appel aux aptitudes sensorielles et à la créativité », relève-t-elle. Avant de se lancer, Fanny et Jean-Baptiste ont choisi les produits qu'ils voulaient élaborer. Dans ce coin des Pyrénées, le tome de brebis est le fromage noble. La tome de vache se vend nettement moins cher et ne valorise pas bien le travail. « Nous avons cherché comment nous démarquer pour nous positionner à un meilleur prix. Nous aimions tous les deux le reblochon. Nous sommes donc partis sur une pâte molle affinée de ce type. Et pour constituer une gamme, nous avons ajouté une tommette, des pâtes lactiques et des produits frais », détaille Fanny. Ils ont visité de nombreux ateliers avant de dessiner le plan de leur fromagerie et de choisir les équipements. « Nous avons opté pour une cuve montée sur un vérin, qui permet à une personne seule de vider le caillé sur la table de moulage », précise-t-elle. En achetant cette cuve, ils ont eu la bonne idée de prendre, en option, quatre jours d'appui technique. « La personne qui nous a accompagnés nous a bien aidés à caler nos recettes. En évitant les erreurs du démarrage, nous avons gagné beaucoup de temps. »

De mai à décembre 2008, les volumes transformés ont atteint 18 000 l. En 2009, ils sont montés à 35 000 l et, en 2010, à 60 000 l. « Nous avons augmenté les quantités transformées en même temps que les débouchés », précise Jean-Baptiste.

« LES GENS VIENNENT FACILEMENT NOUS VOIR »

Pour constituer une clientèle, il leur a fallu deux ans d'efforts. « Nous avons commencé par vendre sur des marchés et à la ferme. Nous sommes à 5 km d'Orthez, donc les gens viennent facilement nous voir. Et les visites gratuites de l'exploitation les attirent », relève Fanny, qui accueille aussi des groupes d'enfants. Pour se faire connaître, les deux éleveurs ont misé sur le bouche à oreille, mais aussi joué de leurs réseaux et sollicité les médias pour faire parler d'eux. « Tous les ans, nous organisons une Tarti'fête sur l'exploitation, au printemps, pour démarrer la saison. Cette année, nous avons servi 150 repas le samedi et 170 le dimanche », précise Fanny, qui dé nombre désormais plus d'un millier de contacts dans son fichier clients. La création dans le département d'Associations pour le maintien de l'agriculture paysanne, ou Amap, leur a amené de nouveaux débouchés. Aujourd'hui, ils fournissent des produits laitiers à cinq d'entre elles. « Les consommateurs adhérents de l'Amap s'engagent à l'avance, pour trois ou six mois. Nous les livrons régulièrement. Cela sécurise une partie de nos ventes et les échanges sont très conviviaux. C'est un plaisir de travailler avec eux. » En 2010, Fanny et Jean- Baptiste ont commercialisé 90 % de leurs produits laitiers en direct, répartis à parts égales entre la ferme, les marchés et les Amap. À ces consommateurs, ils proposent aussi de la viande en caissettes. Les 10 % restants ont été valorisés auprès de crémiers et de restaurateurs. Entre la fabrication et la commercialisation, le temps de travail est devenu important. « En 2009, nous avons craqué et décidé d'embaucher », explique Fanny. Ils ont alors rencontré Laure Guérout, qui souhaitait se reconvertir dans l'élevage. « Pour l'instant, elle est stagiaire dans le cadre d'un contrat de parrainage. Cela nous donne le temps de mieux nous connaître et de voir si nous pouvons envisager de nous associer », ajoute-t-elle. Grâce à cette embauche et à l'aide d'apprentis, Fanny et Jean-Baptiste ont pu souffler un peu.

« NOUS AVONS GAGNÉ EN EFFICACITÉ »

En 2010, ils ont enfin équilibré les comptes en se rémunérant à hauteur de 20 000 €. Un résultat positif, qui ne correspond pas encore à leurs attentes. « Nous espérons bien pouvoir nous payer mieux, à terme ! », affirment-ils. Le prochain défi sera de maîtriser les charges. « Nous avons beaucoup investi dans la mise en place du réseau de vente.

Aujourd'hui, avec les mêmes frais, nous pouvons augmenter nos volumes et améliorer notre marge sans accroître notre temps de travail, car nous avons gagné en efficacité », analyse Jean-Baptiste. Au premier trimestre 2011, les ventes ont progressé de 25 %, un résultat motivant !

FRÉDÉRIQUE EHRHARD

* Enesad : École nationale d'enseignement supérieur agronomique de Dijon (Côte-d'Or).

Fanny et Jean-Baptiste ne regrettent pas d'avoir changé de race. Leurs normandes ont bon caractère, valorisent bien l'herbe et donnent un lait avec d'excellentes aptitudes fromagères.

Le bâtiment a été agrandi en autoconstruction. Les abords ont été stabilisés pour accueillir les visiteurs sur un sol propre.

La fabrication nécessite des heures de travail et l'aide des stagiaires est appréciée. Une cuve montée sur vérin permet de vider facilement le caillé sur la table de moulage

Les tomettes sont affinées 3 à 4 mois. Fabriquées avec les gros volumes de lait du printemps, elles permettent de constituer des stocks de fromages à vendre durant l'été et l'automne.

L'EARL Lait P'tits Béarnais livre cinq associations de consommateurs toutes les une ou deux semaines et assure ainsi un tiers de ses ventes

Des classes viennent régulièrement visiter la ferme, découvrir les qualités du lait cru et s'initier à la fabrication du fromage blanc.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
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