
ALORS QUE NOMBRE DE LAITIERS ABANDONNENT AUTOUR D'EUX, CHRISTELLE ET BERTRAND CONTINUENT DE CROIRE À L'AVENIR DE LEUR SYSTÈME DE POLYCULTURE-ÉLEVAGE.
INSTALLÉS AU COEUR DU BASSIN ALLAITANT CHAROLAIS, Christelle et Bertrand Pierrot pourraient se sentir isolés avec leur troupeau de prim'holsteins. Il n'en est rien. « Dans la famille, nous sommes des laitiers, sourit Bertrand. Mon grand-père est arrivé des Vosges en 1953 avec des vaches montbéliardes. Ma mère est venue de Normandie en 1970. Avec mon père, ils ont rapidement troqué les charolaises du domaine sur lequel ils s'installaient pour des vaches laitières. » En 1992, Bertrand s'installe avec ses parents. Avec la reprise de l'exploitation grand-parentale, les trois associés exploitent alors 154 ha, une surface inchangée à ce jour. Une partie des terres est consacrée à des cultures, en partie auto-consommées et en partie vendues. Le troupeau laitier se compose alors de 30 vaches pour un quota de 179 667 litres. Il passe à 239 000 l avec les 60 000 l attribués pour l'installation de Bertrand. « Produire du lait m'a toujours plu, souligne Bertrand. J'aime le contact avec les animaux et la technicité qu'exige cette production. »
« 307 000 L EN PLUS SANS REPRISE DE FONCIER »
« Contrairement à d'autres, dans certaines régions, je n'ai pas eu à reprendre du foncier pour augmenter ma référence laitière. Jusqu'en 2007, l'Allier était un département en perte de vitesse laitière. La réserve départementale m'a permis de bénéficier d'attributions. » Depuis cinq à six ans, il demande entre 10 000 et 20 000 l chaque année. Il a aussi acheté 30 000 l de référence en 2012, ce qui porte le quota actuel à 546 242 l. « J'ai encore acheté 20 000 l cette année pour la prochaine campagne 2013-2014 », ajoute l'éleveur. « Les exploitations laitières du département continuent à conforter leurs références. Peu nombreuses (170), elles sont aussi très dynamiques, plutôt jeunes et volontaires pour continuer à avancer. Le contrôle laitier témoigne d'une augmentation annuelle de quatre vaches par an et par exploitation, sur des structures au quota moyen de 400 000 l, précise Jean-Philippe Garnier, de la chambre d'agriculture. Les éleveurs se connaissent tous. Nous en avons réuni 120 lors d'une récente journée laitière départementale. »
Pour la famille Pierrot, la référence obtenue est aujourd'hui considérée comme une « vitesse de croisière ». Le père de Bertrand est parti à la retraite en 2000, sa mère plus récemment, en 2007. C'est alors son épouse Christelle qui l'a rejoint sur l'exploitation. Les époux ont créé une EARL. La jeune femme, non-issue du milieu agricole, avait exercé durant vingt ans en tant qu'éducatrice spécialisée en psychiatrie. « J'ai bien réfléchi à ma reconversion professionnelle. Je ne la regrette pas. Avec Bertrand, nous nous complétons bien. J'apporte un regard différent sur l'exploitation. Je ne vais pas traire. Mon domaine de compétences est plutôt celui de la gestion et du suivi des finances », explique-t-elle.
« Si nous n'avions qu'à progresser techniquement pour produire les références attribuées, le métier serait facile. Les fluctuations du prix du lait, inconnues d'un mois sur l'autre, et plus récemment des bouleversements au sein des entreprises laitières de la région nous placent une épée de Damoclès sur la tête. C'est inconfortable et bridant pour programmer des investissements sur le long terme. Nous aurions besoin d'agrandir notre bâtiment. La stabulation libre, construite en 1992 pour 50 places, devient exiguë vue l'augmentation du troupeau. Je souhaiterais aussi transformer l'aire paillée en logettes. Pour l'heure, je me suis contenté de modifier l'aire d'alimentation et la taille des cornadis pour gagner un peu de place », explique Bertrand. La salle de traite est en train d'être agrandie pour passer de 2 x 4 à 2 x 6, voire 2 x 7 postes. « Nous calculons nos investissements au plus serré car la conjoncture de ces dernières années ne nous laisse pas d'autre choix. Il est hors de question de s'engager sur un emprunt que nous ne pourrions peut-être pas rembourser. Avec un prix du lait à 370 €/1 000 l, il n'y aurait pas à hésiter. À 320 €/1 000 l,cela ne passe pas ! Nous préférons attendre des jours meilleurs, d'autant que le paysage laitier est en train de changer, aussi bien localement qu'à l'échelle européenne. »
« 7 600 € POUR DEVENIR COOPÉRATEUR ET ASSURER LA COLLECTE »
Comalait, l'entreprise privée située à Saint-Yorre à laquelle l'EARL Pierrot livrait son lait, a été rachetée en avril 2009 par Sodiaal. Certains y ont vu « le rachat d'un concurrent », traitant 100 Ml de lait, principalement en lait UHT demi-écrémé. « La passation s'est faite sans à-coups au niveau de la collecte. Nous sommes passés d'un statut de privé à celui d'une coop avec l'avantage d'une garantie de collecte en tant que coopérateur. En revanche, la souscription au capital nous a coûté 7 600 € avec un calcul fait au prorata du litrage moyen livré sur trois ans », explique Bertrand. « Les éleveurs collectés par Comalait n'ont pas eu d'autre choix que de s'adapter au repreneur, ponctue Jean-Philippe Garnier. Il est plus difficile dans des zones à faible densité laitière de créer un GIE ou une petite coopérative de transformation comme on peut le voir dans des bassins de production plus concentrés. »
Aujourd'hui, Sodiaal a annoncé la fermeture du site de Saint-Yorre fin 2013. Un coup dur pour les 120 salariés de l'usine et le panorama laitier du département, qui ne comptera plus aucune entreprise laitière en 2014. « Nous ne sommes pas entrés dans la polémique générée par l'annonce de cette fermeture. Nous pensons que nous ne pouvons plus rien faire contre cette restructuration en aval de la filière. Pour preuve, l'annonce en juin dernier d'un projet de fusion entre Sodiaal et 3A. Nous espérons que la taille colossale de cette structure lui permettra d'être économiquement performante, aussi bien sur le marché français qu'à l'export. En tant que producteurs, ce qui est vital pour nous, c'est que notre lait soit collecté et payé à un prix le plus rémunérateur possible de notre travail. »
Pour Bertrand, c'est la rémunération au-delà du prix de base, « qui bénéficie tout au plus d'une recommandation Crielal », qu'il faut plus que jamais aller chercher.
« AVEC DES VACHES À PLUS DE 10 000 L, NOUS PILOTONS DES F1 »
La qualité sanitaire du lait, les taux protéique et butyreux et le respect du calendrier prévisionnel de livraison génèrent un complément de prix non négligeable de 33,80 €/1 000 l. « Sodiaal applique une prime allant de 2€/1 000 l pour une livraison de + ou - 10 % des prévisions établies, 3 € pour + ou - 5 % et 5 € pour une variation de + ou - 2 %. Je m'applique à percevoir cette prime de précision à sa valeur maximale. C'est un petit levier financier que nous pouvons maîtriser par la conduite du troupeau. » Les taux protéique et butyreux augmentent le prix de base de 17 €/1 000 l. Une prime « Excellence » de 8 € gratifie la qualité sanitaire du lait. Enfin, l'adhésion au contrôle laitier ajoute 2 €/1 000 l de la part de la laiterie. Les vêlages sont échelonnés sur l'année avec un pic durant les mois de septembre, octobre et novembre. « J'ai abandonné le lait d'été car il n'intéresse pas ma nouvelle laiterie et nous souffrons fréquemment de canicules qui pénalisent la production à cette période de l'année. J'ai aujourd'hui un lot de sept ou huit taries au moment du trou d'herbe estival, c'est mieux ainsi. »
L'éleveur est très attentif à la production de chaque vache à chaque traite. La salle est équipée d'un indicateur de traite permettant ce suivi individuel, auquel se rajoute « l'oeil de l'éleveur ». « Traire mes vaches est un plaisir renouvelé. Je ne saurais pas m'en passer et c'est là que se mesure le potentiel de chaque animal », précise Bertrand qui ne délègue ce poste à personne. Le salarié de l'exploitation s'occupe plus spécifiquement des travaux extérieurs sur les cultures.
La famille Pierrot a investi en 1997 dans une première mélangeuse, remplacée en 2008. « Ce matériel permet de gagner du temps et une précision considérable dans le rationnement des différents lots d'animaux. Avec des vaches à plus de 10 000 l de lait, nous pilotons des F1 ! Toute erreur de conduite se paye cash ! »
« DU MAÏS TOUTE L'ANNÉE COMPLÉTÉ D'HERBE »
Le système d'alimentation est fondé sur une consommation d'ensilage de maïs durant toute l'année, complété d'herbe durant l'été. « Nous utilisons du mieux possible cette ressource peu onéreuse. Nous n'hésitons pas à faner des parcelles supplémentaires si l'herbe pousse trop vite. » 8 ha de ray-grass sont ensilés début mai. Du foin est réalisé sur un minimum de 12,5 ha. Les vaches en lactation n'en reçoivent pas. Il est réservé aux génisses et aux vaches taries. La ration hivernale des laitières est composée de 28 kg d'ensilage de maïs, 12 kg d'ensilage d'herbe, 0,5 kg de paille de blé, 0,5 kg de paille de colza, 0,9 kg d'orge aplati, 0,9 kg de triticale, 2,5 kg de tourteau de soja, 1,8 kg de tourteau de colza, auxquels l'éleveur rajoute de l'urée, des minéraux et du sel. 2 l d'eau sont éventuellement rajoutés si le maïs est un peu sec. L'ensilage est réalisé sur 20 ha non-irrigués avec l'objectif d'un rendement de 10 t de MS par hectare et 30 % de MS. La ration équilibrée à 32,2 l est distribuée une fois par jour le matin. L'été, les vaches reçoivent cette ration établie dans les mêmes proportions mais en moindre quantité. « Les vaches sortent au pré après la traite du matin et jusqu'à celle du soir. C'est la quantité de refus dans l'auge qui me dicte ce qu'elles ont consommé d'herbe et la quantité d'ensilage à distribuer le lendemain matin », souligne l'éleveur. En cas de canicules, fréquentes dans le secteur, les vaches restent dans la stabulation équipée d'un ventilateur. La ration complète des génisses comprend, pour 35 animaux, 20 kg de tourteau de soja, 20 kg de tourteau de colza, 1 kg de paille de blé, 2 kg de foin et 400 kg d'ensilage d'herbe. Elles ont du foin en libre-service. Les petits veaux ruminent dès le départ avec la distribution d'un mélange sec de mélasse, de paille, pulpes de betteraves, tourteaux de colza et de soja, de farine d'orge et de minéraux.
« NOUS AVONS UN POTENTIEL À MIEUX VALORISER »
Avec 85 % de la ration produite sur l'exploitation grâce aux céréales, le coût alimentaire est de 13,4 centimes d'euros par kilo de lait pour une efficacité alimentaire de 1,23 kg de lait par kilo de matière sèche. « Nous avons encore des marges de progrès, un potentiel à mieux valoriser, aussi bien au niveau des ressources végétales qu'animales », exprime le couple d'éleveurs. Accentuer leur autonomie alimentaire passe par une production plus importante en protéines. Une part croissante de légumineuses est implantée avec les ray-grass. En revanche, l'acidité des terres interdit la culture de luzerne. Les efforts portent aussi sur la recherche d'une qualité végétale maximale. Des cultures dérobées précèdent les maïs pour rentabiliser les parcelles. Les effluents d'élevage sont épandus, et des analyses de terre et de reliquats azotés réalisées selon le plan Planfum. « Les cultures apportent de l'oxygène à notre système d'élevage, précise Bertrand, dont la passion reste de produire du lait. Je ne travaille pas une génétique bling-bling. Les concours ne m'intéressent pas. Je vends même mes génisses à regret car je ne sais pas quelles laitières elles deviennent. Au terme de plusieurs années de sélection, le potentiel est là. Il faut lui donner les moyens de s'exprimer. C'est l'intérêt de ce métier. » Bertrand a privilégié la quantité de lait produite et les mamelles bien sûr mais aussi la longévité des vaches. L'index cellules est un critère retenu chez les taureaux et un fort taux de cellules, une cause de réforme indiscutable chez les vaches. « Je n'engraisse pas mes réformes. Ce n'est pas rentable. Nous sommes contraints de raisonner l'efficacité économique de chaque poste si nous voulons être encore là dans vingt ans. »
MONIQUE ROQUE-MARMEYS
Bien que située au coeur d'un bassin allaitant charolais, l'exploitation de la famille Pierrot produit, quant à elle, « du lait par passion et des cultures par raison ».
La stabulation libre, initialement construite avec 50 places, devient exiguë pour le troupeau actuel de 65 prim'holsteins. Bertrand souhaiterait l'agrandir et transformer l'aire paillée en logettes.
Bertrand, qui est seul pour assurer chaque traite, est très attentif à la production de chaque vache. La salle, qui est en train d'être agrandie, dispose d'un indicateur de traite pour assurer ce suivi individuel biquotidien.
Une génétique efficace. Bertrand avoue qu'il a du mal à vendre ses génisses car il « ne sait pas ce qu'elles deviennent ». L'objectif de l'éleveur n'est pas de faire des concours mais de produire un lait de qualité avec les vaches qu'il a eu plaisir à sélectionner et à élever.
Autonomie alimentaire. Avec 85 % de la ration produite sur l'exploitation grâce aux céréales, le coût alimentaire est de 13,4 centimes d'euros par kilo de lait pour une efficacité alimentaire de 1,23 kg de lait par kilo de matière sèche.
Une mélangeuse indispensable . La famille Pierrot a investi, en 1997, dans une première mélangeuse qui a été remplacée en 2008. « Ce matériel permet de gagner du temps et apporte une précision considérable dans le rationnement des différents lots d'animaux », affirme Bertrand.
« J’ai opté pour un système très simple car c’est rentable »
Réformer ou garder ? 26 éleveurs dévoilent leur stratégie de renouvellement
Le vêlage 2 ans n’impacte pas la productivité de carrière des vaches laitières
« J’ai gagné presque un mois d’IVV grâce aux colliers de détection de chaleur »
Le biogaz liquéfié, une solution pour les unités de cogénération dans l’impasse
« Pas d’agriculture sans rentabilité ! », rappelle la FNSEA
John Deere, Claas, made in France… À Innov-Agri, il pleut aussi des nouveautés
Pourquoi la proposition de budget de l’UE inquiète le monde agricole
La FNSEA appelle à « une grande journée d'action » le 26 septembre
Matériel, charges, prix... Dix agriculteurs parlent machinisme sans tabou