
EN TRANSFORMANT 720 000 L DE LAIT DE VACHE ET 100 000 L DE LAIT DE BREBIS, LA FERME DU CASTÉRIEU RÉMUNÈRE HUIT ASSOCIÉS ET TROIS SALARIÉS.
DANS L'ARTICLE PREMIER DE LEUR RÈGLEMENT INTÉRIEUR, les associés de la Ferme du Castérieu se sont fixés comme objectif la recherche d'un bon compromis entre qualité de travail, qualité de vie et efficacité économique. « C'est ce qui a guidé toute l'évolution du Gaec. Mais il nous a fallu du temps pour y parvenir ! », relève Alain Gibaud, l'un des fondateurs. Son père est venu de Vendée pour s'installer dans les Hautes-Pyrénées. En 1958, il trouve près de Tarbes, une exploitation de 25 ha qu'il loue. En 1980, lorsque deux de ses fils, Alain et Thierry, décident de s'installer à leur tour, la surface atteint 50 ha mais la situation économique n'est pas brillante. « Le technicien de la chambre d'agriculture nous a suggéré de nous diversifier dans le tabac ou les canards gras. Nous avons préféré tout miser sur le lait. »
« NOUS AVIONS ENVIE DE CONSTRUIRE QUELQUE CHOSE »
Les bâtiments se trouvaient alors dans le village. « Nous avons d'abord construit une stabulation à l'extérieur, sur une parcelle de 5 000 m2 que nous avons pu acheter. Il a fallu créer un chemin, y amener l'eau et l'électricité. » En 1983, à l'arrivée des quotas, Alain et Thierry obtiennent une référence de 450 000 l, qui passe rapidement à 650 000 l avec l'installation de leur frère Pascal. En 1987, grâce à cette augmentation des volumes, l'exploitation réussit enfin à équilibrer ses comptes.
« Un voisin arrêtait la vente de lait cru. Pour améliorer notre rémunération, nous avons racheté son équipement et développé la clientèle », souligne Alain.
En 1989, les parents prennent leur retraite. La rentabilité du lait cru n'est pas évidente. Pour continuer, il faut investir dans la mise aux normes. Les trois frères optent pour poursuivre la vente directe, mais en transformant le lait en fromages. Ils élargissent le groupe avec Steve Daly, puis avec Gérard Pointecouteau en 1991. Après une période d'essai de six mois, ces nouveaux venus prennent des parts dans le Gaec.
À cinq, le groupe trouve le bon équilibre. « Nous avions tous la trentaine et des enfants. Nous voulions nous poser, construire quelque chose », raconte Steve, un Irlandais qui a voyagé jusqu'en Nouvelle-Zélande et en Arabie Saoudite pour s'occuper de laitières. « Il y avait une ouverture d'esprit, c'était stimulant », relève Gérard, un fils d'agriculteur qui n'avait pas pu s'installer sur une exploitation familiale trop petite. Les associés choisissent de produire de la tomme des Pyrénées au lait cru, avec une croûte naturelle pour se démarquer de la tomme industrielle. La production démarre bien, mais les marchés de proximité sont rapidement saturés. « Pour augmenter les ventes sans brader nos fromages, il a fallu chercher des débouchés hors du département auprès de grossistes », raconte Gérard. En utilisant des moules de plusieurs régions, le Gaec diversifie le format de ses tommes. Il élargit ainsi sa gamme, tout en gardant le même process de fabrication.
« GRÂCE À NOS CLIENTS, NOUS AVONS AMÉLIORÉ NOTRE QUALITÉ »
Mais la rentabilité, ramenée à l'heure de travail, reste décevante... au niveau du Smic. Pour progresser, il faut retravailler le marché local en développant les ventes en GMS et étoffer le réseau de grossistes. En raisonnant le choix des clients en fonction des volumes et des kilomètres, le Gaec optimise ses frais de transport.
« Au fil des essais et des erreurs, et grâce aux retours de nos clients, nous avons amélioré notre savoir-faire et régularisé la qualité de nos fromages », relève Steve. Avec une qualité suivie, des coûts maîtrisés et des prix qui restent accessibles, les ventes grimpent vite. La rationalisation de l'équipement et de l'organisation permet de doubler le volume transformé sans multiplier les heures de travail.
Lorsque la production atteint 35 à 40 t de fromages par an, la progression des ventes ralentit. Pour augmenter encore le volume transformé, élargir la gamme avec de nouveaux produits devient nécessaire. « En 2000, nous avons décidé de nous lancer dans le fromage de brebis, peu développé dans notre zone », relève Gérard, qui a assuré le démarrage de cet atelier. Pour produire rapidement, le Gaec achète dans l'Aveyron une centaine de lacaunes en lactation. Elles sont logées dans une première bergerie de 150 places. Mais la tomme de brebis est tout de suite appréciée des clients. Pour répondre à la demande, il faut augmenter le cheptel. « En 2007, nous avons dû doubler la surface de la bergerie et aujourd'hui, avec 350 brebis, le bâtiment est bien rempli », relève Marc, le frère de Gérard, qui a rejoint l'équipe en 1998.
« LA CHARGE DE TRAVAIL EST FORTE »
La création de ce nouvel atelier entraîne des réorganisations successives. Gérard, après cinq ans aux brebis, prend en charge les cultures. Bruno, un nouvel associé, lui succède pendant cinq ans, avant de repartir. Aujourd'hui, Marc et Thierry s'occupent des brebis avec Fabien Garcia. « Nous sommes peu mécanisés et la charge de travail est forte », relève Marc. Pour loger toutes les bêtes, il a fallu supprimer les couloirs, ce qui complique les déplacements dans la bergerie. La traite, en 2 x 16 postes, mobilise une personne trois heures matin et soir. « Aux périodes d'agnelage, il est difficile de se libérer un week-end sur deux, contrairement aux autres ateliers. »
Avec 200 UGB sur 119 ha, le chargement atteint 1,8 UGB/ha. Pour nourrir les deux troupeaux, les associés misent avant tout sur le maïs, qui couvre 55 ha. Dans la plaine irriguée, le rendement atteint 110 q/ha en grain et jusqu'à 20 t de MS/ha en ensilage. Dans les coteaux non-irrigués, il varie entre 10 et 15 t de MS/ha. « Pour assurer la ration, nous ensilons 600 t de MS. Le reste, produit sur 10 à 20 ha selon les années, est vendu en grain », précise Gérard.
« L'HERBE NE POUSSEPAS BIEN ICI »
Le Gaec a choisi de garder des cultures de vente, maïs, orge et tournesol, et d'acheter tout le concentré. « Sur nos sols acides, la luzerne est à la peine. Il vaut mieux l'acheter en Espagne. » Les prairies temporaires, à base de ray-grass, fétuque ou dactyle et trèfle blanc, ne couvrent que 34 ha. Les génisses assurent le déprimage avant la première coupe. Les vaches ne pâturent pas. « En bon Irlandais, j'ai essayé. Mais l'herbe ne pousse bien ici que deux ou trois mois au printemps. Ensuite, il ne pleut plus assez. » En hiver, la ration complète, calée pour 32 l, est constituée de 32 kg d'ensilage de maïs, 5 kg d'ensilage de sorgho, 2,5 kg de luzerne déshydratée, 2,6 kg de tourteau de soja, 1,3 kg de colza et 500 g de lin, plus 760 g de minéraux et vitamines. « Le sorgho, cultivé en dérobée après l'orge, dilue un peu l'amidon du maïs. Quand il n'y en a plus, je le remplace par du ray-grass », relève Steve. À cette période, les vaches ne reçoivent pas de complément individuel au Dac. Les fortes productrices s'adaptent en consommant plus.
« LA HAUSSE DU MAÏS N'A PAS COMPENSÉ CELLE DU CONCENTRÉ »
« Nous n'utilisons le Dac que de septembre à novembre, au début de la période des vêlages. Au-delà, cela reviendrait trop cher », souligne-t-il. En 2011, avec une consommation de concentré de 2 263 kg par VL, la production économique moyenne a atteint 8 760 kg de lait et le coût alimentaire 143 €/1 000 l. « Nous étions un peu au-dessus de la moyenne Optilait, qui se situait à 1985 kg pour le concentré distribué et 118 €/1 000 l pour le coût alimentaire. »
Les achats d'aliment pèsent pour près de 300 000 € dans les charges. « Jusqu'en 2011, j'arrivais à réguler les tarifs en négociant à six ou douze mois des camions complets en Espagne. Mais depuis plus d'un an, tout flambe. » Le tourteau de soja a dépassé 500 €/t et la luzerne 200 €/t. Dans le même temps, le prix auquel les associés vendent leur maïs a progressé de 160 à 230 €/t. Mais cela n'a pas suffi à compenser la hausse des achats de concentré, qui porte sur des tonnages plus importants que les ventes de grain. « En 2012, la facture s'est alourdie de 40 000 €. Cela représente 10 % de l'EBE », souligne Gérard.
« Pour limiter cette hausse, nous avons réduit le soja. La production de lait est descendue à 970 000 l, sous notre quota de 1,1 Ml », relève Steve. Mais, bon retour des choses, le nombre de mammites a reculé, ne concernant que 45 % des vaches contre plus de 50 % avant. Pour 2013, la priorité sera d'améliorer le confort
animal. Le Gaec va investir dans des matelas plus épais pour les logettes. « Nous allons aussi installer une ventilation dans la stabulation. L'été, la température monte trop et la production fléchit. À cette période, nous manquons de lait pour la transformation. »
Pour tenir compte de ces hausses de coûts, les associés ont décidé de relever le prix des fromages. En 2012, le tarif TTC pour la vente directe aux consommateurs est passé à 9,95 €/kg pour la tomme de vache, 15,45 €/kg pour celle de brebis, et 11,95 €/kg pour la tomme de mélange.
« LE FROMAGE DE MÉLANGE EST PRODUIT TOUTE L'ANNÉE »
« Depuis quelques années, nous privilégions le fromage de mélange aux dépens du pur brebis. Cela nous permet de mieux valoriser le lait de vache avec un produit que nous pouvons fabriquer toute l'année. », précise Christophe Colomés, en charge de la fabrication.
« En 2012 et 2013, nous avons aussi réussi à faire accepter une petite hausse aux supermarchés », relève Pierre Craman, chargé de la commercialisation avec Thibaut Depond. Les tarifs pratiqués avec les revendeurs de la région ont également augmenté. Ils n'avaient pas bougé depuis 2007. « Ce rattrapage ne passe pas toujours bien. Nous allons peut-être perdre quelques revendeurs. Mais nous pouvons progresser ailleurs, en démarchant des clients dans de nouvelles régions », affirme-t-il.
Le prochain défi est d'assurer la relève. Les associés de la première heure approchent de la retraite. Ces dernières années, plusieurs personnes intéressées sont arrivées à la Ferme du Castérieu. Embauchées d'abord comme salariées, elles ont dû se former lorsque c'était nécessaire, et trouver leur place dans le Gaec. « Dans chaque atelier, il faut arriver à constituer des binômes qui s'entendent bien. Ce n'est pas toujours facile », constate Steve. Christophe, puis Pierre et Nicolas ont finalement décidé de rester et ont pris des parts. Fabien et Thibaut, en pré-installation, devraient faire de même.
« LES JEUNES FERONT COMME NOUS : DES ESSAIS ET DES ERREURS »
Avec une EBE de 400 000 € et seulement 63 000 € d'annuités, il y a de quoi rémunérer huit associés. « En 2012, le prix de notre lait, livré à 3A, est remonté à 345 €/1 000 l. Ces dernières années, il était descendu à 330 €. Avec 250 000 l collectés et 720 000 l transformés, nous avons moins souffert que d'autres éleveurs du département, qui sont en difficulté pour un tiers. La transformation nous a permis de maintenir un bon équilibre », souligne Gérard.
« Dans une structure comme la nôtre, il y a encore des perspectives avec le lait, à condition d'accepter les contraintes du groupe, affirme Steve. Nous partageons nos compétences, nous nous relayons pour les week-ends et les vacances. Mais il faut savoir faire des concessions. Ce n'est pas facile tous les jours. »
Les bons résultats économiques sont attractifs. Il faudra les préserver dans l'avenir. Jusqu'à présent, les associés ont raisonné les investissements en fonction du retour financier à en attendre. Les jeunes pourraient voir les choses différemment. Avec 2 x 7 postes et un décrochage automatique, la traite des vaches, par exemple, mobilise une personne 3 h matin et soir. « Ils souhaiteront peut-être installer un roto ou un robot pour gagner du temps. Ce sera à eux de décider », estime Steve, qui reste confiant dans l'avenir de la Ferme du Castérieu.
FRÉDÉRIQUE EHRHARD
La cave d'affinage. « Les tommes sont affinées de quatre semaines à plus de trois mois, en fonction de leur format », explique Alain Gibaud.
La traite des vaches nécessite trois heures matin et soir, « mais c'est un bon moment. Et c'est là que j'observe le mieux les animaux », relève Steve Daly.
Sur les terres irriguables, le maïs, qui assure la base de la ration, est conduit en monoculture. « Nous pratiquons le travail simplifié du sol, et entre deux maïs, nous intercalons un couvert de moutarde », détaille Gérard Pointecouteau.
« Deux jours par semaine, nous livrons nos clients les plus proches, dans les Hautes-Pyrénées et le Gers », relève Thibaut Depond.
Les logettes sont équipées de matelas. « Nous les recouvrons de sciure pour améliorer le confort », souligne Justine Malle.
Le petit-lait est valorisé. 600 l sont incorporés tous les matins à la ration préparée dans la mélangeuse.
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