
KLAUS SCHRÖDER A VENDU SES PREMIERS KILOWATTS AU PRINTEMPS. DU COUP, LE PRIX DU LAIT N'EST PLUS UN ÉLÉMENT AUSSI DÉCISIF DE SA STRATÉGIE DE PRODUCTION INTENSIVE.
LES DIGESTEURS AUX CHAPEAUX VERTS ET POINTUS sont presque les seuls reliefs du paysage plat qui caractérise les plaines d'Allemagne du Nord. Klaus Schröder en connaît une bonne quinzaine à dix kilomètres autour de Deinstedt, le village de sept cents âmes qu'il habite avec Tanja, son épouse, et ses trois enfants, entre Brême et Hambourg. Il est parmi les derniers à s'être lancé. Son unité de 190 kWh a envoyé ses premiers kilowatts dans le réseau en mars 2009. Elle a été modifiée en novembre pour monter sa capacité à 220 kWh. Un second moteur de 190 kWh a été installé à un kilomètre du siège de l'exploitation. En brûlant le méthane, il produit lui aussi du courant et de la chaleur pour chauffer cinq maisons. Klaus ne fait aucune difficulté à convenir que le biogaz a accéléré le temps.
Et pourtant… « Il y a deux ans encore, je n'y croyais pas », confie-t-il. Car jusque-là, cet éleveur de 44 ans avait surtout misé sur le lait.
DES CHARGES DE 0,26 EURO PAR LITRE, MAIN-D'OeUVRE COMPRISE
En 1986, les problèmes de santé de son père lui font reprendre, à 21 ans, l'exploitation familiale avec ses 50 vaches et ses 90 ha. La stabulation capable de loger 170 laitières est construite en 1999. L'exploitation dispose alors de 170 ha et fonctionne avec Klaus et deux apprentis. Un premier robot arrive en 2001, un second en 2008. Les vaches les fréquentent 2,9 fois par jour, en moyenne. Elles ne pâturent jamais. Les terres trop longtemps humides ne s'y prêtent guère.
L'éleveur mène depuis toujours son atelier laitier sur un modèle intensif avec l'obsession de ne rien laisser au hasard. « Je dois tout faire pour éviter les pertes à la récolte, au silo. Les travaux doivent être faits à temps. Tout matériel endommagé est immédiatement réparé pour être prêt à resservir », insiste-t-il.
Les ensilages de maïs et d'herbe sont systématiquement analysés. Les céréales sont vendues. « Cela m'évite de les sécher et de les stocker. Je préfère acheter la formule d'aliment qui convient le mieux aux besoins du troupeau », indique Klaus Schröder.
La ration complète est stable depuis des années. Klaus Schröder la connaît par coeur. Y entrent 22 kg de maïs-ensilage, 13 kg d'ensilage d'herbe, 1 kg de tourteau de soja, 1 kg de tourteau de colza, 1 kg de blé farine, 5 kg de drèches de brasserie, 500 g de paille d'orge et 170 g de minéraux. De quoi couvrir une production de 27 l. Le complément, jusqu'à 7 kg par vache et par jour, est distribué au Dac dans la stalle de traite des robots. Les fraîches vêlées reçoivent en plus 250 g de glycérine par jour durant cinq jours pour stimuler leur appétit. La plongée du prix de base du lait jusqu'à 210 €/1 000 l, en mai 2009, n'a pas influencé la composition de ce menu. « Je ne raisonne pas à court terme, commente Klaus. Si je modifie la ration pour dépenser moins, la production chute rapidement. Le jour où le prix du lait sera de nouveau attractif, j'aurai du mal à remonter en production. Ma priorité est de couvrir les besoins du troupeau. J'ai la même stratégie pour mes cultures. Il n'est pas question de réduire leur dose d'engrais. En lait, un tel choix a un impact financier limité. L'alimentation ne représente que la moitié de mes coûts de production. »
Mais depuis plusieurs mois, l'atelier ne couvre plus ses charges, qui s'élèvent à 0,26 €/l, main-d'oeuvre comprise. Le seul concentré représente, en moyenne, 0,06 €/l. Le taux de renouvellement atteint quasiment 33 %. « J'ai suivi une formation pour inséminer moi-même. Cela me fait économiser 30 € par vache. Mais la fécondité reste mon plus gros souci. Elle est la cause de 40 % de mes réformes. 20 % partent pour leurs mauvais aplombs et 20 % en raison de problèmes de mamelle », dit-il. La sélection sur le lait est passée au second plan. Aux yeux de Klaus, le potentiel de production de son troupeau est suffisant. Il pourrait même baisser pour être plus en phase avec la ration qu'il peut lui mettre dans l'auge. La moyenne d'étable a déjà atteint les 10 000 l par le passé. Elle est redescendue à 9 100 l parce qu'il a augmenté son quota en louant des références. Elles lui ont fait conserver toutes ses génisses. À présent, la priorité est donnée à la solidité des animaux et à leur santé pour ramener les frais vétérinaires de 146 € par vache aux 80-85 €€ qui constituent la moyenne du groupe de cent éleveurs qui sert de référence à Klaus. « Je me compare toujours aux autres. Je dois rester dans le tiers supérieur du classement.
Quand je perds des places, je me procure le conseil qui me permet de m'améliorer, même s'il est payant. Ce ne sont que les premiers de la classe qui ont le plus de chance d'être encore là demain. En lait, il me faut trouver l'équilibre entre les besoins de mes vaches et la rentabilité. »
Paradoxalement, Klaus Schröder « ne s'intéresse que d'assez loin à l'évolution du prix du lait ». Sauf quand il est bas. « Là, je m'interroge : comment faire pour tenir ? »
SE DIVERSIFIER POUR TENIR QUAND LE PRIX DU LAIT EST TROP BAS
Jusqu'à il y a deux ans, la solution était le développement de la prestation de service pour les traitements et l'épandage, une initiative prise par son père. En 2008, le pulvérisateur traîné de 3 200 l est encore intervenu sur 450 ha et la tonne de 18,5 m3 a épandu 20 000 m3 de lisier. Mais entre 2008 et 2009, ce chiffre d'affaires a été divisé par deux et demi pour tomber à moins de 20 000 €. Entre-temps, Klaus Schröder a découvert le biogaz. « La loi sur les énergies renouvelables est régulièrement réactualisée. La version dont je profite a été élaborée par les pouvoirs publics alors que le prix de l'énergie était élevé et avec la volonté de pousser les énergies vertes qui contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique. Soit je restais spectateur, soit je devenais acteur. Quand mon banquier, qui m'a financé sur quinze ans, m'a déclaré que les performances réelles d'une telle installation étaient supérieures aux calculs théoriques, je n'ai plus hésité. J'ai un collègue producteur de porcs qui a fait de même. Comme moi, il valorise mieux son maïs quand il le met dans son digesteur que quand il le donne à ses animaux. » Une chance supplémentaire pour l'éleveur est que le rendement du maïs est très correct. L'entreprise à laquelle il fait appel, récolte entre 45 et 55 t/ha à 33 % de matière sèche La pluviométrie permet également de faire jusqu'à cinq coupes d'herbe pour un rendement global de 12 à 14 t/MS/ha. Les quatre premières coupes sont destinées aux vaches et aux génisses. La dernière rejoint désormais le digesteur. Depuis sa mise en service, il est approvisionné quotidiennement avec 16 t de maïs-ensilage, un peu d'herbe ensilée et 14 m3 de lisier dont l'incorporation est primée. Il procure un supplément de recette de 52 000 € par moteur et par an. La production de gaz par tonne de matière première s'élève à 250 m3, là où le calcul théorique tablait sur 220 m3.
LE JACKPOT : 200 000 EUROS/AN POUR DEUX MOTEURS
L'alimentation de l'installation réclame une heure par jour, son contrôle une autre heure. La production annuelle est prévue à 3,5 MkWh. Et chaque kilowatt est payé 0,2267 €. Multipliez. Enlevez les frais. Le résultat approche les 200 000 € pour deux moteurs en fonctionnement permanent… le jackpot.
L'argent de la vente de l'électricité tombe le 16 de chaque mois. Aussi régulièrement que la paie du lait. « Le biogaz éponge la mauvaise année laitière. Quand j'ai pris la décision d'investir, le prix du lait était encore au plus haut. Aujourd'hui, je me dis que j'ai de la chance. Sans le biogaz, j'aurai dû réduire le parc matériel, abandonner du foncier et me séparer d'un salarié », reconnaît Klaus. Aujourd'hui, il a davantage le pied sur l'accélérateur que sur le frein. Avec les compétences techniques acquises chez soi en autodidacte, l'éleveur et un collègue éleveur de porcs ont initié un projet biogaz collectif de 2,1 MW. Quinze agriculteurs y participent. Ils ont souscrit pour 760 ha de maïs au total. La production se partagera entre un tiers d'électricité et deux tiers de méthane, qui sera retraité par un fournisseur d'énergie pour être directement injecté dans le réseau du gaz de ville. Klaus et son collègue toucheront des honoraires pour la planification du chantier qui démarrera en 2010. Ils deviendront ensuite les directeurs salariés du site. L'élevage qui monopolise encore 30 % du temps de Klaus va le voir de moins en moins. L'éleveur prévoit d'engager un salarié à mi-temps supplémentaire. Il en emploie déjà deux à temps plein. Henrie est le premier.
Néerlandais, la trentaine, il est chargé du troupeau. Klaus lui délègue de plus en plus de responsabilités dans la perspective de périodes d'absences de plus en plus fréquentes. Il va suivre une formation qui lui donnera la capacité d'inséminer lui-même.
« LA PRODUCTION LAITIÈRE REDEVIENDRA UN JOUR RENTABLE »
Rainer, la quarantaine, est le deuxième salarié de Klaus. Jusqu'en 2008, c'était l'un de ses collègues. Aujourd'hui, il lui loue ses terres et effectue tous les petits travaux de la ferme : transport, paillage, etc. Il a l'avantage d'être ponctuel et toujours disponible. Les astreintes du week-end se répartissent sur les salariés d'une part, sur Tanja et Klaus d'autre part.
Malgré le biogaz, Klaus Schröder n'a nulle envie de laisser tomber le lait. Bien au contraire. Il va investir 116 000 € TTC dans un troisième robot et désaffecter la vieille salle de traite 2 x 5 qui sert encore pour trente vaches en fin de lactation. Et d'ici à cinq ans, il envisage de construire un nouveau bâtiment « moderne et rationnel » où un seul salarié s'occupera d'un troupeau de 250 vaches. « Je suis persuadé que la production laitière redeviendra un jour rentable. Le marché veut ça », affirme Klaus. Sa stratégie reste plus que jamais de « continuer à avancer pour garder un temps d'avance sur les autres ». Pour cela, Klaus sait qu'il lui faudra encore s'affranchir d'une faiblesse. « En 1986, j'avais 21 ha sur 90 en propriété. Aujourd'hui, j'en ai 31 sur 300. Les fermages s'élevaient à 250 €/ha en 2000. Ils ont grimpé à 600 €/ha en 2009. Je dois investir dans le foncier et dans le rachat à un prix préférentiel des quotas loués pour sécuriser mon système. » Quand on lui demande quel est finalement le costume qui lui va le mieux, Klaus lâche : « Entrepreneur ! Je ne dois pas raisonner comme un agriculteur. Je dois avoir une démarche commerciale ».
KONRAD RICHTER
Une stabulation construite en 1999. L'étable contient actuellement 150 vaches. Mais elle peut en accueillir jusqu'à 170. Un troisième robot l'équipera en 2010.
L'insémination n'est pas un monopole en Allemagne. Klaus Schröder pratique lui-même. En 2010, l'un de ses salariés suivra une formation afin qu'il puisse lui aussi assurer cette tâche.
L'unité de biogaz. La gestion de son unité de 190 kW de biogaz à la ferme mobilise Klaus Schröder une heure par jour. En se lançant dans la planification d'une unité collective, il a accumulé de la documentation. Elle occupe toute une rangée de classeurs dans son bureau.
Le bol peseur permet de savoir au kilo près la quantité de matières premières apportée.
Le digesteur. Il faut une demi-heure pour charger 8 t de maïs-ensilage. L'approvisionnement se fait matin et soir. Une vis sans fin envoie automatiquement, à intervalles réguliers, le produit dans le digesteur. 14 m3 de lisier y sont directement pompés chaque jour.
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