
LAURENT MONTIER A FAIT SES COMPTES. LA BAISSE BRUTALE DU PRIX DU LAIT DIMINUE DE MOITIÉ LA RÉMUNÉRATION DE SON TRAVAIL SUR L'ATELIER LAIT.
LAURENT MONTIER A BLOQUÉ LES LAITERIES DE SEINE-MARITIME en mai et juin pour protester contre la chute du prix du lait. La coopérative de collecte CLHN lui a versé un prix de base de 222,24 €/1 000 l en mai et de 247,20 € en juin. « Je m'attendais à ce que le prix du lait baisse mais pas à ce point », s'insurge-t-il. Comme la grille interprofessionnelle haute-normande encourage le lait d'été, le prix de base payé en juillet, août et septembre a fait un saut à 318,15 €/1 000 l. Il redescendra à 268 €/1 000 l en octobre, 231 € en novembre et enfin 223,40 € en décembre, ceci pour respecter l'accord interprofessionnel national d'un prix moyen de base de 280 €/1 000 l. « À ce niveau déjà bas, il faut déduire les 4,50 €/1 000 l de flexibilité additionnelle appliquée en début d'année par la CLHN et les 6 €/1 000 l d'ici à la fin d'année. Je fais le gros dos en attendant des jours meilleurs. »
Laurent fait face aujourd'hui à ses factures sans avoir recours à un emprunt à court terme. L'activité viande et céréales de l'exploitation est une bouffée d'oxygène dans sa trésorerie. « Si je manque de trésorerie, je demande à la coopérative d'écouler une partie du blé qu'elle stocke pour moi. » La vente de treize boeufs pour 12 600 € a permis notamment de payer la MSA en juin.
LES DÉPENSES REVUES À LA BAISSE
Parallèlement, il a abandonné son projet d'investir dans une benne de 14 t. « Les chantiers d'entraide de maïs ont des débits d'ensilage de plus en plus rapides. Je souhaitais renforcer mon équipement de récolte. La conjoncture m'incite à recourir à la location. C'est d'ailleurs plus raisonnable. Investir dans un matériel peu utilisé dans l'année n'est pas cohérent. » De même, en cultures, il a préféré faire l'impasse sur le phosphore.
L'épargne constituée les années précédentes et le travail de conseillère banque-assurance à mi-temps de son épouse Gaëlle lui permettent de réduire temporairement ses prélèvements privés. « Du moment que nous pouvons faire face aux besoins de la famille et partir une semaine en vacances. Nous n'avons pas de gros besoins financiers. Cela nous est propre. Ce n'est pas une raison pour être la variable d'ajustement des industriels et des distributeurs. »
LIMITER LES ANNUITÉS
Il estime aussi que sa politique d'investissements modérés appuyée sur une partie d'autofinancement porte aujourd'hui ses fruits. Son taux d'endettement est limité à 29,8 % du passif du bilan 2008-2009. Les annuités à long et moyen terme se sont élevées à 29 500 €, y compris celles relatives à l'achat de foncier remboursées dans le cadre des prélèvements privés. Ce qui représente 36,4 % de l'excédent brut d'exploitation. L'arrivée de plusieurs échéances abaisse ce montant à 26 700 € pour les prochaines années. « Sij'avais emprunté 25 000 € l'an passé pour financer l'agrandissement de la salle de traite, cette charge financière serait plus lourde. Vue la conjoncture, je ne regrette pas d'avoir autofinancé la totalité. » D'une installation 1 x 6 postes, il est passé en double quai 2 x 5 postes. Il ne regrette pas non plus de s'être contenté des améliorations strictement indispensables au confort du travail. À l'équipement de traite initiale ont été ajoutés le décrochage automatique et un programmateur de lavage. Par économie, il a renoncé à l'acquisition de compteurs à lait.
MALGRÉ LA CRISE, ENCORE DES PROJETS
Les travaux de mise aux normes ont suivi cette stratégie. La mise en conformité environnementale ne s'est pas accompagnée d'un bouleversement de l'hébergement et de l'alimentation du troupeau laitier. L'éleveur a maintenu l'alimentation en libre-service des vaches laitières. Une fumière de 180 m2, une fosse de 214 m3 et un décanteur de 200 m3 pour les eaux brunes d'aire d'exercice, les eaux de salle de traite et les jus de silos ont été construits. La réfection des bétons fissurés a été également effectuée. « La transformation de l'aire paillée en logettes et l'abandon du libre service pour une alimentation distribuée m'auraient coûté 45 000 € de plus », avance-t-il. Il a perçu 46 000 € de subventions sur un investissement total de 132 600 €. Tous les travaux ne sont pas relatifs à la mise aux normes. Cette dernière a été l'occasion d'une remise à plat des objectifs professionnels de Laurent. Avec encore vingt à vingt cinq ans d'activité devant lui, l'envie de continuer à développer son exploitation s'est imposée. Peu motivé par les cultures, il souhaite davantage spécialiser son exploitation sur l'activité laitière. « Je gagnerai ainsi en efficacité », estime-t-il. Les équipements de stockage des déjections ont donc été conçus pour 50 vaches laitières. Trois travées de 5 m de large ont été ajoutées à la stabulation paillée existante. Elles hébergent actuellement les boeufs l'hiver. En cas d'agrandissement, les vaches supplémentaires pourraient prendre leur place. « J'ai développé l'atelier boeufs et je pratique le vêlage des génisses à trois ans pour valoriser la surface en herbe importante. Le passage au vêlage à deux ans pourrait libérer 6 ha de prairies à destination des vaches. S'il le faut, je pourrais même restreindre celle occupée par les boeufs. De toute façon, leur élevage est en sursis. » Pour lui, l'agrandissement du troupeau laitier ne nécessiterait pas de nouveaux investissements. L'effectif supplémentaire sera compensé par l'abaissement du nombre de génisses et de boeufs élevés. « Je vise 450 000 l, pas plus. En sous-traitant les travaux des champs, je pense faire face sans trop de difficultés au surplus de lait. » Le mouvement est déjà enclenché.
UN PRIX DU LAIT DE 295 À 300 €/1 000 L EN 2009
Grâce aux réattributions de quotas et au programme d'achat de quotas sans foncier, sa référence s'est accrue de 41 400 l depuis 2007. « Si un producteur ne peut pas vivre de son métier avec 450 000 l, autant en changer, lance-t-il. En vendant l'exploitation, la rémunération du capital serait financièrement plus intéressante avec beaucoup moins de contraintes. »
Toute la question est de savoir quel est le prix du lait minimum indispensable à la rémunération du travail et la couverture des charges. C'est le débat qui anime la filière actuellement. Avec la nouvelle méthode de l'Institut de l'élevage, le réseau d'élevages normand auquel Laurent Montier appartient a calculé que, pour l'exercice 2007-2008, l'éleveur ne rémunère pas son travail si le prix du lait est à 243 €/1 000 l. Ses charges se sont élevées à 398 €, y compris la rémunération du capital (voir infographie p. 135). « Ce montant intègre toutes les charges liées aux vaches et génisses, précise Cédric Garnier, animateur du réseau d'élevages haut normand. L'atelier lait génère un produit viande et bénéficie d'aides pour un montant total de 155 €/1 000 l, ce qui couvre une partie des dépenses engagées. Les 243 € de prix du lait comblent l'autre partie. » Avec une rémunération du travail d'une fois et demie le Smic + la MSA par UTH (l'équivalent de 90 €/1 000 l pour Laurent Montier), le prix devait correspondre à 339 €/1 000 l. En 2007-2008, il était supérieur de 13 € à ce niveau. Les perspectives de l'année 2009 s'annoncent bien différentes. Laurent devrait recevoir de 295 à 300 €/1 000 l de prix moyen, soit une baisse de 60 à 65 €. Ce qui devrait lui rétribuer le travail de l'atelier d'un peu plus que le Smic. « C'est tout le partage de la valeur ajoutée qui est en jeu, estime le producteur. Je ne veux pas être considéré comme un simple fournisseur de matière première. Il est normal que les producteurs fassent des efforts mais qu'ils ne soient pas les seuls. »
PRÉPARER SON SYSTÈME AUX FLUCTUATIONS DES MARCHÉS
Outre les investissements modérés, la maîtrise de ses charges opérationnelles aide l'éleveur à passer le cap 2009 difficile. Son coût alimentaire faible est son principal atout. Une ration laitière 100 % herbe pâturée de fin avril à fin juillet, couplée à une distribution annuelle de concentrés contenue à 155 g/l brut, a fourni, en 2007-2008, un coût de concentrés de 44 €/1 000 l. En 2008-2009, la hausse du prix des aliments l'a augmenté de 5 €. La principale recette est une complémentation simple reposant sur un correcteur azoté, des minéraux et un concentré de production au-delà de 30 l. Au pâturage, le concentré de production est réduit progressivement de 2,75 kg à 1 kg par vache et par jour. « Avec la même quantité de concentrés par vache, il produit 2 000 kg de lait par vache de plus que le groupe “lait + boeufs” du réseau », souligne Cédric Garnier. Les génisses élevées uniquement au foin et à l'herbe pâturée après six mois et le souci de bien valoriser les prairies sans tirer partie de tout leur potentiel, vu la surface à valoriser, sont les deux autres leviers pour limiter le coût alimentaire. En 2007- 2008, il s'élevait à 78 €/1 000 l contre 101 € pour le groupe. Dans l'immédiat, face à la chute brutale du prix du lait, il n'a pas opéré de modifications de sa conduite alimentaire.
L'achat de matières premières plutôt que de concentrés déjà élaborés devrait lui permettre de mieux saisir les baisses de prix des aliments quand elles se présentent. Un projet qu'il lancera l'année prochaine car cela lui demande de construire des cases de stockage et de déplacer son Dac pour installer des trémies lui permettant d'effectuer des mélanges. Peut être se contentera-t-il aussi du seul fumier pour fertiliser le maïs en supprimant les engrais minéraux. « J'hésite encore car c'est la sécurité fourragère hivernale qui est dans la balance. » Sa principale clé d'adaptation aux conjonctures fluctuantes repose sur l'élevage de toutes les génisses. Il dispose ainsi d'un volant de trois à quatre génisses amouillantes et vaches en lait à vendre. C'est ce qui lui a permis de produire, en 2007-2008, la rallonge exceptionnelle de quota. « Si ce marché n'est pas porteur, j'essaie de les vendre plus tôt. »
Constatant que des élevages enregistrent un taux de vaches vides plus élevé que d'habitude, il escompte une demande en génisses amouillantes à l'automne. « J'essaie d'anticiper. » Il a décidé de mieux se préparer aux fluctuations de marché en constituant plus de réserves financières les bonnes années. Ces deux dernières années ont montré que la conjoncture laitière, tout comme celles des intrants, peut se retourner rapidement. Il est aussi conscient que la spécialisation dans laquelle il engage sa structure l'exposera davantage à cette volatilité.
CLAIRE HUE
Laurent Montier a choisi de maintenir l'alimentation en libre-service et de mettre aux normes l'installation existante. Trois travées de 5 m ont été ajoutées en prévision de l'agrandissement du troupeau.
L'an passé, la salle de traite a été remodelée. D'une 1 x 6, elle est passée en 2 x 5 avec un décrochage automatique pour un coût de 25 000 €. Par soucis d'économie, Laurent Montier n'a pas installé de compteurs à lait.
L'élevage de boeufs et le vêlage des génisses à trois ans participent à l'exploitation des 50 ha de prairies naturelles. Avec une hausse de quota de 40 000 l en trois ans, ce besoin de valorisation est moins pressant. Pour la première fois cette année, 17 veaux mâles sont élevés taurillons sur les 28 mâles nés en 2008. Laurent Montier réfléchit à abandonner les boeufs pour les taurillons.
Un pilotage au mois le mois de son coût de concentrés en lien avec la production réalisée et les taux obtenus donne un aperçu précis des résultats technico économiques du troupeau laitier.
Les vaches ont accès à 15 hectares de prairies réservées au pâturage autour de l'exploitation. Les parcelles les plus éloignées se trouvent à 400 mètres de la stabulation laitière. La fermeture du silo de maïs-ensilage durant trois à quatre mois ne pénalise pas les performances laitières.
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