« NOUS INVESTISSONS SÛREMENT, MAIS SANS DÉMESURE »

De gauche à droite, Christian Freal, Yolande, Robin et Rémi Lachaux. © CÉDRIC FAIMALI/GFA
De gauche à droite, Christian Freal, Yolande, Robin et Rémi Lachaux. © CÉDRIC FAIMALI/GFA (©)

LES ASSOCIÉS DU GAEC DE LA FORÊT CROIENT ET INVESTISSENT DANS LE LAIT. À L'IMAGE DE LEUR STRATÉGIE D'ÉLEVAGE, CELA SE FAIT APRÈS BEAUCOUP DE RÉFLEXION ET AVEC MODÉRATION.

L'AUGMENTATION DE LA PRODUCTION LAITIÈRE D'UNE EXPLOITATION ENGENDRE QUASI OBLIGATOIREMENT des investissements. Ceux-ci peuvent être compliqués à assumer quand le prix du lait chute. Au Gaec de la Forêt, les quatre associés sont optimistes et croient en l'avenir, mais ce n'est pas pour autant qu'ils prennent des risques démesurés. « Nous ne voulons pas rentrer dans le piège de la course aux volumes qui demanderait des emprunts tels que nous travaillerions plus pour le banquier que pour nous », explique Rémi Lachaux, 56 ans, installé avec son épouse Yolande (53 ans) depuis 1989 sur la ferme avec, à l'époque, un quota de 360 000 litres.Yolande et Rémi, associés à Christian Freal (46 ans), ont préparé l'installation d'un quatrième associé pendant près d'une dizaine d'années, leur fils Robin, 28 ans aujourd'hui.

« NOUS INVESTISSONS QUAND LES ANNÉES SONT DIFFICILES »

« Pour consolider notre exploitation, nous avons préparé le terrain. Notre quota était de 527 000 litres à la fin des années 2000. Nous nous étions fixé une limite à 750 000 litres car au-delà, nous aurions dû réinvestir dans le bâtiment. Tous les investissements que nous faisions étaient alors démesurés par rapport à notre structure, mais pensés par rapport à l'avenir avec cet objectif de 750 000 litres à l'installation de Robin en 2013. Avec l'expérience, nous nous sommes rendu compte qu'il coûtait moins cher de prévoir à la bonne dimension dès le départ que de devoir agrandir des installations. » Régulièrement, une demande de quota ou de référence supplémentaire de 50 000 litres était réalisée.

En parallèle, le bâtiment des génisses a été aménagé et une mélangeuse achetée en 2005. En 2008, le tank à lait est passé de 6 000 à 8 000 litres et la salle de traite a gagné deux places pour atteindre 2 x 6 postes. Les silos ont été refaits en 2011.

« Nous avons une politique à contre-courant, lance Rémi. Nous investissons quand les années sont dures. Si ça passe là, c'est que notre projet tient la route. Il faut savoir se raisonner et ne pas forcément vouloir de trop belles choses. » Cette simplicité se reflète dans le bâtiment des vaches qui est le même depuis les années 1970.

« NOUS PRODUISONS DANS LA SIMPLICITÉ »

Seuls quelques aménagements ont été effectués. « Nous n'avons pas vraiment le choix, souligne Yolande. Notre propriétaire ne voudrait certainement pas que nous en construisions un nouveau. » Robin s'inscrit dans cette même simplicité : « J'adore mon métier mais je ne veux pas m'endetter pour travailler. Investir est utile si cela permet de simplifier le travail et de gagner du temps. »

À écouter les associés, produire du lait est simple. Ce serait oublier l'attention qu'ils portent tous les jours à leur troupeau. « En vingt ans, la production individuelle de nos vaches est passée de 6 700 litres à plus de 10 000 litres grâceaux progrès de la génétique et de l'alimentation, explique Yolande. Nous ne sommes plus en vêlages groupés. Du coup, c'est plus facile d'être constants. » La ration est complète depuis que des vaches trop gourmandes ont démonté le Dac en 2005.

« Nous avons failli perdre des bêtes, se souvient Rémi. Cela m'a agacé. Avec la ration complète, les vaches se régulent via leur capacité d'ingestion. En début de lactation, les besoins sont plus élevés et les vaches peuvent manger plus. En fin de lactation, le veau prend beaucoup de place et limite les quantités ingérées. »

« NOUS NE RECHERCHONS PAS LE PIC DE LACTATION MAIS LA PERSISTANCE »

La ration est équilibrée pour 30 litres. « J'essaie d'être au plus près de la production réelle, tout en conservant une marge de 2 litres au-dessus, détaille Rémi. Je ne recherche pas le pic de lactation mais la persistance. Au final, cela produit plus de lait ! » En bâtiment, chaque vache reçoit en moyenne 55 kg d'ensilage maïs-sorgho (voir encadré), 2,75 kg d'un correcteur azoté ajusté à la valeur de l'ensilage et 1,5 kg de tourteau de soja. « Cette ration est très simple. Le correcteur azoté coûte 408 €la tonne. Cela peut paraître cher mais quand on le compare avec le lait qu'il engendre, c'est intéressant. Le tourteau de soja permet de limiter le coût du correcteur. En ce moment, c'est du soja mais en fonction des cours, ça peut être du colza ou autre chose. »

Rémi ajuste la ration en fonction des observations de Yolande lors de la traite. « Il y a les calculs théoriques et la pratique. Il ne faut pas négliger les interactions qui peuvent modifier beaucoup de choses. »

Pendant la période de pâturage, le correcteur azoté est parfois arrêté. « Avant, nous n'osions pas arrêter sa distribution, avoue Rémi. Maintenant, nous le faisons de temps en temps car l'herbe apporte non seulement des protéines, maisaussi les minéraux nécessaires aux vaches. Là encore, nous faisons des économies. » L'herbe a une place importante dans la ration sous forme pâturée, ensilée ou encore en foin.

« NOTRE APPROCHE EST PRAGMATIQUE »

Cette approche pragmatique s'étend à toutes les décisions prises par les associés. Chaque modification effectuée doit apporter un bénéfice soit économique, soit en confort de travail. « Grâce à toutes les informations collectées sur notre exploitation et celles de notre secteur, il est facile de vérifier l'impact des changements apportés sur le troupeau, indique Rémi. Nous ne cherchons pas à exprimer forcément l'ensemble du potentiel des vaches. Certains litres coûtent plus cher à produire que ce qu'ils rapportent. Maintenant, il faut prendre en compte les éventuelles variations du prix du lait, comme le font les céréaliers. » Le système mis en place se veut économe et simple. Cela n'empêche pas les quatre associés d'être à la recherche de nouvelles techniques et à l'écoute des conseils.

« LES TÂCHES SONT RÉPARTIES MAIS NOUS SOMMES POLYVALENTS »

Par exemple, au départ, Rémi n'était pas du tout certain de l'intérêt du pâturage tournant (voir encadré). Grâce à des visites d'exploitations et d'essais, il a été convaincu de l'importance d'une meilleure utilisation du pâturage. L'usage régulier de l'herbomètre démontre cette évolution. Entre les associés, la communication a une part importante. « Chacun est responsable de son domaine, mais quand il y a des grandes décisions à prendre, nous nous consultons, dit Yolande. Nous partageons la même vision des choses : le temps pour vivre et vivre correctement. Nous sommes généralement d'accord d'autant que nos choix sont argumentés. »

La répartition des tâches est bien définie : Rémi se charge de l'alimentation des vaches, de la conduite du maïs ensilage, de la comptabilité et de la gestion, Yolande de la traite, des soins des vaches et génisses et de la conduite de la pâture, Robin des cultures, de la mécanique et de l'entretien des machines et en soutien pour les vaches et les chèvres. Christian s'occupe des chèvres (avec Florence, la chevrière salariée) et de la conduite des poulaillers. « Cela ne nous empêche pas d'être polyvalents afin de nous remplacer, précise Rémi. Les week-ends et les vacances, nous fonctionnons à trois : un pour la traite des vaches, un pour l'alimentation des vaches et des chèvres, et le dernier pour la traite des chèvres. » Jusqu'à décembre, chacun était de repos deux week-ends toutes les cinq semaines. « Mais Rémi et moi n'étions pas toujours de repos ensemble, signale Yolande. Depuis le 1er janvier, nous faisons appel au service de remplacement pour constituer deux équipes de trois. Ainsi, chacun est de repos un week-end sur deux, sauf entre juin et novembre. Nous avons estimé que cela nous coûtera 3 000 € hors crédit d'impôt. »

« LA QUALITÉ DE VIE N'EST PAS NÉGOCIABLE ! »

La qualité de vie est un paramètre non négociable pour ces éleveurs. Tout le monde s'accorde trois semaines de congés chaque année. « Même si Robin aime moins les vacances », divulgue Yolande qui, elle, n'y renoncerait pour rien. Chacun a ses passions et occupations : plongée sous-marine, moto, activités avec les enfants, ou balade de quelques heures. « Le fait d'être quatre associés permet de nous remplacer facilement, note Rémi. Même si parfois, nous travaillons alors que nous sommes censés être de repos. Quand il y a du travail, on le fait sans calculer les heures. Et sion cherche, il y a toujours quelque chose à faire ! Mais quand on peut souffler, profiter de quelques moments, on prend le temps de vivre à côté. » Chaque salarié reçoit un salaire de 1 350 € par mois. En fin d'exercice, le résultat est réparti en fonction des parts sociales de chacun.

« Nous ne roulons pas sur l'or, mais nous ne sommes pas à plaindre ! », confient-ils.

« LE TUNNEL EN LOGETTES PRÉVU CETTE ANNÉE SERA AUTOFINANCÉ »

Grâce à la complémentarité des trois ateliers d'élevage, les années sont plutôt régulières. « Il y a toujours un atelier pour soutenir celui qui peine, explique Rémi. Il y a quelque temps, ce sont les vaches qui ont permis de traverser la crise du lait de chèvre. En ce moment, c'est l'inverse. Si le cours du lait de vache remonte, 2016 pourrait être une bonne année ! » Dans un avenir proche, un tunnel de 18 x 9 m viendra compléter le bâtiment des vaches laitières existant en aire paillée afin d'améliorer le couchage. « Nous avons plus de concurrence au couchage qu'à l'alimentation, explique Robin. Cela engendre une pression sanitaire. Même si nous paillons plus souvent qu'avant, ce n'est pas l'idéal. » Le passage en logettes permettra d'économiser de la paille, que les éleveurs ne produisent pas et récupèrent en échange de fumier auprès de voisins céréaliers. « Entre le curage, le paillage, les transports et la question de savoir qui va nous fournir de la paille et à qui on doit du fumier, cela fait beaucoup de travail. De plus, ces arrangements nous rendent dépendants. Les logettes nous simplifieront le travail. » D'un montant estimé à 50 000 € amorti sur dix ans, le tunnel sera en grande partie autofinancé. « Nous avons calculé que cela nous reviendra à 10 €/1 000 litres pendant dix ans », précise Robin.

De nombreux emprunts finissent en 2016, ce qui libère de la capacité d'investissement pour ce projet. Mais après, promis, les quatre associés n'augmenteront plus leur production. À moins que le départ à la retraite de Rémi et Yolande dans une dizaine d'années ne vienne changer la donne.

ÉMILIE AUVRAY

Le bâtiment des vaches date des années 1970. Seuls quelques aménagements ont été réalisés. C'est l'augmentation de la production individuelle qui a permis de le conserver presque tel quel malgré l'accroissement de la référence laitière.

© CÉDRIC FAIMALI/GFA

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Avec assez peu d'investissements, l'exploitation a plus que doublé sa production laitière en moins de trente ans.

© CÉDRIC FAIMALI/GFA

Avec trois ateliers, il y en a toujours un pour soutenir celui en difficultés.

© CÉDRIC FAIMALI/GFA

Le bâtiment des génisses a été aménagé en 2005, avec notamment des cornadis.

© CÉDRIC FAIMALI/GFA

La salle de traite résume les équipements : simple, fonctionnelle, efficace et sans fioriture.

© CÉDRIC FAIMALI/GFA

Le hangar à foin et à paille a été allongé de deux travées en 2005. « Cela nous a coûté aussi cher que les quatre travées d'origine », regrette Rémi.

© CÉDRIC FAIMALI/GFA

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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