
DANS UN CONTEXTE FAVORABLE AUX CÉRÉALES ET À LA VIANDE, LES ASSOCIÉS DU GAEC DU VIEUX NOYER S'INTERROGENT SUR L'INTÉRÊT D'INVESTIR POUR DÉVELOPPER LE LAIT APRÈS 2015.
SITUÉ AU NORD DU PLATEAU LORRAIN, À PROXIMITÉ DE LA FRONTIÈRE ALLEMANDE DANS LA COMMUNE D'OBERVISSE, le Gaec du Vieux Noyer s'étend sur une surface de 275 ha où l'uniformité de la plaine cultivée est rompue par les bois et les prairies humides de la vallée de la Nied. « Les terres sont très hétérogènes, elles varient de sableuses à argilo-calcaires, explique Marc Zolver, l'un des trois associés. Le second site d'exploitation, à Bettange, est dominé par 60 ha de prairies humides, voire inondables, valorisées par les animaux. Il s'agit de surfaces non labourables, notre exploitation a donc vocation à être conduite en polyculture-élevage. ». Le système d'exploitation s'est construit progressivement au rythme des augmentations de quota successives avec, pour point de départ, l'installation de Marc en 1994. Il succède à son père, sans période d'association préalable, sur une structure de 120 ha et 200 000 litres de quota laitier.
« NOUS AVONS SURDIMENSIONNÉ LES INSTALLATIONS »
L'éleveur a alors 22 ans. Il obtient une rallonge de 20 000 l de lait et son projet d'installation inclut la construction d'une stabulation paillée de 1 200 m2 et d'une salle de traite 2 x 5 places en tandem, en remplacement de l'étable entravée. « Il s'agissait d'une stabulation non bétonnée pour laquelle l'ajout de travées représentait alors un coût modéré. J'ai donc décidé d'anticiper sur l'avenir en construisant un bâtiment capable d'accueillir 30 vaches supplémentaires. » Son frère Gilles, de trois ans son cadet, le rejoint en 1997, date à laquelle ils fondent le Gaec du Vieux Noyer, en l'honneur du vieil arbre qui domine le siège de l'exploitation à Obervisse. « Pour pouvoir m'installer et créer le Gaec avec mon frère, j'ai eu la possibilité de reprendre une ferme du village comprenant 38 ha de SAU et 60 000 l de lait, se souvient Gilles. À l'époque, je n'ai pas obtenu de quota supplémentaire, car la surface en Scop était jugée trop importante pour bénéficier d'une rallonge. » Le premier programme d'investissement consenti par les deux jeunes associés correspond à la mise aux normes réalisée entre 1999 et 2000. Dans le cadre du PMPOA 1, elle aboutit à la construction d'une fosse à purin de 500 m3 et d'une fumière de 450 m3. « Cet investissement a été conçu pour stocker les effluents d'un troupeau de 70 laitières, explique Marc. Nous l'avons volontairement surdimensionné pour préparer l'évolution future de l'exploitation. » Parallèlement, un nouveau bâtiment pour les génisses est construit, contigu à la stabulation des laitières de sorte qu'un couloir d'alimentation couvert sépare les deux catégories d'animaux. En 2001, la nursery sort de terre en prolongement du bâtiment.
Trois ans plus tard, la pertinence du surdimensionnement de l'outil va trouver sa concrétisation avec l'arrivée d'un troisième associé. Il s'agit du beau-père de Gilles, Marc Fieuvet. « Ce rapprochement permettait d'éviter l'obligation de mise aux normes de mon élevage », explique-t-il. Le Gaec s'agrandit avec les 117 ha de SAU et les 200 000 l de quota laitier de son exploitation, localisée à 15 km de là sur la commune de Bettange. Sa stabulation sera convertie en bâtiment dédié à l'élevage de taurillons, d'une capacité de 110 places à l'engrais.
« L'INTENSIFICATION POUR OPTIMISER LES PLACES DANS LE BÂTIMENT »
Si la polyvalence des associés leur permet de prendre une semaine de congé par an et de se libérer un dimanche sur deux, chacun a néanmoins pris en charge la responsabilité d'un atelier spécifique : à Marc le troupeau laitier, à Gilles la conduite des cultures et à Marc Fieuvet l'atelier des taurillons. Toute la production laitière est concentrée à Obervisse sur l'exploitation familiale des deux frères, où les capacités de stockage des effluents sont suffisantes pour réaliser le nouveau droit à produire. Cependant, pour absorber l'accroissement de la taille du troupeau, l'aire paillée est transformée en stabulation de 68 logettes et la salle de traite rallongée pour accueillir 2 x 6 postes. « Le passage aux logettes ne s'est pas fait sans casse dans le troupeau, se souvient Marc. C'est la pose des matelas et des tapis dans les allées, trois ans plus tard et pour un montant de 28 000 €, qui a finalement permis de résoudre les problèmes de fréquentation des logettes et les accidents, sources de boiteries. » L'année 2008 correspond à l'achat d'un Dac, mais aussi à la contractualisation d'un « arrêt Ballman » avec un producteur voisin (aujourd'hui âgé de 58 ans) détenteur d'un quota de 120 000 l. Ce dispositif lui permet de loger son troupeau sous le bâtiment et d'utiliser les moyens de production du Gaec, moyennant un bail calculé au prorata du litrage réalisé, sur les frais d'élevage. Les associés peuvent, de leur côté, optimiser les places disponibles dans leurs nouvelles installations. Cette capacité d'adaptation à l'accroissement progressif du troupeau est liée non seulement au surdimensionnement initial des installations, mais aussi à l'intensification de la productivité laitière qui a progressé de plus de 3 000 l/vache depuis l'installation de Marc pour atteindre 9 000 l/vache/an.
« UN LAIT DE QUALITÉ SUR TOUS LES CRITÈRES »
La logique de l'intensification laitière est un objectif clairement affirmé pour pouvoir produire un quota en évolution permanente dans un bâtiment limité à 68 places. Lors de l'exercice 2011-2012, pour réaliser la totalité du droit à produire qui s'élève, après attributions et rallonges de la campagne, à 524 953 l (hors arrêt Ballmann), les associés chargent toutes les logettes disponibles et activent le levier de la productivité individuelle par les concentrés. « À travers l'individualisation de la ration permise par le Dac, nous cherchons à optimiser le pic de production, puis à prolonger la persistance des lactations. Le niveau d'étable a ainsi atteint au contrôle laitier 10 083 kg/VL, mais nous sommes montés trop haut en quantité de concentrés avec les vaches en fin de lactation que nous avons taries vers 15 l. »
« LE DAC PERMET D'INDIVIDUALISER LA RATION »
Les pratiques de rationnement reposent sur la ration semimélangée distribuée à l'auge. L'exploitation est autonome en fourrages, un résultat obtenu grâce notamment à une bonne valorisation des surfaces en prairies permanentes (6,5 t de MS/ha) incorporée dans la ration des laitières et des taurillons sous forme d'ensilage, mais aussi exploitées au pâturage par les génisses. Les laitières disposent de 16 ares de pâture par vache à proximité des bâtiments. « Cette surface ne permet pas de fermer les silos au printemps, mais c'est une pratique essentielle pour la santé du troupeau », insiste Marc. Dès le mois d'août, les vaches reçoivent une ration hivernale équilibrée à 28 kg de lait et composée de 8,5 kg de MS de maïs ensilage + 3 kg d'ensilage d'herbe de prairie permanente + 2 kg d'enrubannage de luzerne + 2 kg d'orge + 2,8 kg de correcteur azoté + 2,2 kg de mash + 100 g de bicarbonate + 250 g de minéraux. La complémentation individuelle est assurée au Dac avec un concentré de production de type VL et du mash. Au cours de cet exercice, la consommation s'élève à 2,7 t de concentrés/ vache (272 g/l). Le coût de concentré de 69 _/1 000 l reste néanmoins assez proche de la moyenne départementale de 0,62 €. La maîtrise des taux de matière utile (39,8 de TB et 33,2 de TP), du niveau cellulaire (226 000 leucocytes/ml) et plus largement la qualité bactériologique du lait autorisent une bonne valorisation du lait collecté. Les primes à la qualité versées par Sodiaal se traduisent par un prix payé aux éleveurs de 346 €/ 1 000 l pour un prix de base de 323 €.
« VERS UN MEILLEUR ÉTALEMENT DE LA PRODUCTION »
La recherche de la pleine expression du potentiel laitier en début de lactation a néanmoins entraîné des pertes d'état importantes chez certains animaux qui ne sont pas sans conséquences sur les résultats de reproduction : 2,9 inséminations par vache en moyenne et 41 % du troupeau avec plus de trois IA. Différentes pistes sont d'ores et déjà mises en oeuvre pour corriger cet amaigrissement excessif constaté en début de lactation. Dix jours avant vêlage, les génisses intègrent le troupeau pour améliorer l'efficacité de la transition alimentaire. Pendant 40 jours suivant la mise bas, les vaches reçoivent désormais un complément de 100 g de propylène glycol au Dac. « Nous allons aussi intégrer davantage de maïs grain autoproduit en substitution du mash et de l'orge. Cette pratique vise à augmenter la concentration énergétique de la ration sans recours aux concentrés du commerce, avec un aliment dont la valeur est supérieure à celle de l'orge. Le maïs présente aussi une source d'amidon lent plus favorable à la maîtrise des risques métaboliques. L'enjeu est de limiter la perte d'état pour améliorer la réussite de l'insémination, mais pas nécessairement de réduire l'IV-V (399 jours) pour atteindre l'objectif d'un veau sevré/ vache/an. » L'augmentation de l'intervalle V-IA fécondante (104 jours) pour permettre aux fortes productrices une reprise d'état satisfaisante avant mise à la reproduction, a d'ailleurs eu pour effet un étalement des vêlages, donc une plus grande linéarité des volumes de lait livrés répondant à l'enjeu de la saisonnalité. Ainsi, l'écart entre la livraison mensuelle la plus haute et la plus basse est de 20 %. « Cette régularité est aussi permise par des lactations longues et des tarissements de 45 jours. » Le taux d'échec important à l'insémination exprime cependant la difficulté de maîtriser ces pratiques. Les éleveurs n'ont d'ailleurs pas réussi à caler leur production avec les déclarations enregistrées sur l'outil prévisionnel de livraisons mis en service par leur coopérative. « Pour bénéficier d'une prime de 5 €/1 000 l, il faut déclarer trois mois à l'avance les volumes livrés pour le trimestre, avec une marge d'erreur de 1 %. C'est une marge trop restrictive. Un changement de silo, une augmentation de la température ou deux mammites fait sortir la prévision des clous. » Les deux éleveurs ne semblent pas se satisfaire de la routine et portent toujours leur regard plus loin pour faire évoluer leur entreprise. « Mon frèrea 37 ans et moi 40. Nous ne sommes pas à un âge où l'on envisage de "laisser couler" jusqu'à la fin de carrière. »
« NOUS N'AVONS PAS ATTEINT NOTRE RYTHME DE CROISIÈRE »
Symbole de ce dynamisme, en 2012, ils ont investi 160 000 € dans l'installation de quatre cellules de stockage des céréales pour une capacité de 1 200 t. « Les céréales représentent près de la moitié de notre revenu et un quart du temps de travail. Cet investissement simplifie l'organisation de la récolte et doit servir à mieux valoriser le prix du grain, en facilitant la vente au prix de marché, explique Gilles. Concernant la production laitière, nous devons trouver un rythme de croisière que les évolutions successives de l'atelier n'ont pas réellement permis de stabiliser depuis notre installation. Dans tous les cas, même si nous bénéficions d'un potentiel céréalier plus que correct, l'élevage est complémentaire de notre structure d'exploitation. Pour l'instant, nous n'avons jamais envisagé d'arrêter cette production. Éleveur laitier reste notre métier ! »
JÉRÔME PEZON
Une situation très hétérogène L'exploitation bénéficie d'un bon potentiel agronomique, mais aussi des terres hydromorphes destinées à être valorisées en prairie naturelle.
La salle de traite « Il faut deux heures pour traire le troupeau. La salle de traite 2 x 6 est à pleine capacité et ne durera pas toute notre carrière. En fonction de l'évolution de l'exploitation, nous gardons à l'esprit l'éventualité d'investir dans un robot. »
Investir pour être au plus près des prix du marché. En 2012, les associés ont investi dans quatre cellules de stockage des céréales d'une capacité de 300 tonnes chacune.
Sécuriser la ration. Pour réduire le coût de la complémentation azotée et apporter des fibres, les éleveurs ont implanté une part croissante de luzerne dans l'assolement, récoltée sous forme d'enrubannage.
Sevrage précoce pour vêlage précoce. Sevrés à 80 jours en moyenne, les veaux sont nourris au Dal avec un complément de paille à volonté et d'aliment dès la première semaine de vie.
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