La justice déboute l’éleveur contre Enedis

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Alain Crouillebois dans son étable
Alain Crouillebois a été débouté en appel, après que le tribunal d’Alençon (Orne) a reconnu le lien entre l’installation d’une ligne électrique enterrée et la dégradation de la santé de son troupeau. (© J.Pezon)

Dans le litige qui l’oppose à Enedis pour les perturbations électriques affectant son troupeau, Alain Crouillebois avait bénéficié d’une première décision de justice favorable. La cour d’appel de Caen en a jugé autrement.

Il est de ces évènements que l’on ne maîtrise pas et qui bouleversent toute une vie. C’est l’histoire qui est arrivée à Alain Crouillebois, installé en 1997 dans l’Orne, cinquième génération d’éleveurs à la ferme du Petit Quincé. Après des années d’une véritable descente aux enfers, il tente de faire reconnaître en justice le lien entre la dégradation du comportement et de la santé de son troupeau et l’installation d’une ligne électrique.

Tout commence en 2011, lorsqu’Enedis procède à l’enfouissement de la ligne électrique qui traverse la ferme, raccordée à un transformateur de 20 000 volts installé à moins de 20 mètres d’une stabulation de 70 laitières en traite robotisée. Progressivement, le comportement des animaux change. Les vaches se regroupent dans une partie du bâtiment, elles rechignent à aller au robot de traite où elles ne mangent plus leur ration de concentré, les veaux ne vont plus boire au Dal. La production laitière chute inexorablement et les mammites se multiplient. Des veaux anémiés sont euthanasiés avec des taux d’hématocrite très bas. Face à une situation alors inexpliquée, Alain se remet en question : recalibrage de rations, conception d’un système de circulation contrainte au robot, prises de sang, autopsies, contrôle des panneaux électriques et mise à la terre de toutes ses installations… Rien n’y fait !

« Pas le choix de continuer pour régler les dettes »

Pour tenter de sauver sa ferme, l’éleveur ne compte plus ses heures, alors que les dettes fournisseurs s’accumulent, jusqu’à 200 000 €. « Je travaillais du matin 4 heures jusqu’au soir à pousser les vaches une par une au robot, à faire les traitements et à devoir jeter tout ce lait pendant que le travail de plaine n’avançait pas. La banque m’appelait toutes les semaines, menaçant parfois de supprimer le chéquier. Au quotidien, je fonctionnais uniquement par avance court terme de trésorerie : avance sur les aides Pac, sur les emblavements en blé ou les ventes de taurillons », raconte Alain. Il ne cache pas avoir fait deux tentatives de suicide et un court passage en psychiatrie à cette époque : « Je n’avais pas le choix de continuer le lait, il y avait des dettes à régler et la sole en céréales n’était pas suffisante pour compenser. »

Après avoir tout envisagé, l’éleveur prend conscience que la modification du comportement du troupeau a commencée avec l’enfouissement de la ligne électrique. Il contacte Enedis et un protocole GPSE (Groupe permanent pour la sécurité électrique) est mis en place en 2017. Dans ce cadre, un vétérinaire de l’école de Nantes (Loire-Atlantique) fait un audit de l’élevage et formule des recommandations purement techniques : installation de balais sur les racleurs, ventilation, calfeutrage du bardage en nurserie… Naturellement, la situation ne s’améliore pas. Las, Alain prend les choses en main : il ose une coupure de ligne qui confirme son intuition. Puis, à ses frais (65 000 €), il fait déplacer la ligne et le transformateur. Les travaux sont achevés en juin 2019 par la connexion du nouveau réseau aérien à près de 200 mètres de la ferme.

« J’ai sauvé ma ferme, mais bousillé ma vie de couple »

Avec le transfert de la ligne, la situation se redresse progressivement, comme l’indique un rapport de visite du praticien d’élevage dès janvier 2020 : « Au cours des trois semaines de janvier, la production laitière est passée au-dessus de 31 kg de lait par vache. Si l’amélioration de la production est progressive sur les trois derniers mois, l’amélioration du comportement du troupeau s’est manifestée peu de temps après le déplacement du transformateur. » Concrètement, la morbidité des veaux recule, les vaches retournent au robot, se réapproprient la stabulation et le lait, comme leur état corporel, retrouvent presque leur niveau d’avant 2011. Résultat, les livraisons progressent chaque année pour atteindre 645 890 litres lors de la dernière campagne 2023-2024. L’amélioration du revenu a permis le recrutement d’un salarié à temps plein. « Lorsque les problèmes ont commencé, j’avais 44 ans. J’ai maintenant 57 ans, j’ai sauvé ma ferme, mais j’ai bousillé ma vie de couple. Mon épouse m’a beaucoup soutenue, mais elle a fini par craquer et par me quitter. Pour mes cinq enfants, cette épreuve a été un traumatisme. »

Profitant d’être sur un terrain privé, l’éleveur a fait déplacer la ligne électrique enterrée et le transformateur installés à quelques mètre de la ferme, à 200 mètres en raccordement aérien. (© J.Pezon)

C’est pourquoi Alain ne comptait pas en rester là. En se basant sur la concomitance entre l’amélioration de la santé du troupeau et le déplacement de la ligne électrique et du transformateur, il a mené une action en justice contre la société Enedis, avec maître François Lafforgue, avocat de l’Anast (Association nationale des animaux sous tension). Il réclame à l’opérateur 1 million d’euros aux titres des pertes de marges estimées par le centre de gestion, mais aussi en dédommagement du préjudice moral.

« Payer c’est reconnaître le jugement »

Après plus de dix ans de combat, le 7 novembre 2022, le tribunal d’Alençon (Orne) lui donnait finalement raison : « Après le déplacement de la ligne et du transformateur en 2019, et en l’absence d’autres causes avérées, il convient de déclarer qu’il existe des présomptions graves, précises et concordantes démontrant que le comportement anormal des animaux, leur état de santé et la production laitière diminuée sont la conséquence directe et certaine de l’installation de la ligne souterraine de 20 000 volts à quelques mètres de l’exploitation de monsieur Crouillebois », précise le délibéré. La justice avait alors condamné Enedis à verser 140 000 euros à l’agriculteur pour compenser les pertes de lait induites, le préjudice moral n’ayant pas été retenu.

L’opérateur a bien sûr fait appel de la décision et le 26 juin 2024, c’est la douche froide. La cour d’appel de Caen (Calvados) casse la décision du tribunal d’Alençon, rejetant cette fois le lien « direct et certain » entre l’installation électrique et l’apparition des problèmes d’élevage. L’éleveur est même condamné à payer 53 000 € à Enedis pour les frais de déplacement de la ligne électrique et du transformateur impayés. Le coup est rude, mais Alain semble avoir retrouvé le moral et s’implique même au sein de l’Anast en soutien à d’autres éleveurs concernés. Reste désormais l’option d’un pourvoi en cassation. « Il me reste encore quelques dettes, mais je reprends plaisir à travailler avec mes animaux. Mes parents qui m’ont beaucoup aidé me disent d’abandonner et de payer. Mes enfants, l’aîné à 24 ans, ne veulent plus en entendre parler. Mais payer c’est accepter le jugement, or je ne l’accepte pas. Cela veut dire aller en cassation et engager de nouveau des frais d’avocat. Je ne suis pas encore décidé, je dois évaluer avec mon avocat la possibilité d’y aller et mes chances de parvenir à une issue favorable. »

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