Les jeunes éleveurs se prélèvent moins de 1 500 €/mois, les cédants moins de 1 000 €

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Jeune éleveuse et vieil éleveur de vaches laitières
Des évolutions sont perceptibles au sein de la jeune génération : l'élevage est bien sûr une passion, mais avant tout un métier, dont elle veut pouvoir vivre. (©Josep Curto, Adobe Stock)

D’après l’Observatoire Innoval 2025 du métier d’éleveur, près de 40 % des personnes installées depuis moins de 10 ans et 35 % des producteurs de plus de 50 ans seraient dans cette situation.

« En début de carrière, les prélèvements privés sont logiquement plus faibles, il faut lancer l’activité, investir, se développer », commente la coopérative. Cela ne semble pas si logique que ça, en revanche, pour les jeunes agriculteurs : seuls 20 % sont satisfaits de se prélever 1 000 à 1 500 €/mois comme près de 40 % des jeunes installés depuis moins de 10 ans ayant participé à l’Observatoire Innoval 2025 du métier d’éleveur (1 720 répondants au total). Initiée il y a quatre ans pour « anticiper l’avenir », cette enquête annuelle porte, cette édition, sur le revenu en élevage, et plus précisément sur cette question : comment le sécuriser pour mieux vivre de son travail d’éleveur.

Un sujet tabou, peu en parlent, or c’est leur deuxième préoccupation.

47 % des éleveurs non satisfaits de leur revenu

« Les agriculteurs n’ont pas l’habitude de parler de ce sujet. En France, et en agriculture en particulier, c’est encore très tabou », souligne Innoval. Il s’agit pourtant de leur deuxième préoccupation, tant aujourd’hui qu’à horizon 2035, ressortie de l’Observatoire en 2023, derrière la qualité de vie, thème choisi l’an dernier pour l’étude, et devant l’autonomie. Cette année, 47 % seulement des producteurs interrogés se satisfont du revenu qu’ils parviennent à dégager, au vu du temps consacré à leur activité, plus de 55 h/semaine en moyenne, incluant les week-ends, les jours fériés… Beaucoup estiment que, vu les heures passées, ils devraient gagner plus !

Vu les heures passées, le niveau de risque et les charges qui augmentent, je devrais gagner plus !

D’autant que les risques financiers et le capital investi sont de plus en plus importants. Et, même si les prix du lait et de la viande se sont améliorés, la plupart considèrent que les charges ont progressé davantage : « Tous nos prestataires augmentent leurs prix. Notre revenu, lui, n’évolue pas. » En effet, il est stable depuis plusieurs années pour 60 % des enquêtés et 55 % ne savent pas s’il le restera au cours des cinq prochaines. L’illustration « d’un manque de visibilité » flagrant résultant, pour 86 % d’entre eux, de la fluctuation des cours. Loin devant les aléas climatiques (57 %), puis sanitaires (36 %) et les annuités/remboursements (29 %).

Grande disparité entre élevages

60 % se disent malgré tout optimistes quant à l’avenir, un pourcentage similaire aux précédentes éditions et qui grimpe fortement chez les jeunes générations. 50 % préfèrent toutefois maintenir la taille de leur cheptel. « Il faut distinguer revenu et prélèvements privés, exhorte Innoval. De nombreux exploitants ne font pas cette distinction mais les prélèvements privés ne sont qu’une composante du revenu, la différence entre les deux représente la somme disponible pour investir. Ils sont liés à la trésorerie qui, elle, n’a pas de lien avec le revenu, mais sont décorrélés de la performance. »

Distinguer revenu et prélèvements privés.

L’Observatoire montre une grande disparité des prélèvements privés, qui se situent entre 1 500 et 2 000 €/mois pour 29 % des participants, 1 000 à 1 500 € pour 27 %, et sont inférieurs à 1 000 € pour 18 %, vont de 2 000 à 2 500 € pour 15 %, de 2 500 à 3 000 € pour 6 % et dépassent 3 000 € pour 5 %. Ils sont cependant plus élevés pour les éleveurs de vaches laitières, non spécialisés puis spécialisés, que de bovins viande. « Quelle que soit la production, les producteurs aimeraient qu’ils soient supérieurs de 500 à 1 000 € », a constaté la coopérative qui a ouvert cette année son enquête aux adhérents qui élèvent des vaches allaitantes et des caprins.

Observatoire du métier d'éleveur Innoval
(© Innoval)

Les jeunes privilégient la technique

L’analyse plus fine de ces chiffres permet d’identifier trois groupes d’éleveurs, qui correspond chacun à un tiers de l’échantillon : « les jeunes installés ambitieux, les expérimentés satisfaits et les expérimentés désenchantés ». Trentenaires, les premiers ont eu « une autre expérience dans le secteur agricole avant leur installation », qui date de moins de 10 ans, et affichent un certain optimisme pour la décennie à venir, même s’ils ne prévoient pas d’accroître leur cheptel. Comme évoqué plus haut, 38 % se prélèvent 1 000 à 1 500 €/mois, une déception pour 82 % d’entre eux.

Pour sécuriser ou améliorer cette situation, ils cherchent à « maximiser les produits, à travers la conduite technique du troupeau, l’amélioration de la productivité des animaux entre autres », sans réduire les charges. Ils agissent peu sur les leviers de gestion financière, à part solliciter des crédits de trésorerie et long terme, « ce qui est classique en début de carrière ». Les remboursements et la gestion des investissements sont les deux points qui pénalisent le plus leur revenu. Dans les années qui viennent, ils prévoient d’optimiser « les frais d’élevage, les charges alimentaires et de mécanisation », gage d’une meilleure autonomie.

Au global, ils privilégient la technique pure par rapport au système ou aux aspects financiers : 93 % misent sur les performances de l’élevage (conduite, productivité), l’alimentation en particulier (coût, autonomie), 59 % la maîtrise des charges, de structures surtout (recherche d’autonomie vis-à-vis des fournisseurs, délégation), 38 % la gestion financière (crédits, rationalisation des investissements, optimisation fiscale), 37 % les actions sur le système (adaptation, simplification, diversification). Ce qui n’est pas totalement en accord avec ce que mettent en œuvre leurs aînés : 88 % tablent sur les performances du troupeau, 80 % la gestion financière, 61 % la maîtrise des charges et 57 % le système.

Observatoire du métier d'éleveur Innoval
(© Innoval)

Les plus expérimentés misent sur l’adaptation du système et la gestion financière

Les « expérimentés satisfaits » (40-59 ans, en place depuis plus de 20 ans), eux aussi optimistes mais sans envisager non plus d’agrandissement, s’octroient à 56 % plus de 2 000 €/mois, 40 % visant un objectif de plus de 3 000 €, et 55 % sont plutôt contents de ce résultat qui, jugent-ils, changera peu d’ici 5-10 ans. Chez eux, l’augmentation des produits implique « une adaptation du système, en cohérence avec les moyens de production ».

Certains réfléchissent à se diversifier, en s’équipant notamment de panneaux photovoltaïques (un quart des répondants le sont déjà, contre 10 % pour les unités de méthanisation, et pour 60 % d’entre eux, cet équipement assure une bonne diversification des revenus et s’avère être un élément de sécurisation : 40 % ont autofinancé un bâtiment et 40 % sont plus autonomes en énergie).

56 % se dégagent plus de 2 000 €/mois.
Observatoire du métier d'éleveur Innoval
(© Innoval)

Les plus de 50 ans très attentistes

Contrairement aux jeunes éleveurs, ils tentent de diminuer leurs charges « grâce à l’optimisation fiscale et sociale, l’épargne pour faire face aux aléas et la maîtrise du coût alimentaire ». En matière de gestion financière, « l’épargne finance tout ou une partie des investissements ». Quant aux charges optimisables à l’avenir, il n’y en a pas, ils pensent « avoir fait le maximum ».

Les « expérimentés désenchantés » enfin ont plus de 50 ans et sont en activité depuis plus de 20 ans également. 36 % se prélèvent moins de 1 000 €/mois, ils abordent l’avenir avec pessimisme et font preuve d’attentisme : ils n’essaient d’influer ni sur les produits, ni sur les charges, ni sur la gestion financière, ni sur les postes optimisables.

Observatoire du métier d'éleveur Innoval
(© Innoval)

« L’enjeu pour la filière est d’accompagner les jeunes éleveurs vers un milieu de carrière plus satisfaisant, où les objectifs sont atteints et les curseurs poussés au maximum, et où un rythme de croisière peut s’instaurer. Ainsi, les éleveurs peuvent profiter du système qu’ils ont construit et en tirer un revenu. » Il faut donc éviter qu’ils ne finissent comme des « expérimentés désenchantés ». Attention, prévient Innoval, « expérimentés satisfaits comme désenchantés » ont tendance à surévaluer leur exploitation au moment de la transmission, les uns pour valoriser l’outil de travail performant dans lequel ils ont énormément investi, les autres pour rattraper le manque de revenu lorsqu’ils étaient actifs, ce qui risque de plomber le repreneur dès le départ.

Un changement culturel s’impose

« Il retombera alors dans les mêmes travers au moment de céder l’élevage, du fait de l’impossibilité de rembourser à la fois le capital et d’amplifier les prélèvements privés, un cercle vicieux ! » « Une partie des éleveurs capitalisent, parfois inconsciemment, pour la retraite (achat de foncier par exemple), appuie la coopérative. Sans apparenter cela à un prélèvement privé, or c’en est un. » « Ils ont tendance à limiter ces derniers, n’osent pas prélever davantage, par manque de visibilité, peur du lendemain, de ne pas avoir suffisamment de trésorerie », poursuit-elle.

D’une logique « capitalisation et investissement »
à une approche « rémunération » et « qualité de vie ».

Les conseils des banques, des centres de gestion, vont dans ce sens pour anticiper les crises, mais aussi pour éviter une trop forte taxation. Plus de prélèvements entraînent plus d’impôts ! Il y a donc cette logique d’investissement pour défiscaliser, qui conduit à s’endetter, et fait baisser le niveau de vie et social. » Sans parler des comptes courants d’associés qui atteignent des « montants astronomiques » et qui sont très difficilement transmissibles.

Innoval appelle à changer cette culture. Des évolutions sont d’ores et déjà perceptibles au sein de la jeune génération, qui a une approche plus entrepreneuriale : l’élevage est une passion, mais avant tout un métier, dont ils veulent pouvoir vivre, eux et leur famille. « Il ne suffit pas d’avoir de beaux animaux et index, ces beaux animaux et index doivent être source de revenu et garantir un salaire digne de ce nom. » Ils entendent également accéder aux loisirs, aux vacances, à une certaine qualité de vie que n’apporte pas un revenu trop bas. Être correctement rémunéré pour son travail amène, en outre, une forme de reconnaissance.

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