Mortalité en série, l’origine identifiée par une mission d’expertise

Article réservé aux abonnés.

Les éleveurs soupçonnaient l'eau d'abreuvement des animaux d'être contaminée en amont de l'élevage. Il s'est avéré que l'eau était bien contaminée mais par des matières fécales liées à l'élevage du fait d'un manque d'hygiène. (© Cédric FAIMALI/GFA)

Le vétérinaire Lionel Grisot, tel Sherlock Holmes, est allé, mandaté par un assureur, enquêter dans un élevage à la suite d’un épisode de mortalités en série. Les éleveurs avaient identifié l’eau d’abreuvement, les résultats de l’enquête donneront un tout autre résultat.

Dans le cadre d’une mission mandatée par un assureur, Lionel Grisot, vétérinaire à Frasne (Doubs), est amené à intervenir dans un élevage laitier de moyenne montagne, livrant son lait à une fromagerie utilisant du lait cru pour la production de pâte pressée non cuite. L’élevage a perdu huit veaux et vaches en quatre mois, et six vaches malades également ont, elles, guéri. Les éleveurs considèrent que les maladies et les mortalités sont imputables soit à une mauvaise qualité de l’eau d’adduction fournie par le syndicat des eaux intercommunal, soit à une intoxication provoquée par le système de traitement de l’eau, interne à l’élevage, installé par la fromagerie. Cette dernière avait déjà eu des soucis de qualité sanitaire du lait, préjudiciable à la fabrication des fromages et avait donc installé à ses frais un système de traitement de l’eau pour toute l’exploitation (abreuvement des animaux, salle de traite…). Lionel Grisot intervient alors à l’image d’un Sherlock Holmes pour tenter de comprendre l’origine de ces animaux malades et morts.

Observer les animaux et le bâtiment

En arrivant sur l’exploitation, qui comprend 125 bovins dont une soixantaine de vaches laitières, il observe déjà leur état. Les vaches sont conduites alternativement en pâturage estival et en stabulation libre avec logettes individuelles à la saison hivernale. « D’une manière générale, leur état d’entretien n’est pas optimal tant chez les adultes que chez les jeunes. La plupart d’entre elles présentent un amaigrissement et une conformation très moyenne. Des retards de croissance s’observent chez certains jeunes », constate-t-il. Surtout, il remarque un état de propreté des animaux médiocre, lié à une forte densité par lots et une insuffisance de nettoyage, curage et paillage des locaux. Certaines femelles semblent de visu carencées et anémiées. La production n’est pas à la hauteur de la génétique du troupeau, ce que confirment les éleveurs. Après ce premier constat, le vétérinaire s’est intéressé au bâtiment et, là encore, il soulève un problème de place et d’hygiène. Un seul bâtiment regroupe l’ensemble des animaux. Les vaches laitières et taries sont logées d’un côté de ce bâtiment, comprenant des logettes paillées et des couloirs bétonnés et raclés.

Le jour de la visite, les logettes sont paillées mais le fumier s’accumule dans les couloirs. Les abreuvoirs sont, eux, paradoxalement, particulièrement propres. Les éleveurs ont été sensibilisés tôt par leur vétérinaire traitant à l’importance d’une eau de qualité. Les jeunes animaux sont séparés par lots plus ou moins homogènes et logés dans des boxes sur aire paillée. Mais ces derniers apparaissent sous-dimensionnés par rapport au nombre d’animaux. « D’ailleurs, c’est parmi les jeunes animaux que les retards de croissance et un état de sous-nutrition chronique sont les plus manifestes », commente le vétérinaire. Là encore, l’hygiène n’est pas au rendez-vous. Lionel Grisot continue son analyse et s’intéresse aux extérieurs et particulièrement à la gestion des effluents. Le lieu de stockage du fumier est proche du bâtiment, sans protection des intempéries, ce qui conduit à des écoulements importants en direction des zones de passage des animaux entre le bâtiment et le pâturage, voire à une accumulation au début de la zone de pâturage. Il n’existe pas non plus de clôture ou de barrière limitant l’accès des animaux au lieu de stockage des effluents.

Un problème d’hygiène et de malnutrition

« Tout cela fait penser qu’une contamination récurrente des animaux par des germes d’origine fécales est très vraisemblable. D’autant plus que le pica, ce comportement des animaux carencés à aller lécher ou consommer ces écoulements, est très probablement présent au vu de l’état des animaux », analyse Lionel Grisot. Il soupçonne donc plutôt des conditions d’élevage non optimales à l’origine de la mortalité du troupeau plutôt qu’un problème de qualité d’eau d’adduction.

Des analyses d’eau issue des abreuvoirs montrent des contaminations par des matières fécales. « Mais les prélèvements ont été réalisés dans les abreuvoirs et non au niveau de l’arrivée d’adduction d’eau », relève Lionel Grisot. Des prélèvements réalisés par l’Agence régionale de santé et par les éleveurs eux-mêmes en amont montrent à l’inverse une eau conforme. La contamination a donc bien lieu après, dans les bâtiments. Cette hypothèse était aussi confirmée par un traitement systématique au chlore de l’eau d’adduction, à l’arrivée sur l’exploitation, laissant peu de place à une possible contamination des animaux par cette eau. « La conclusion de cette première enquête montrait que l’eau d’adduction n’était pas à l’origine de la problématique sanitaire de l’élevage et de la mortalité des animaux. A contrario, l’hypothèse la plus plausible était que les conditions et pratiques d’élevage puissent être favorables à l’émergence de certaines pathologies. En interrogeant les éleveurs et en observant l’environnement, l’hypothèse d’une intoxication alimentaire a été vite écartée dans la mesure où aucun minéraux ou végétaux toxiques n’était présent dans l’environnement », continue Lionel Grisot. Il restait donc à questionner… les animaux morts.

Heureusement, des autopsies avaient eu lieu, montrant, selon les conclusions « des lésions évocatrices d’atteintes hépatiques et rénales gravissimes et d’évolution rapide, une vacuité intestinale et un ictère prononcé ». Les symptômes des vaches atteintes étaient similaires pour toutes : apathie, léthargie, chute drastique et durable de la production laitière, hémolactation (1) plus ou moins marquée, anorexie, hypothermie, anémie et ictère (2) plus ou moins prononcé, présence de sang dans les urines, urines nauséabondes et mousseuses, diminution des fonctions digestives, épreintes (3) sans émission de selles, faiblesse extrême, voire paralysie, conduisant plus ou moins rapidement à la mort.

Recherche de parasites et d’agents infectieux

Pour le vétérinaire, il s’agissait donc d’aller chercher du côté des parasites et autres agents infectieux. Des investigations qui ont donné des résultats.

Ainsi ont été retrouvés Anaplasma phagocytophilum, responsable de l’ehrlichiose bovine, des babésioses (transmission par les tiques), de la leptospirose (transmission par l’urine des rongeurs) et la présence de Clostridium perfringens à l’origine d’entérotoxémie. « Son action ne peut être écartée quant à la mort rapide de certains animaux. La bactérie est latente dans l’estomac des bovins. Elle se développe sur des animaux carencés soumis à un stress physiologique relativement rapide et intense », explique Lionel Grisot. D’autres espèces du genre Clostridium, mais dont les traces n’étaient pas retrouvables faute de recherche au moment de la mort de l’animal, ont pu aussi jouer un rôle dans ces morts rapides. Le soupçon s’est porté aussi sur le virus BVD-MD dont l’action immunodépressive peut-être déterminante dans certains cas.

Un bâtiment lumineux, bien ventilé et propre, avec des lots homogènes et une gestion des effluents efficaces permet de réduire considérablement les risques de pathologie et de parasitisme. (© Claudius THIRIET)

Côtés parasites, Fasciola hepatica responsable de la fasciolose avait été retrouvé lors d’une autopsie. Paramphistomum daubneyi, responsable de la paramphistomose, avait déjà été détectée en 2016 dans l’élevage à la suite d’un épisode de mortalité. La présence de Dicrocoelium lanceolatum, responsable de dicrocœliose ou petite douve du foie (insuffisance hépatique chronique), est aussi à imaginer au vu des lésions lors des autopsies. Enfin, d’autres parasites ont pu faire des dégâts importants chez les animaux, mais le vétérinaire habituel avait déjà mis en place un traitement limitant sûrement leur détection au moment du passage de Lionel Grisot, plusieurs mois plus tard.

Une démarche participative

La série de mortalité vécue par l’élevage n’avait donc pas pour origine la qualité de l’eau d’adduction, mais bien des conditions et une conduite d’élevage inappropriées. Des traitements ont été mis en place, comme la vaccination contre l’entérotoxémie. Les éleveurs, au fur et à mesure de l’expertise, en lien avec le vétérinaire traitant, ont pu prendre conscience que leur hypothèse de départ n’était pas la bonne et réfléchir aux causes réelles de cet épisode de mortalité (hygiène, sous-nutrition, gestion des effluents, parasitoses, etc.). Les dommages pour l’exploitation ont été évalués à environ 13 000 €. Près de 1 200 € d’analyses ont été pris en charge par l’assureur pour achever la mission d’expertise.

Cependant, les éleveurs n’ont pas été indemnisés en deçà des frais d’analyses. « Les mortalités et morbidités observées étaient en réalité consécutives à l’émergence et à l’action d’agents pathogènes au sein du cheptel et cela, avec d’autant plus d’acuité que nombre de facteurs de risque et de bonnes pratiques d’élevage y étaient peu ou mal maîtrisés », conclut Lionel Grisot.

(1) Hémolactation : présence de sang dans le lait de vache

(2) Ictère : coloration jaune de la peau et des muqueuses, révèlant la présence de pigments biliaires dans les tissus.

(3) L’épreinte est une douleur abdominale, de type colique, s’accompagnant d’une contraction douloureuse et répétitive de la partie terminale du côlon et du rectum s’achevant par une envie, pressante et impérieuse, d’aller à la selle, mais sans évacuation.

Source : Lionel Grisot (2024), « Un exemple de mission d’expertise : mortalités en série dans un cheptel bovin laitier et mise en cause du syndicat des eaux ». Recueil des journées nationales des GTV, SNGTV 2024, pp. 451-460.

Réagir à cet article
Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

Monitoring

Tapez un ou plusieurs mots-clés...