Rebondir malgré de graves difficultés

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Geoffrey et Jonathan Forge du Gaec des Forges (Loire) dans leur nouvelle salle de traite, une 2X9 lumineuse construite en 2012 qui a considérablement amélioré leurs conditions de travail.
Geoffrey et Jonathan Forge du Gaec des Forges (Loire) dans leur nouvelle salle de traite, une 2X9 lumineuse construite en 2012 qui a considérablement amélioré leurs conditions de travail. (© A.Brehier)

Au bord de la liquidation judiciaire il y a une douzaine d’années, Jonathan Forge et son frère Geoffrey ont su remonter la pente en tissant un partenariat efficace avec un conseiller d’élevage. Aujourd’hui, leur exemple est une référence.

À cause d’un montant de reprise de l’exploitation trop élevé, d’une productivité insuffisante du troupeau et de sérieux problèmes de santé (un rein en moins pour Jonathan, maladie de Guillain-Barré pour Geoffrey), Jonathan et Geoffrey Forge, du Gaec des Forge à Bussy-Albieux (Loire), ont été confrontés à de graves difficultés. « Quand Jonathan m’a contacté le 14 janvier 2011, l’exploitation était sur un mauvais chemin, explique Dominique Tisseur de Loire Conseil Élevage. Alors qu’elle disposait d’un quota de 266 000 litres de lait, elle n’en livrait que 200 000. Malgré leur potentiel génétique, mais faute d’achat d’aliment, les 55 vaches ne produisaient chacune que 4 000 litres par an. Les conditions d’hébergement des animaux étaient précaires : les laitières mangeaient derrière un fil, sans toit au-dessus de leur tête. Construite en 1990 par l’ancien propriétaire, l’aire paillée n’avait pas de fosse. La salle de traite (2 x 3, augmentée à 2 x 5 sans décrochage automatique) était obsolète et la durée de traite longue. »

Seul avec le troupeau, jusqu’à l’installation de son frère en 2019, Jonathan manquait de repères et de base d’analyse. « Un marchand d’aliment me faisait la ration, précise ce dernier. Il n’y avait pas de suivi technique sur le troupeau. À la saison de l’irrigation, il fallait se couper en deux. Je n’y arrivais plus. L’arrêt de collecte menaçait. »

Le cheptel a augmenté en passant de 67 mères en 2015 à 93 en 2022, pour des coûts de production en très légère hausse, avec une productivité nettement amélioré. ( © A. Brehier)

Refaire des rations efficaces

Heureusement l’exploitation disposait d’un parcellaire efficace et de sols lourds drainés et irrigués (80 ha sur 144 ha) au très un bon potentiel agronomique : 15-16 t de MS/ha pour le maïs implanté derrière une orge. Autre atout : les éleveurs, très bons en mécanique et en cultures, aimaient leur métier. Pour rentrer de l’argent, la priorité a consisté à revendre certains matériels et surtout à refaire des rations efficaces pour produire du lait en récoltant des fourrages de qualité et en réintroduisant du tourteau.

Un travail de fond a été mené pour redonner une cohérence globale technico-économique au système de production (nombre de vaches, lait par vache, lait par ha et par UMO, âge des génisses…). En 2012, alors que l’exploitation commençait à remonter la pente et que Geoffrey avait rejoint son frère trois ans plus tôt, une stabulation paillée aux normes a été construite. Équipée d’une aire de raclage derrière les cornadis (sans robot racleur), elle dispose d’une capacité de 80 vaches et d’une salle de traite 2 x 9. Pour financer l’investissement, il a fallu trouver une nouvelle banque (le CIC en l’occurrence) – l’ancienne ne voulant plus suivre – et convaincre. Au premier rendez-vous de la banque, Geoffrey, paralysé pendant un an à cause de la maladie de Guillain-Barré, est venu en fauteuil roulant.

Les vaches sont logées dans un bâtiment simple mais efficace. ( © A.Brehier)

Apport précieux d’un outil de monitoring

Sur l’exploitation, encore jeune dans sa constitution, tout a dû être recréé. Les deux frères ont bossé durement. Les résultats ont suivi. « En dépensant un peu plus entre 2015 et 2021 (les achats d’aliment ont été multipliés par deux), on a triplé le revenu disponible, détaille Dominique Tisseur. À partir de 2017, on a engraissé les réformes, on a fait des taurillons (35 par an) et des bœufs de 3 ans (10 par an). Les veaux noirs ne valaient rien. Les bœufs sont produits à l’économie (pâture et ensilage d’herbe avec un peu de farine), ils valorisent les prairies permanentes et les refus des vaches. Le coproduit viande réalisé avec des bâtiments amortis et une alimentation peu coûteuse a amélioré grandement la marge de l’atelier lait. À l’époque alors que tout le monde arrêtait les taurillons, nous nous sommes battus pour les garder. »

À partir de 2017, les éleveurs ont engraissé les réformes, fait des taurillons (35 par an) et des bœufs (10 par an). ( © A.Brehier)

L’introduction d’un outil de monitoring en octobre 2021 a constitué une révolution sur les plans technique (reproduction et production laitière) et humain. Outre la détection des chaleurs, des vêlages, des troubles de reproduction, Medria enregistre l’activité des vaches, la rumination et l’ingestion. Le suivi sanitaire et nutritionnel a eu immédiatement des impacts positifs. « En novembre 2021, les inséminations n’ont pas arrêté (une trentaine en un mois !), se souvient Geoffrey. Les vaches qui traînaient depuis des mois, revenaient en chaleur. Compte tenu de notre charge de travail, on perdait de la vitesse sur la reproduction. C’était notre point faible. » Les indicateurs Medria, équivalents à ceux d’un robot, ont apporté beaucoup de précision et de régularité dans la conduite du troupeau. « On vérifie que la vache répond au système qu’on a calé, ce qui évite de déraper et permet de gagner en efficacité économique », souligne Geoffrey. Des pratiques ont été revues. À la suite du constat de décalage d’ingestion, les horaires de distribution de l’alimentation ont été ajustés. Le matin, la distribution du bol a été avancée de deux heures, à 7 heures au lieu de 9 heures. Les vaches mangent désormais en sortant de la traite.

Soutenus par Solidarité Paysans et accompagnés efficacement par Dominique Tisseur de Loire conseil élevage, Geoffrey et Jonathan Forge ont pu remonter la pente. Medria, l'outil de monitoring a aidé l'augmentation de la production laitière. ( © A. Brehier)

Passer de 4 000 à 8 000 kg de lait par vache

Les éleveurs apprécient la praticité de l’outil. Les informations nécessaires et les alertes (non-rumination d’une vache ou chaleur, par exemple), sont transmises directement sur le smartphone ou sur l’ordinateur, et leur permettent d’être plus réactifs. Depuis cette année, les données communiquées par Medria sont couplées à celles du contrôle laitier. «Si une vache est en chaleur, mais que la qualité et la composition de son lait ne sont pas satisfaisantes, on peut alors décider de ne pas l’inséminer, pointe Geoffrey. Cela nous fera encore gagner en rigueur et en sérénité» L’investissement s’élève à 4 000 € avec la box et l’antenne. Les colliers sont loués 3,50 € par vache et par mois, soit environ 350 € par mois. « C’est un investissement plus rentable qu’un tracteur », analysent les deux frères. Alors que la gestion du troupeau est désormais bien cadrée, l’objectif est de produire de 8 500 à 9 000 kg par vache avec une ration semi-complète simple adaptée selon les stocks. Cet hiver, la ration distribuée à la mélangeuse se composait (en brut) de 31 kg d’ensilage de maïs, 12 kg d’ensilage d’herbe RGI, 8 kg d’enrubannage d’automne RGI, 0,6 kg de céréale, 3,6 kg de tourteau de colza, 0,5 kg de tourteau de soja, 140 g de minéraux et 60 g de sel. Les vaches qui produisent plus de 27 kg de lait par jour reçoivent individuellement 2 kg de concentré supplémentaire (40 % soja 60 % céréales). Ce printemps, les vaches à l’herbe toute la journée recevaient à l’auge une ration composée de 20 kg d’ensilage de maïs, 8 kg d’enrubannage d’automne, 10 kg d’ensilage d’herbe, 0,6 kg de céréale, 0,5 kg de tourteau de soja et 3 kg de tourteau de colza. Le réalisable d’avril 2023 s’élevait à 9 200 kg par vache.

En tenant bon, on y arrive !

Après une dizaine d’années de galère et d’évolution à marche forcée, Geoffrey et Jonathan ont sorti la tête de l’eau et s’épanouissent dans leur métier d’éleveurs. Désormais, le train de l’exploitation est posé sur de bons rails. « On continue à avancer en fignolant, mais on ne sort plus les rames, commentent les deux frères. Nos difficultés nous ont appris des choses, en matière juridique et de gestion d’entreprise en particulier. Pendant nos études, nous avions fait de nombreux stages, mais nous n’avions pas l’œil sur les comptes des fermes sur lesquelles nous travaillions. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la réglementation. Aujourd’hui tout est en ordre : plans de fumure, bilan carbone, etc. Nous avons récupéré le retard et nous prenons de l’avance. » Alors qu’ils ne se déplaçaient jamais en formation (ils avaient autrefois horreur de l’école), Jonathan et Geoffrey appellent, questionnent, s’informent, prennent le temps de venir aux sessions. « Plus on vieillit et plus on arrive à demander de l’aide, constate Jonathan. Contrairement à ce que l’on pense quand on est JA, être bien entouré est essentiel. » Jonathan est aujourd’hui secrétaire de la Cuma. Le regard extérieur a changé, c’est motivant.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

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