
Dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, la mise entre parenthèses du passif de l'exploitation a permis à Éric Busollo de sortir de l'impasse et de relancer son activité sur des bases saines.
RIEN NE PRÉPARAIT ÉRIC BUSOLLO, éleveur à Labastide-Clermont, dans la Haute-Garonne, à une dégradation aussi rapide des résultats de son exploitation. Mais des erreurs de financement, auxquelles se sont greffées des difficultés conjoncturelles et personnelles, ont conduit l'exploitation à la cessation de paiement, puis à la procédure de redressement judiciaire. « Tout a débuté par une augmentation trop brutale de la production laitière au regard du potentiel fourrager de l'exploitation, analyse Éric Busollo. En 2001, à l'heure de la mise aux normes, j'ai pensé rendre l'investissement (90 000 €) plus supportable par la spécialisation laitière de mon exploitation et l'augmentation des volumes de production. Or, cette évolution trop rapide a rompu l'équilibre du système d'alimentation. »
Au rythme des attributions de quotas successives, le volume de production progresse rapidement, de 150 000 l en 1998 jusqu'à 350 000 l en 2008. Dans le même temps, la surface pâturable restreinte oblige l'éleveur à évoluer vers une plus grande part de fourrages stockés. Il se trouve alors en situation de déficit fourrager, contraint d'acheter chaque année l'équivalent de 11 ha de maïs ensilage. Aussi, en septembre 2008, lorsque l'opportunité se présente, Éric Busollo acquiert 26 ha de terres irrigués sur le canton. Ces parcelles, situées sur les terrasses de la Garonne, des boulbènes légères et séchantes, l'amènent à miser sur le maïs irrigué. Il rachète donc tout le matériel nécessaire. Techniquement, l'achat semble pertinent : il permet de répondre aux objectifs d'une plus grande autonomie fourragère et de développer la vente de maïs grain.
« UN AGRANDISSEMENT MAL PRÉPARÉ »
Mais cet investissement de 160 000 € est financé par un emprunt qui laisse peu de marges de manoeuvre. « Le plan de financement était établi sur le prix du lait 2008. Une base de remboursement totalement en décalage avec la crise laitière survenue l'année suivante », explique Éric Busollo.
Dès la fin de la campagne laitière 2008-2009, la capacité d'autofinancement passe au rouge. Dans la foulée, les conditions climatiques d'implantation particulièrement difficiles au printemps 2009 ne permettront pas de récolter plus de 7 t de MS/ha de maïs ensilage, ce qui maintiendra l'exploitation dans une situation de déficit fourrager, malgré les investissements consentis. « Et comme un malheur n'arrive jamais seul, ces mêmes intempéries ont provoqué la chute du toit et, avec lui, tout un pan de ma maison d'habitation, se souvient l'éleveur. Un sinistre que l'assurance a refusé de prendre en charge. » Éric Busollo se retrouve seul sur sa ferme, avec une charge de travail accrue du fait de l'agrandissement, en proie aux difficultés financières et contraint de vivre dans une caravane installée sous son hangar à matériel. La déprime guette, la gestion courante de l'exploitation part à vau-l'eau et les performances laitières du troupeau plongent aussi sûrement que le moral de l'éleveur. Conséquence, la clôture de l'exercice 2009-2010 laisse apparaître un EBE de 33 %, un niveau qui ne permet plus de faire face aux échéances. « Je n'avais plus le coeur à l'ouvrage. Je me contentais de traire et de distribuer la ration. Économiquement, je n'avais plus la capacité d'acheter d'aliment pour compléter le maïs. Le niveau de production a chuté de moitié, à 4 000 l par vache, la qualité du lait et les résultats de reproduction se sont dégradés rapidement. Au printemps, je ne pouvais même plus acheter la semence de maïs pour la campagne suivante. »
D'autres que lui auraient baissé les bras, vendu les terres pour solder le passif et envisagé une reconversion professionnelle. Mais l'homme a encore des ressources. « J'ai pris conscience de la gravité de ma situation. À partir de là, j'étais prêt à étudier tous les recours possibles avant de me résoudre à vendre les terres familiales. »
« OBJECTIF N° 1 : REDRESSER MA TRÉSORERIE »
Mis en demeure par la MSA, Éric Busollo se rapproche de l'Adad (Association de défense des agriculteurs en difficulté). Sur son conseil, il anticipe une assignation et fait lui-même la demande d'une procédure de redressement judiciaire auprès du tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse. Le redressement judiciaire est une procédure collective qui peut être ouverte lorsqu'une entreprise ne se trouve plus en mesure de faire face à ses dettes exigibles avec son actif disponible. Le TGI reconnaît l'état de cessation de paiement et désigne Claude Domenget, gérant du cabinet Optimes (spécialisé dans l'accompagnement des exploitations en difficulté), comme administrateur judiciaire chargé de mettre en place le plan de redressement. À la suite de la présentation du plan, la procédure de redressement est enclenchée le 9 mars 2010, juste à temps pour acheter de la semence et envisager une poursuite de l'activité d'éleveur laitier. « Dans le cadre de cette procédure, le TGI gèle le passif de l'entreprise pour maintenir son activité à l'abri de la pression des créanciers, précise Claude Domenget. S'ouvre alors une période d'observation de douze à dix-huit mois en vue de restructurer l'entreprise et de reconstituer un fonds de trésorerie. » Si ce plan de redressement n'est pas respecté, le tribunal peut prononcer la liquidation judiciaire de l'exploitation.
À l'initiative de l'administrateur judiciaire, un collectif de techniciens se retrouve autour de l'éleveur. Il regroupe un représentant de la chambre d'agriculture, de la laiterie coopérative 3A, de Gestel (location de cheptel) et d'Optimes.
« UN ACCOMPAGNEMENT TECHNIQUE RENFORCÉ »
« Nous intervenions chacun à titre individuel sur l'exploitation, analyse Jean-François Caux, conseiller agronome à la chambre d'agriculture de Haute-Garonne. La mise en commun de nos compétences a facilité une approche globale de l'exploitation. À partir d'un diagnostic réalisé en concertation, nous avons défini des objectifs avec l'éleveur et faisions le point tous les trois mois. Nous n'avons pas révolutionné le système, mais porté collectivement notre attention sur l'amélioration de critères techniques visant à redresser les performances d'élevage », poursuit-il.
Objectifs de cette équipe pluridisciplinaire : renforcer le suivi agronomique de manière à optimiser la constitution des stocks végétaux et, après deux années de forte sous-réalisation laitière, augmenter les volumes de livraison en coopérative en même temps que la qualité du lait. La situation d'Éric Busollo est, à ce titre, symptomatique d'un éleveur qui, confronté aux premières difficultés de trésorerie, prend le risque technique de faire des économies à court terme, aux dépens d'impératifs de rentabilité à moyen et long terme. Dans ces conditions, la mise entre parenthèses des dettes, pendant toute la période d'observation, permet à l'exploitation de retrouver progressivement un cycle de fonctionnement vertueux, même si, sur le terrain, les relations sont tendues avec certains fournisseurs.
L'éleveur peut néanmoins compter sur son vétérinaire ou s'approvisionner normalement auprès d'Euralis, sa coopérative, grâce à l'appui d'administrateurs locaux.
« J'AI QUATORZE ANS POUR APURER MON PASSIF »
« D'un point de vue judiciaire, les fournisseurs peuvent être contraints de maintenir leurs livraisons. D'ailleurs, les éleveurs engagés dans une procédure poursuivent souvent leur activité avec leurs partenaires, selon les modalités de règlement convenues antérieurement, même si le report des dettes entraîne parfois des difficultés relationnelles », constate Claude Domenget. En moins d'un an, les résultats techniques s'améliorent de façon spectaculaire : entre la clôture de l'exercice 2010 et celle de 2011, à surface égale, le chiffre d'affaires des productions végétales passe de 15 700 à 43 900 €. Celui de l'atelier lait, limité à 48 500 € lors de l'exercice clos le 31 mars 2010, atteint l'année suivante 75 885 € « et dépassera 90 000 € sur la campagne laitière 2011-2012, estime le tribunal de grande instance. Cette forte amélioration des résultats techniques et économiques de l'entreprise détermine un excédent brut d'exploitation prévisionnel de 54 000 €. Sur cette base, la capacité d'autofinancement estimée en fin d'exercice sera de 35 700 € ».
En septembre 2011, à l'issue d'une période d'observation de dix-huit mois, le TGI considère que le système de production est stabilisé. Dans son jugement, il fixe un plan d'apurement du passif de l'exploitation (422 681 €) en quatorze échéances, dont la première sera versée en septembre 2012, date anniversaire du jugement : les trois premières annuités à hauteur de 5 % du montant de la dette, puis onze de 7,73 %. En minorant les premières échéances, le TGI veut permettre à l'éleveur d'aménager un logement correct par la voie de l'autofinancement.
Au travers de ce témoignage, on constate que la réactivité de l'éleveur, son implication et la coordination des partenaires de l'exploitation ont permis, dans le cadre d'une démarche collective, de remettre sur les rails une situation qui semblait sans issue. « Pendant la procédure de redressement, tout l'argent rentré a permis de renflouer la trésorerie. Sans le blocage du passif, ces gains auraient uniquement servi à payer les dettes. Aujourd'hui, la récolte de maïs 2011 atteint un niveau exceptionnel et après trois années de sous-réalisation, j'ai retrouvé un niveau de production qui devrait me permettre de remplir mon quota », se félicite l'éleveur qui, au cours de cette épreuve, a eu le bonheur de rencontrer sa compagne.
JÉRÔME PEZON
Au début, on se sent comme un élève en conseil de discipline. Mais le travail en toute confiance avec chacun permet de reprendre pieds », assure Éric Busollo. De gauche à droite : Guillaume Favoreu (conseiller Optimes), Claude Domenget (gérant d'Optimes), Jean-François Caux (conseiller à la chambre d'agriculture), Éric Busollo, Adeline Collet (technicienne 3A) et Daniel Tamalet (technicien Gestel). PHOTOS : J.P.
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