« UNE "COACH" POUR REDÉFINIR NOS OBJECTIFS AVANT DE LANCER UN NOUVEAU PROJET »

Ce qu'apprécie le plus Hermjan Darkwinkel dans son métier, c'est la mise en cohérence de toutes les facettes de l'exploitation.
Ce qu'apprécie le plus Hermjan Darkwinkel dans son métier, c'est la mise en cohérence de toutes les facettes de l'exploitation. (©)

En treize ans, Elke Smulders et Hermjan Darwinke ont triplé leur troupeau. S'ils continuent cette stratégie, il faudra qu'elle soit en phase avec leurs objectifs professionnels et familiaux qui ont évolué. Une « coach » les aide dans leur réflexion.

L'APPROCHE DE LA FIN DES QUOTAS OBLIGE BON NOMBRE d'éleveurs à s'interroger sur l'évolution de leur exploitation. Miser sur la demande mondiale et les volumes de lait qui vont se libérer ces prochaines en investissant fortement ? Saturer son outil avec une dizaine de vaches en plus ? Préférer le statu quo et continuer à optimiser l'existant ? « Définir sa stratégie nécessite d'abord de clarifier ses objectifs. La première question n'est pas "faut-il investir ?" mais "qu'est-ce qui est important pour moi ?" », avance Sophie Marçot, du BTPL. Elle accompagne ou coache dans leur réflexion les éleveurs qui la sollicitent.Une démarche utile en production laitière où la vie professionnelle et la vie privée sont totalement imbriquées.

Elke Smulders et Hermjan Darwinkel sont sensibles à ces arguments. Installés en 2001 dans le bocage sarthois, à 25 km du Mans, ils éprouvent le besoin de faire le point, de vérifier si leurs objectifs initiaux sont toujours d'actualité. En mars 2013, ils font appel à ce service. « Notre installation correspondait bien au cahier des charges que nous avions défini à l'époque. Depuis, nous avons fait du chemin. Notre atelier laitier a beaucoup évolué. Nous avons quatre enfants de 4 à 11 ans. Voulons-nous continuer à nous développer et dans quelles conditions ? » Un an après, ils n'ont pas encore répondu à cette question mais les objectifs de chacun sont sur la table.

Pour comprendre, il faut revenir quinze ans en arrière. Elke et Hermjan sont néerlandais. Leurs parents n'étant pas agriculteurs, trouver une ferme laitière aux Pays-Bas relevait du pari impossible vu le prix du foncier et des quotas très élevés. « Nous étions motivés par le lait, Hermjan parce qu'il côtoie l'exploitation laitière de son oncle depuis son enfance, et moi parce que j'aime le contact des animaux », confie l'éleveuse. Ses « jobs » de lycéenne et d'étudiante sont d'ailleurs souvent dans des fermes pédagogiques.

« MENER ENSEMBLE NOTRE PROJET D'INSTALLATION »

Vivre de ce passe-temps et lui donner une dimension sociale la motive aussi. Elle y réussit en 1998 en travaillant à mi-temps dans une ferme adaptée au travail des personnes handicapées. « Comme nous avions le même intérêt pour l'élevage, nous nous sommes dit "travaillons ensemble !" J'ai rejoint Hermjan dans les Côtes-d'Armor en 1999. Il débutait la gérance d'une ferme de 35 vaches laitières sur 35 ha. Nous y avons fait nos premières armes. »

Mais pas question de rester salariés. Pour le couple, l'objectif est clair. Il veut s'installer en EARL sur une exploitation laitière qui remplit un certain nombre de critères : pas plus de 8 heures de route pour se rendre aux Pays-Bas, un quota laitier supérieur à 400 000 l, des bâtiments à peu près en bon état qu'il peut acheter et, cerise sur le gâteau, une vieille maison dans laquelle il peut habiter. « Notre ferme répondait à ces exigences. En 2001, elle avait 436 000 l pour 106 ha. Nous avons investi 365 000 € dans l'achat du matériel, du corps de ferme et de la maison avec des emprunts sur sept et douze ans. Ils sont aujourd'hui remboursés mais depuis, nous avons investi 522 200 € dans une stabulation logettes-caillebotis de 115 logettes, équipée d'une salle de traite de 2 x 8 postes mise en service en octobre 2006 », détaille Hermjan. Un pari un peu fou alors que le troupeau ne comptait que 50 vaches laitières. « Les informations venues des Pays-Bas évoquaient déjà la fin des quotas. Nous pensions que dès 2010, les laiteries françaises nous encourageraient à produire plus. » Heureusement, le couple n'a pas attendu la réalisation de ce voeu pieux. S'il lance seul l'investissement, il soumet l'idée d'une association à ses voisins avec lesquels il collabore régulièrement.

« DÉVELOPPER LA FERME, C'EST MOTIVANT »

Les choses vont vite. L'un d'entre eux apporte 310 000 l dans la SCL créée la même année. Un deuxième les rejoint en 2010 avec 265 000 l. Le premier participe à la conduite des vaches. Le second élève les génisses. L'EARL est majoritaire dans la SCL.

Cette association convient à Hermjan. Il apprécie la complémentarité et l'entraide entre les trois exploitations qui se sont construites autour du troupeau laitier, sans que chacune ait renoncé à son autonomie de management. « Je me sentirai moins libre au sein d'un Gaec. » Et l'éleveur d'ajouter : « En production laitière, ce n'est pas l'élevage en tant que tel qui me plaît mais l'orchestration du troupeau, des bâtiments et de la main-d'oeuvre pour dégager le meilleur résultat. Je ne m'imagine pas sans projet de développement. C'est ce qui me motive. » Aujourd'hui, à la tête de 170 vaches, passer à 400 ne lui fait pas peur. Une étape qu'il se dit prêt à franchir, à condition que ce nouveau défi réponde également aux objectifs professionnels et personnels d'Elke. Sans oublier bien sûr dans sa réflexion les associés de la SCL et le salarié. « On peut partager le même but tout en l'atteignant avec des objectifs différents », confirme Sophie Marçot.

Treize ans après leur installation, Elke n'a pas perdu ce qu'elle appelle en ironisant « sa vision romantique de la ferme. J'aime voir mes enfants à l'aise dans l'élevage et vivre à la campagne ». De même, le contact avec les animaux reste indispensable à ses yeux. « Lorsque nous étions à la tête de 50 vaches, je les connaissais toutes. Même si notre étable est montée à 170 vaches, je continue à toutes les connaître. Cela sera-t-il toujours possible avec un troupeau beaucoup plus important ? », s'inquiète-t-elle. Elle n'oublie pas non plus la dimension sociale qu'elle avait trouvée aux Pays-Bas, en travaillant avec des personnes handicapées.

« NE PAS S'INTERDIRE DE REBATTRE TOUTES LES CARTES »

En revanche, l'éleveuse estime qu'embaucher des salariés pour faire face au travail en plus n'ôtera pas à la ferme son caractère familial. En cela, elle rejoint son conjoint. « Dans un entretien en tête à tête avec Sophie Marçot au mois d' avril 2013, nous avons chacun exprimé nos objectifs, nos projets et nos interrogations, en partant du principe que tout est envisageable. Même si nous revenons rapidement à la raison, cela fait du bien », glisse-t-elle malicieusement. La « coach » en a ensuite fait le bilan devant les deux associés, et leur a envoyé un compte-rendu dans la foulée. « Il est plus aisé de formuler ses objectifs personnels en présence d'une tierce personne », approuve Hermjan.

Trois autres éléments conditionneront la décision de doubler le troupeau. Sans doute le premier est-il familial. « Jusqu'à présent, nous avons choisi d'investir et de capitaliser dans l'exploitation, au détriment de notre rémunération. Est-ce la bonne stratégie pour les prochaines années ?, questionne-t-il. Nous prélevons un total de 25 000 € par an alors que nous travaillons tous les deux à plein temps. Nous devons penser à nos enfants qui feront des études dans quelques années. Nos besoins privés seront plus élevés. » L'autre interrogation porte sur Lactalis, leur acheteur. « Il ne nous dit pas clairement si les éventuels deux millions de litres supplémentaires l'intéresseront après les quotas. »

Reste la rentabilité du projet lui-même. « Jusque-là, nous avions tendance à rogner les marges de sécurité de nos financements. Un problème d'alimentation a fragilisé nos résultats l'an passé. Nous ne voulons pas revivre cette situation. » Si le couple en arrive à ce stade du projet, c'est qu'il aura clarifié toutes ses interrogations.

CLAIRE HUE

Ce qu'apprécie le plus Hermjan Darkwinkel dans son métier, c'est la mise en cohérence de toutes les facettes de l'exploitation.

Cette stabulation accueille 120 vaches, l'aire paillée ci-dessous 50 autres. Si le couple décidait de doubler le troupeau, un bâtiment de 400 logettes serait construit en face. La salle de traite serait installée sur une partie des logettes actuelles. De la nouvelle étable, les vaches y accèderaient par un couloir. Le reste du bâtiment serait attribué aux génisses.

Elke Smulders aime le contact des vaches. Elle connaît chacune d'entre elles et craint que cela soit plus difficile avec un troupeau plus important.

PHOTOS © C.H.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

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