« EN UN AN, LA PROCÉDURE DE SAUVEGARDE NOUS A REMIS À FLOT »

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Christelle et Ismaël Boissel ont osé une procédure judiciaire pour sortir d'une mauvaise passe qui les conduisait à la cessation de paiement.

APRÈS AVOIR ÉTÉ ASSOCIÉS D'UN GAEC DANS LE MAINEET- LOIRE, Christelle et Ismaël Boissel sont arrivés dans la Sarthe en 2004, sur une exploitation laitière individuelle de 62 ha et 400 000 l de quotas. Comme pour toute installation, la charge financière est lourde. « Nous avions décidé de l'amortir sur dix ans, afin d'être libérés en 2015 à la fin des quotas », expliquent les époux Boissel. L'annuité globale est de 65 000 €. Ils savaient la partie serrée mais ça passait En 2005, un bâtiment pour les veaux de boucherie est construit pour compléter l'activité lait. Investissement : 150 000 €. Tout s'engage bien, jusqu'en 2007. Ismaël souffre d'une hernie discale sérieuse. Opération, infection nosocomiale : un an et demi d'arrêt maladie. « Nous avons vu passer six remplaçants sur le troupeau. Une catastrophe en terme sanitaire : mortalité, cellules, etc. » En 2008, crise sur le veau de boucherie. L'intégrateur, qui avait pourtant signé un contrat de dix ans, les laisse tomber. Le bâtiment reste vide pendant huit mois. « Nous avons relancé la production de veaux à notre compte et avec les courts termes de la banque. ».

Avril 2009 : c'est la crise laitière avec un prix du lait qui chute brutalement de 100 €/t. « À ce tarif, nous avons rapidement compris que nous ne passerions pas l'année en terme de trésorerie », se souviennent-ils.

UN VÉRITABLE BOL D'AIR

Engagés à l'époque dans le mouvement Apli, ils participent à une réunion où le cabinet Optimes, spécialisé dans le redressement des entreprises agricoles, présente les procédures judiciaires comme des outils pour surmonter les difficultés financières. « Nous y avons vu une solution intéressante à notre cas. »

De quoi s'agit-il ? Lorsqu'une entreprise connaît ou prévoit une rupture de trésorerie, cette action juridique autorise la poursuite de l'activité et l'apurement du passif en bloquant les dettes, les poursuites et les intérêts des emprunts d'une durée inférieure à un an. Un véritable bol d'air pour passer un mauvais cap. Deux procédures sont envisageables. Si l'entreprise est en état de cessation de paiement (elle ne peut plus payer ses dettes à échéance), le redressement judiciaire s'impose. Si l'entreprise n'est pas en cessation de paiement, mais rencontre des difficultés qu'une gestion normale ne pourra pas surmonter, elle s'oriente vers une procédure de sauvegarde. « Nous avons fait appel au cabinet Optimes pour un diagnostic économique. Avec un EBE aux environs de 70 000 les années précédentes et un coût de production sur l'atelier lait de 309 /1 000 l, l'exploitation était largement viable. Mais en 2009, nous ne pouvions plus rien prélever pour la famille. Pour vivre, nous avons décapitalisé un peu et fait appel au soutien des proches. Fin décembre, avec l'arrivée à terme d'un prêt de campagne, nous allions vers la cessation de paiement. La banquenous proposait de réétaler la dette avec de nouveaux emprunts, une solution qui pousse la difficulté à plus tard », expliquent- ils

Début décembre 2009, les éleveurs décident de déposer une demande d'ouverture de procédure de sauvegarde auprès du tribunal de grande instance (TGI) de la Sarthe. Ils sont convoqués à l'audience de décembre 2009, assistés de leur conseiller Optimes, pour présenter les difficultés rencontrées, l'état détaillé des dettes et des créanciers.

Le tribunal décide d'ouvrir la procédure de sauvegarde le 10 décembre. À cette date et pendant une période d'observation de six mois renouvelable, le passif antérieur est gelé : les 68 100 E de dettes fournisseurs (fabricant d'aliment, GDS, vétérinaire, centre d'insémination, etc.), ainsi que les 57 000 E du remboursement de capital de l'annuité et les 116 500 E du prêt à court terme. Le TGI nomme un mandataire judiciaire qui avertit les créanciers. Ils ont obligation de déclarer leur créance dans des délais très courts. « Dans le cas de la procédure de sauvegarde, l'arrêt des poursuites profite aux cautions, c'était important pour nous. C'est le tribunal qui impose aux créanciers ce qui doit se passer. Il leur interdit de bloquer le fonctionnement de l'exploitation en refusant une nouvelle livraison qui, cette fois, doit être payée comptant. Le rapport de force change brutalement. »-

« CERTAINS FOURNISSEURSONT ACCEPTE L'ABANDON DE C REANCE »

Cette période d'observation d'un an maximum a pour objectif de montrer au tribunal que l'exploitation est assez rentable pour apurer ses dettes dans le cadre d'un plan qui peut avoir une durée de quinze ans maximum. « Quatre mois avant l'échéance, une sortie a été négociée avec la banque et les fournisseurs. Comme le prévoit le plan, nous avons sollicité un abandon de créance de 50 % et une dette étalée sur cinq ans. Les créanciers ont fait leurs propositions et le TGI a tranché. Certains fournisseurs ont accepté l'abandon de créance. Dans le cas contraire, la dette a été étalée sur dix ans. »

Christelle et Ismaël reconnaissent que la procédure s'est relativement bien passée avec leurs fournisseurs. Ils avaient pris la précaution d'avertir les plus fidèles avant la procédure. Seul le fournisseur de la poudre de lait pour les veaux a tenté de bloquer une livraison. Le conseiller Optimes s'est chargé de lui rappeler ses obligations. Les relations avec la banque ont été plus tendues. « C'est une procédure qu'elle n'apprécie pas. Notre dossier a été orienté vers le service des contentieux et nous n'avons plus eu aucun contact avec la caisse locale. Il y a eu ensuite des paroles inacceptables et des velléités, vite contrées par Optimes, de bloquer nos comptes. » Les effets de la procédure de sauvegarde ont été ici spectaculaires. Ce n'est pas toujours le cas. Une situation trop difficile peut basculer en redressement judiciaire, une sorte de deuxième chance. Puis en liquidation si le redressement de l'entreprise n'est plus possible. « Nous avons retrouvé de la trésorerie au bout de six mois. Le nerf de la guerre est là : retrouver notre autonomie de chef d'entreprise pour négocier au mieux nos achats et prendre des décisions de gestion efficaces. Avec l'accord du juge, nous avons même pu acheter 11 vaches pour assurer le quota. » La période d'observation a été close en décembre 2010. Six mois après le début du plan de restructuration de la dette, l'exploitation a repris son rythme de croisière. « Cette procédure de sauvegarde n'est vraiment efficace que si elle est maîtrisée et surtout anticipée. Ensuite, il faut savoir s'entourer des compétences nécessaires, notamment sur le fonctionnement de la procédure. Cela a un coût. » Les époux Boissel ont déboursé environ 15 000 € en honoraires. « Il faut considérer cette procédure comme l'accompagnement judiciaire à une démarche de gestion pour traiter une difficulté passagère dans un cadre sécurisé. L'objectif est que l'entreprise paye ses dettes et qu'au final, tout le monde y trouve son compte. Les éleveurs ont trop souvent tendance à s'enfermer dans le cycle vicieux des nouveaux emprunts pour se renflouer. Ils se fragilisent encore plus. Il n'y a pas non plus de remords à avoir envers les fournisseurs. Les laiteries n'hésitent pas à baisser le prix du lait pour garantir leur bénéfice. Pourquoi serions-nous les seuls à subir les crises ? L'idéal aurait été de multiplier ces procédures pour bien marquer les difficultés de l'élevage laitier. »

DOMINIQUE GRÉMY

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo
Philippe Bernhard à droite et Hervé Massot président et DG d'Alsace Lait

Alsace Lait a besoin de lait pour ses ambitions régionales

Alsace Lait

« L’IA ne remplace pas notre métier, elle le facilite »

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